La fête à Papineau
Sylvain Deschênes
vendredi 21 mai 2004
On fête, un peu partout sur la planète, les solstices et les équinoxes. Ces dates particulières du cycle annuel sont soulignées chez nous par des jours fériés sous les vocables chrétiens de Noël, Pâques, Saint-Jean et Action de Grâces. Au Canada, s’ajoutent à cette liste de congés trois curiosités : l’absurde «fête du travail» qu’on souligne en ne travaillant pas; le Canada Day que les Québécois transforment en jour de déménagement; et le Victoria Day, fête de la reine, que des élites peu audacieuses avaient jugé bon de traduire par «fête de Dollard».
L’idée d’aller se chercher un héros de la Nouvelle-France n’était quand même pas mauvaise puisqu’elle soulignait en cela la présence française antérieure à la conquête britannique. Pour faire contrepoids à l’impératrice, il aurait toutefois fallu un homme de plus grande envergure qu’un chef de milice auteur d’un exploit kamikaze. Samuel de Champlain, véritable fondateur, aurait fait meilleure figure.
Il reste que le recours à une période antérieure pour détourner cette fête coloniale de son sens s’avérait très peu efficace sur le plan symbolique. Même le grabuge traditionnel des Irlandais dans Griffintown le jour de la fête de la reine se révélait plus pertinent sur le plan politique. Cette fête n’est pas qu’un congé dont un décret canonique peut pluraliser le sens. Il ne s’agit nullement d’une fête traditionnelle qu’on peut investir d’un sens nouveau. Cette fête existe pour souligner l’anniversaire de l’impératrice britannique. À partir de là, nous devons non seulement refuser de fêter notre sujétion, mais trouver une manière de la contester.
Le jour de naissance de la reine Victoria en 1837 est à l’origine de la date choisie pour célébrer le souverain de l’empire. À ce moment, au Canada, les parlementaires patriotes contestent l’autorité des représentants de la reine et de grandes assemblées sont tenues pour réclamer un gouvernement responsable élu par le peuple. Il ne peut pas y avoir meilleure réponse à la fête du monarque que de rappeler les luttes politiques pour la république. Fêter les patriotes indique que nous refusons de nous considérer comme des sujets de la reine et que nous travaillons, à l’instar des Patriotes de 1837 et 1838, à devenir les citoyens de notre république.
Bien sûr, comme le soulignait Pierre Falardeau, la date du 15 février, jour du drapeau canadian, pourrait également passer pour une fête patriote. La fierté canadian, emballée dans son chiffon rouge, supporterait mal le rappel des pendus des rébellions. Mais le jour du drapeau est une fête mineure, non-fériée, qu’on peut déjà célébrer en se repassant le film de Jean Chrétien enfonçant ses doigts dans la bouche d’un manifestant en 1996. En fait, si la pendaison des Patriotes est un événement dont l’anniversaire doit être souligné, on ne pourrait en faire une fête. Il s’agirait plutôt, comme le Jour du Souvenir, d’une journée de mémoire recueillie. C’est d’ailleurs ce type de commémoration que les promoteurs d’une journée des Patriotes envisageaient, à ce qu’il me semble. Entre la Toussaint et l’Armistice, on a l’habitude de saluer les morts.
À l’opposé, le potentiel festif de la Journée nationale des Patriotes est grand et il ne tardera pas à se manifester au cours des prochaines années. Le congé lui-même est là, entré dans nos traditions comme la fin de semaine à partir de laquelle commencent la plantation des annuelles, l’ouverture du chalet ou le bonheur de se réunir à l’extérieur pour habiter le pays. Il ne restait qu’à lui trouver un nom convenable. Certains persisteront à louvoyer entre la canadian «fête de la reine» et la fédéraliste binationale «fête de Dollard», mais la Journée nationale des Patriotes s’imposera inexorablement parce qu’elle correspond à une symbolique plus puissante.
