La cour "suprême" et le cours d'éthique et de culture religieuse

La Cour Suprême : oui au droit de porter un poignard à l'école, non au droit de ne pas suivre un cours.

ECR - Éthique et culture religieuse

La Cour Suprême : oui au droit de porter un poignard à l'école, non au droit de ne pas suivre un cours.
Ainsi donc, la présence d'une arme blanche dans une cour de récréation serait moins dangereuse pour la société que l'absence de quelques élèves dans une salle de classe. Comment ça se fait?
On dirait que les tribunaux, appuyés sur les chartes des droits, défendent la liberté d'expression pour motif religieux (autre exemple : le voile des femmes), mais se méfient de la liberté d'abstention pour motif religieux (être exempté du cours ECR, par exemple). Et, plus largement au niveau du climat social et politique dans un contexte de charte des droits, c'est comme si on aimait mieux la reconnaissance des différences, mais on a de la misère avec l'acceptation de la dissidence. Les droits des gais, par exemple, s'expriment désormais sur un registre festif tout au long de l'année, avec des célébrations saisonnières qui s'inscrivent parfaitement dans les valeurs de consommation marchande, qui sont celles de tout le monde. Il n'y a plus grand-chose de contestataire là-dedans par rapport à l'ordre établi, en tous cas économique (qui est tout, comme chacun sait). Mais on les "reconnaît". La dissidence de quelques centaines de parents dont on sent que leurs convictions désavouent quelques unes des valeurs de la société actuelle, ça, par contre, l'État estime de son devoir de la supprimer concrètement, alors même qu'ils ne perturbent vraiment pas grand-chose! Ce sont peut-être des hurluberlus aux yeux du plus grand nombre, pourtant ils ne vont pas haranguer les passants dans la rue ni se déguiser en costumes extravagants pour attirer l'attention! Bizarre, non?
Cette mise en valeur de la liberté d'expression et cette méfiance envers la liberté d'abstention, la célébration des "différences" et cette aversion pour des formes de dissidence authentique, à quoi cela revient-il, si ce n'est à dessiner les contours d'une société qui ne se veut pas pas si accuillante envers toutes les options de vie? Pourtant, c'est en vantant l'ouverture des Québécois qu'on a pu convaincre les croyants (les évêques québécois par exemple) d'accepter le cours ECR. En fait, c'est comme si le Québec avait de la misère avec la désobéissance civile (*). Celle-ci est depuis Thoreau comme une soupape de sûreté qui permet à la société, en Amérique du Nord, d'accepter et de gérer en son sein la présence d'éléments qui refusent de rallier la vie commune, au lieu de les pourchasser ou de mettre de l'énergie à tâcher de les circonscrire, comme on a traditionnellement fait dans les sociétés européennes (avec des résultats dont elles n'ont pas toujours eu lieu d'être fières)... Et pourtant, non. Sans doute, les Québécois dits de souche ont du mal à accepter les dissidents (les Témoins de Jéhovah sous Duplessis, tous les croyants convaincus aujourd'hui), mais l'État québécois, lui, sait très bien qu'il doit être souple avec certains acteurs.
Je l'ai compris un jour en lisant une intervention de Jean-Pierre Proulx au sujet de la question des écoles juives orthodoxes, par rapport au cours ECR (justement). Reconnaissant que c'était déjà tout un programme de vouloir les amener à se conformer aux grandes lignes du régime pédagogique, quel concept invoqua-t-il comme piste de solution en vue de ne pas faire trébucher ce projet sur l'écueil ECR? Eh oui, la vieille notion américaine de désobéissance civile. Soyez en certains: si la seule école privée religieuse à avoir officiellement demandé une dérogation au cours ECR est le collège catholique Loyola, ce n'est pas parce que les écoles juives (les illégales, mais aussi les légales) suivent le programme du ministère, c'est parce qu'elles ne se soucient pas de demander la permission de faire ce qu'elles font de toute façon, et parce que le gouvernement ne le leur imposera jamais. Si vous en doutez, allez voir les sites internet des écoles montréalaises Akiva, Maimonide, Bialik, et United Talmud Torah (toutes recconnues officiellement et parfaitement en règle), et demandez-vous si la conception de l'éducation qui en ressort peut cadrer avec une présentation "laique" du cours ECR. Demandez-vous si une telle présentation peut avoir cours à l'école privée musulmane Sogut du mouvement Gülen, qui n'est pas une secte, loin de là, mais une association de fidèles bien intégrés et très bien organisés, et aussi très fervents.
Conclusion: oui, la désobéissance civile doit bien exister au Québec. Mais contrairement aux Américains, il semblerait que nous n'ayons pas envie de l'admettre. En tous cas, en matière religieuse, ce n'est pas une option socialement acceptable pour les chrétiens, on dirait.
(*) S'agissant d'un programme scolaire, il serait peut-être plus approprié de parler du droit à l'objection de conscience. Celle-ci permettait jusqu'en 2008 de ne pas suivre les cours d'enseignement religieux confessionnel à l'école. Le rapport Proulx, qui est à l'origine du cours ECR, s'appuyait sur une expertise juridique affirmant qu'un tel cours passerait le test des conventions internationales sur les droits de la personne, en ce qui a trait au respect de la liberté de religion. Mais le rapport Proulx omet soigneusement de retenir une partie de cet avis formulé par Me Jose Woehrling, qui précise que pour être assuré de passer ce test, un tel cours devrait permettre l'objection de conscience, comme dans le cas d'un cours de religion. C'est pourquoi, maintenant que les recours des parents contestataires sont épuisés en droit interne, il pourrait leur rester la possibilité (à eux ou à d'autres parents) de porter cette affaire devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU. Celui-ci s'est déjà prononcé sur des plaintes de Québécois critiquant la loi 101 (en 1993). L'ONU a aussi enquêté sur les pratiques des Centres jeunesse en 2005.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 février 2012

