IDÉES

La Grande-Bretagne n’appartient pas à l’Europe

Elle sera toujours un cheval de Troie américain en Europe, travaillant pour le monde anglo-saxon

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«La langue n’est pas qu’un simple code de communication; elle est le vecteur d’une conception du monde»

Le 23 juin, la population du Royaume-Uni (RU) sera appelée à se prononcer sur le maintien ou le retrait de son pays de l’Union européenne (UE). Un retrait est dans l’intérêt des deux parties. La Grande-Bretagne en sortira plus cohérente avec elle-même ; l’Europe en retirera une plus grande cohésion et poursuivra sa marche vers une plus grande intégration. Chacun y gagnera en liberté.

Le Royaume-Uni n’est pas européen. Ses intérêts, sa culture, sa langue, ses relations internationales de prédilection sont avec le G5 — le Groupe des États occidentaux anglophones que sont le RU, les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces quatre derniers pays d’outre-mer ont été engendrés par l’Angleterre. Ils en ont conservé un état d’esprit, un système de valeurs. La Grande-Bretagne n’appartient pas à l’Europe, mais à l’univers anglo-saxon. L’histoire est plus tenace que la géographie. La proximité culturelle et linguistique l’emporte sur le voisinage géographique.

L’importance de la langue

Car la langue n’est pas qu’un simple code de communication ; elle est le vecteur d’une conception du monde. Elle fonde un ensemble de valeurs, met en oeuvre une sensibilité, institue une façon de dire, de nommer, d’interpréter et de sentir son environnement. Elle est un mode d’appropriation du monde. La langue n’est jamais neutre et sans saveur, elle est un point de vue spécifique à partir d’une expérience culturelle singulière.

Le RU n’a jamais aimé l’Europe. Il y ressent son altérité. L’adhésion britannique à l’Europe a été contre nature, un défi à la culture. La Grande-Bretagne s’est d’ailleurs jointe à l’Europe à reculons, uniquement motivée par des intérêts économiques. Elle n’en demeure pas moins étrangère au continent. Plus que la Manche sépare l’île du continent. De sommet en sommet des chefs d’État et de gouvernement, elle résiste à tout rapprochement avec l’Union européenne. Elle a refusé l’union monétaire, elle se rebiffe contre une intégration plus étroite à laquelle aspirent la France, l’Allemagne et l’Italie. Hier, c’était le « I want my money back » de Thatcher ; demain, le référendum sur le retrait de l’Union.

Le cas du RU illustre à nouveau la prégnance et la ténacité du facteur culturel et civilisationnel dans les relations internationales. L’Europe ne sera pas l’Europe si elle n’est pas indépendante des États-Unis, si elle ne s’érige pas en un pôle de puissance distinctif, si elle ne peut être une alternative culturelle crédible. Or la Grande-Bretagne ne sera toujours qu’un cheval de Troie américain en Europe. Elle n’a de raison d’être que pour freiner l’intégration européenne et dès lors assurer la primauté du monde anglo-saxon. Par son poids relatif et sa proximité culturelle avec les États-Unis, elle demeurera toujours, malgré elle-même et sa nostalgie de l’empire disparu, le caniche des Américains. L’Europe doit avoir sa voix internationale propre, différente des pays anglo-saxons. Une expression politique qui reflète son génie particulier. Cette voix ne pourra émerger tant et aussi longtemps que la Grande-Bretagne fera partie intégrante de l’Union européenne. On a confondu la géographie avec la culture.

Les frontières

Beaucoup s’interrogent sur ce que seront les frontières définitives de l’Europe. C’est pourtant une évidence. Avant d’être une géographie, l’Europe est une histoire, une civilisation, une âme. Elle a vocation à être l’un des pôles de puissance dans le monde multipolaire d’aujourd’hui et de demain. Or, elle ne pourra affirmer sa personnalité politique et culturelle, son altérité civilisationnelle, son originalité propre, en ayant en son sein une partie du monde anglo-saxon, la Russie et la Turquie.

La Russie est une grande puissance. Elle dispose d’une culture remarquable digne d’admiration. Elle a aussi une personnalité historique distinctive à affirmer et à offrir à l’humanité. C’est pourquoi, précisément en raison de sa grandeur, de sa taille — démographique, territoriale — et de son altérité civilisationnelle, elle n’est pas et ne peut pas être européenne. Avec l’intégration de la Russie à l’Union, l’Europe ne pourrait plus être l’Europe, elle ne pourrait plus être indépendante. L’Europe est appelée à être souveraine, à s’ériger en une civilisation alternative au monde anglo-saxon, à la Russie et au Moyen-Orient.

Il n’en va pas autrement de la Turquie. Celle-ci n’appartient pas à l’Europe, mais au Moyen-Orient et à la sphère de la civilisation islamique. Une fois de plus, en raison de son altérité culturelle et de sa taille démographique, l’Europe ne serait plus l’Europe avec la Turquie en son sein. La Turquie a vocation à resserrer ses liens naturels avec le monde musulman comme le RU avec le monde anglo-saxon.

Ainsi se dégage la délimitation de l’Europe : avec les trois « i » à ses frontières, elle est limitrophe du RU, de la Russie et de la Turquie. Elle englobe par ailleurs le reste du continent. L’Islande, la Norvège, la Suisse et l’Ukraine font partie de l’Europe. Tôt ou tard, elles rentreront au bercail.

L’Europe et le monde anglo-saxon ne sont pas étrangers. Ils constituent l’Occident. Ce n’est pas rien. Cette tension identitaire créatrice entre l’Europe et l’outre-Atlantique occidental est une source d’enrichissement pour tous les Occidentaux.
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