Premier texte d'une série de trois
Le premier grand forum panquébécois portant sur l'avenir socioéconomique des Premières Nations se déroulera du 25 au 27 octobre prochains à Mashteuiatsh. Cet exercice, comparable au Sommet de l'économie et de l'emploi, présidé par M. Lucien Bouchard en 1996, et au Forum des générations de M. Jean Charest en 2004, est d'une importance fondamentale pour nos Premières Nations.
Quelles sont les chances et les conditions de succès de ce forum? Une réflexion préalable s'impose.
Un ensemble de dirigeants et de représentants de la société civile québécoise et canadienne participeront à ces travaux, côte à côte avec les dirigeants des peuples autochtones du Québec, afin d'unir leurs forces autour d'objectifs concrets. Nos peuples n'ont pas le choix ni les moyens de manquer cette occasion historique. Un assemblage de voeux pieux ne pourra traduire pour notre jeunesse nombreuse l'espoir sensible à un avenir prometteur. De vagues promesses échangées de part et d'autre ne suffiront pas.
Nos Premières Nations sont à l'avant-garde de cette responsabilité qui consiste à sortir nos peuples du sous-développement et du marasme social qui affligent la majorité de nos communautés. La balle est dans notre camp, et nous le savons. Nous avons d'énormes changements à apporter dans nos approches d'éducation populaire, de sensibilisation publique et de gestion de services intégrés, mais les gouvernements ont aussi une responsabilité indéniable.
Nous devons changer notre approche et penser en termes de nouvelle économie, d'économie sociale, d'économie régionale. Nous ne pouvons réaliser cette nécessaire révolution seuls, sans le soutien des Québécois et des Québécoises, mais certains obstacles nous éloignent. Dans le prochain article de cette série, j'aborderai la question de nos divergences et la façon de renforcer nos convergences.
Le fossé oublié
Un immense fossé sépare les conditions de vie des Québécois et des Québécoises et celle de nos peuples. Nous avons publié récemment les résultats d'une vaste enquête réalisée auprès de 4000 membres de nos communautés, soit près de 10 % de la population autochtone totale vivant au Québec. Le constat de la situation est tellement alarmant que certains l'ont qualifiée de «tiers monde de l'intérieur».
La moitié des adultes n'ont pas terminé des études secondaires et la moitié des enfants ont redoublé une année scolaire. L'obésité touche 52 % des enfants, 42 % des adolescents, 67 % des adultes et 71 % des aînés. Le taux de diabète des jeunes est de 15 %, il est trois fois plus important que celui du Québec. Le taux de tabagisme a quelque peu régressé, mais il est encore deux fois supérieur à celui du Québec.
La consommation d'alcool et de drogues est élevée; un adulte sur trois et un adolescent sur deux ont consommé de la drogue ou des substances volatiles dans les douze derniers mois précédant l'enquête. Un adulte sur six s'est fait traiter pour grave abus d'alcool.
Les conséquences en matière de violence verbale, physique ou psychologique sont majeures. Dix pour cent des maisons sont surpeuplées et une sur trois est infestée de moisissures. Les Premières Nations doivent être impliquées dans les processus décisionnels en matière d'eau aux niveaux national, provincial, territorial et local.
Le tiers des adultes considèrent avoir été victimes de racisme dans l'année. L'assurance-emploi et l'aide sociale comptent pour 44 % des revenus, même si le taux d'emploi a légèrement augmenté. L'usage d'une langue maternelle à la maison a chuté à 39 %.
Je pourrais citer d'autres indices de développement humain alarmants, mais j'en conclurais de toute façon que nos problèmes sociaux sont majeurs, que notre retard à cet égard sur la société québécoise et canadienne est important et que la détresse psychologique est très grande dans nos communautés. Cette situation est dramatique aujourd'hui; elle hypothèque notre avenir et elle est insupportable à long terme.
Leadership à prendre
Je ne peux accepter cette situation; les dirigeants politiques et sociaux des Premières Nations, de même que les acteurs sociaux et politiques québécois et canadiens ne le peuvent pas plus. Un vaste exercice de mise au jour de solutions et un programme exhaustif et réaliste d'intervention sont nécessaires.
Nous n'en sommes plus aux analyses et aux constats. La Commission royale sur les peuples autochtones a étudié en détail et avec lucidité ces questions pendant cinq ans et elle a présenté des centaines de recommandations dans son volumineux rapport de 1996, qui sont pour la plupart demeurées lettre morte, faute de volonté de nos hommes et femmes politiques.
En 1998, le gouvernement du Québec nous a imposé sans consultation sa politique intitulée Partenariat, Développement, Actions. Une entente conjointe appelée Engagement politique mutuel, convenue le 17 juin 2003, a engendré plus de frustration que de résultats positifs.
Mon explication de cette absence de résultats est que jamais les Premières Nations n'ont pu prendre l'initiative et assurer le leadership d'un tel exercice de mobilisation. La reconnaissance et la mise en oeuvre de nos droits fondamentaux ne connaissent aucun développement significatif, malgré de nombreux jugements d'interprétation favorables de la Cour suprême du Canada depuis plus de 20 ans.
Nous avons tous besoin d'un effort original d'imagination et de pragmatisme. Nous n'en sommes plus aux palabres et tergiversations, nous en sommes au courage d'agir concrètement, ce qui est possible malgré certaines relations litigieuses.
Ghislain Picard : Chef régional, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador
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