En nous tournant vers le jour férié que nous n’avions pas tout à fait réussi à faire nôtre, nous donnons un sens nouveau à la lutte des Patriotes. Les morts n’excitent jamais les jeunes autant que les vieux. Avant de parler des morts aux premiers, il nous faut leur expliquer ce qu’ils avaient fait d’extraordinaire avant de mourir. La démarche démocratique des Patriotes est à l’origine de notre lutte actuelle pour l’indépendance. Il s’agit du printemps de notre mouvement. À ce moment de l’année, les semences sont commencées et l’on se met à supputer la récolte à venir. L’histoire de cette phase du mouvement indépendantiste résonne parfaitement bien aux oreilles des plus jeunes, peu importe leurs origines ethniques. Cette idée de participer à l’élaboration du projet collectif répond à leurs aspirations.
Il reste que, de ces innombrables Patriotes qui prirent part au mouvement d’émancipation démocratique, une tête dépasse. Michel Lapierre disait d’elle :
«Il aura fallu attendre 1960 pour que cette tête réapparaisse dans toute son ampleur, comme si le Québec avait cessé de penser entre 1840 et 1960. Même la tête de Henri Bourassa ne fait pas le poids devant celle de Papineau. Le grand-père est démesurément plus moderne que le petit-fils. Même la tête de Groulx ne surpasse pas la tête à Papineau. C'est que le plus grand homme politique de notre histoire était un révolutionnaire.»
Sur cette photo que j’ai tirée d’un document pdf du site de la capitale nationale, on le voit tel que le photographe Jules-Ernest Livernois l’a immortalisé entre 1850 et 1860. Agé de soixante-dix ans, après des dizaines d’années de luttes où jamais il n’a abandonné ses principes, son visage irradie encore d’une force intérieure indomptée.
La vieille impératrice peut aller se rhabiller; 167 ans plus tard, le jour de son anniversaire de naissance est devenu celui de la fête à Papineau!
Sylvain Deschênes
La chronique du vendredi de l'année dernière sur la Journée des Patriotes
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4 commentaires
Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre
21 mai 2012Ah, Sylvain, Sylvain, Sylvain!...
J'allais dire "le jupon passe"! Mais de mémoire de Vigilien, on a rarement vu participant se retrouver aussi vite les culottes à terre!
Oui, Pauline, ne vous en déplaise, est montée à la tribune et elle a parlé. Pour vous comprendre, je me rappellerai une belle foule en marche vers le Vieux, où Pauline est apparue au début, serrant ostensiblement des mains derrière la bannière, puis, pouf! Plus de Pauline du reste de la marche: les discours terminaux (faisait frisquet), à Larose!
Ah, mais aujourd'hui, elle a fait honneur aux Patriotes d'il y a 175 ans et d'aujourd'hui, qui sillonnent les rues sans relâche, défiant la loi inique qui veut la violence et le massacre! (pas son texte)
Joseph Berbery Répondre
21 mai 2012Merci pour cette première réponse. Je suis évidemment moins désolé. Il faut croire que, dans ses premières informations du moins, Radio Canada a péché par omission.
Archives de Vigile Répondre
21 mai 2012Sur la tribune, Pauline vient de faire un discours patriotique en conclusion de la marche des patriotes.
Joseph Berbery Répondre
21 mai 2012J'ai deux questions à poser. Je suis anxieux d'avoir des réponses.
1- Première question : La célébration des Patriotes est une journée chômée officielle au Québec. Pas de communiqué du «premier ministre du Québec» (?) à cette occasion? Rien? Nada? Niet? Nothing? La chaï'? (en arabe).
2- Deuxième question : Cette commémoration a été officialisée par un gouvernement péquiste. Pauline Marois désapprouve-t-elle cette décision? L'avez-vous vue à la commémoration populaire où se retrouvaient tous les patriotes cet après-midi? Pas même un communiqué, elle non plus?
De grâce répondez, quelqu'un!