Je suis convaincu que l'a b c de la nécessaire révolution douce de nos relations commence par l'acceptation par les Québécois des prémisses suivantes.
- Les Québécois ne sont pas seuls sur le territoire et n'en occupent qu'une mince partie urbanisée; les Premières Nations vivent aussi sur ce même territoire, ils y sont chez eux depuis des millénaires, ils connaissent et occupent l'immensité de ce territoire et ils l'aiment. Le territoire non urbanisé n'est pas le Klondike des villes du Sud mais le coeur de nos pays autochtones, le terroir de nos langues et de nos cultures.
- Le Québec détient des droits constitutionnels sur le territoire, les peuples autochtones aussi, et ces deux réalités sont reconnues dans la même constitution canadienne. Ce n'est pas parce que certaines de nos communautés sont métissées que ces droits n'existent plus. Les titres fonciers des Québécois ne sont pas lessivés par le métissage de leur société, pas plus que les nôtres.
- Les plus hauts tribunaux canadiens et le régime juridique global ont reconnu l'existence des droits ancestraux, du titre aborigène et des droits de traité. Même si l'application de ce constat doit être modulée par des analyses historiques et territoriales, cet état de fait est incontestable.
- Il faut dépasser les préjugés courants et les perceptions tordues sur nos réalités et aller au fond des choses. Le principal mythe à détrôner est celui selon lequel les autochtones coûtent cher à l'État, plus cher que les autres citoyens. La réalité est tout autre.
En 2004, nous avons publié une étude professionnelle sur cette question, dont la principale conclusion est que les Premières Nations ne reçoivent pas un financement particulier supérieur à celui de chaque Canadien. Au contraire, les Canadiens obtiennent des services des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux au moins deux fois supérieurs à ceux offerts aux Premières Nations. Celles-ci se classent parmi les communautés canadiennes les plus pauvres, et cet écart ne se réduit pas avec les années dans un contexte de forte natalité.
Nos devoirs à faire
Même si nos peuples détiennent des droits territoriaux, ils partagent leur pays et ils continueront à le partager; ils n'accepteront jamais de se faire déposséder et ils feront de plus en plus valoir leurs droits.
Par-delà le débat des droits se profile l'enjeu difficile du développement. Les régions du Québec ont les mêmes défis économiques et sociaux à relever que nos Premières Nations. La différence entre nous réside dans le fait que les régions se vident de leur jeunesse alors que la jeunesse autochtone est en croissance exponentielle et demeure sur place.
La structure d'âge de nos populations étant extrêmement jeune, on se doit de créer rapidement de nombreuses occasions d'emploi. Nous n'avons pas le droit de sacrifier au désoeuvrement cette génération de main-d'oeuvre potentiellement active et créatrice.
Nous avons la lourde tâche de préciser une vision commune et unifiée du développement. Le développement social est intimement lié au développement économique, ils sont comme des frères siamois. Le développement durable du Québec passe par le nôtre, il est semblable mais distinct. Votre société, votre environnement et votre économie ne trouveront une harmonie que dans une synergie avec les nôtres. Votre qualité de vie ne peut pas se bâtir à notre détriment mais en complémentarité avec nous.
Les programmes qui nous sont actuellement accessibles se situent toujours dans une approche coloniale. L'administration qu'on fait de ces programmes doit cesser d'être sectorielle, la main droite ignorant ce que fait la main gauche. Cela conduit au gaspillage des énergies et de l'argent de chacun. Le social, l'éducatif, le culturel, le politique et l'économique doivent être orientés vers une vision globale du développement. Il nous faut arrêter d'être complaisants, avec une vision infantilisante des réalités.
Nous avons à relever ensemble le défi de la mondialisation dans le respect de nos cultures spécifiques et de nos terroirs; les Québécois y sont assignés, les Premières Nations aussi.
Nous devons ensemble concilier des droits distincts et le droit à l'égalité en valeur et en dignité. Dans ce contexte, le concept d'égalité ne signifie pas similitude. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été des citoyens canadiens et québécois comme les autres, car nous sommes des peuples autochtones et possédons des droits collectifs ancrés dans la terre de nos ancêtres.
Rien d'irrévocable
Notre bonne volonté commune ne suffira pas à relever les défis d'aujourd'hui et de demain si elle ne s'articule pas avec les structures sociales, politiques et économiques de nos sociétés fonctionnant en symbiose avec celles du Québec et du Canada. Le verdict de notre sous-développement n'est pas irrévocable, la suite des choses prendra la couleur qu'on voudra lui insuffler. Nous pouvons et devons relever ensemble le défi du développement.
Le moment est historique. La table est mise pour nos Premières Nations et nos partenaires afin d'ouvrir la voie à un avenir prometteur pour les jeunes, les familles, les aînés, les communautés et nos membres vivant en milieu urbain.
Le plan de match préliminaire que nous présenterons au Forum socioéconomique des Premières Nations se résume aux éléments suivants :
- nous assumerons avec plus d'efficacité ce qui relève de nos responsabilités en matière d'éducation populaire; le soutien et le partenariat sont bienvenus;
- les Premières Nations doivent faire partie intégrante de tout processus de consultation précédant l'élaboration d'un projet de loi, de réglementation, de politique et de programme les affectant et les résultats de ces consultations doivent être pris en compte selon un processus convenu;
- des fonds régionaux de développement économique doivent immédiatement être créés aux fins de partenariats entre autochtones et Québécois; ces fonds doivent être distincts du Fonds de développement pour les autochtones (FDA) existant, qui doit être reconduit pour les Premières Nations;
- dans une approche d'autonomie gouvernementale, les ministères provinciaux et fédéraux doivent développer, en concertation totale avec les organismes autochtones concernés, des programmes de partenariat favorisant l'amélioration des capacités de gestion des Premières Nations;
- les gouvernements doivent avoir le courage de financer sans autre délai et en concertation les besoins de rattrapage en matière d'infrastructures et de formation pour nos communautés;
- des stratégies locales de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale dans les communautés et les milieux urbains doivent être définies conjointement avec les organismes autochtones compétents et mises en application avec l'aide de l'État dans une approche de renforcement des capacités;
- aux fins des données nécessaires à la gestion de la situation, il est important qu'un institut de recherche et de statistique des Premières Nations soit créé;
- dans tous les dossiers, les organismes autochtones concernés doivent disposer en association du coffre à outils nécessaire à la prise en charge des solutions avancées, soit les compétences et l'autorité nécessaires dans le contrôle des règles du jeu, l'accès au financement nécessaire par voie de péréquation ou autrement, la participation aux décisions, l'accès aux savoirs et aux savoir-faire et la disposition des infrastructures pertinentes.
Il est maintenant temps de faire place aux quatre thèmes du Forum socioéconomique des Premières Nations : l'économie et l'emploi, la santé et les services sociaux, la culture et l'éducation, les infrastructures et le développement communautaire. Le forum n'a pas pour objectif la gestion des attentes des Premières Nations mais bel et bien le démarrage concret de notre développement. Il s'agit d'un départ en première vitesse, et nous aurons besoin de nous revoir pour les changements de vitesse ultérieurs.
Nous sommes peut-être dans la salle d'urgence de première ligne, mais nous voulons vivre une vie normale et de qualité à long terme.
Que le Créateur inspire nos travaux pour qu'ils produisent pour nous tous les fruits qui nourrissent les espoirs de nos peuples.
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