    Par une circonstance de la vie, j'ai donné ce cours d'Éthique et Culture Religieuse dans une école secondaire de 2009 à 2010. J'ai constaté que dans les médias et autour de moi, il se disait beaucoup de choses fausses par rapport à ce cours.
    Sachez qu'il est très facile de donner ce cours tout en évitant de parler des religions proprement dites. Personnellement, j'avais dans mes classes de tout, y compris des musulmanes à la tête voilée (mais pas le visage caché). Le cours "ECR" est ce cours (pas obligatoire pour réussir son année scolaire) qui permet de "décrocher" des gros cours exigeants comme Français et Mathématiques et de parler de la vie et de "philosopher". Comme l'était les anciens cours de religion et de morale et de FPS (Formation Professionnelle et Sociale) à l'époque où j'étais moi-même au secondaire.
    Sachez que les manuels scolaires (il en existe plusieurs sortes selon les offres des éditeurs scolaires qui y voient un nouveau créneau à remplir)ne sont pas obligatoire. Quand j'entends des parents se plaindre qu'ils ne veulent pas ce cours pour leurs enfants en se basant sur ce qu'il y a dans tel ou tel manuel, je me dis qu'ils devraient davantage s'en prendre à l'enseignant qui a adopté ce manuel qu'au cours proprement dit.
    Personnellement, je m'en suis tiré avec le visionnement de certains films que je considère importants (comme le "I comme Icare" d'Henri Verneuil, avec sa reproduction de l'expérience de Milgram) et avec discussion de groupe et travail écrit sur le propos du film. Tout s'est bien passé, je n'ai pas eu un seul parent révolté par mon cours ECR et j'ai bien constaté qu'il n'y avait pas de problème fondamental avec ce cours pendant que j'entendais les vociférations haineuses de Benoît Dutrizac et Alain Pronkin sur 98.5 FM. Mais dans ce dernier cas, le cours ECR ne sert que d'excuse pour faire la promotion du "conflit des civilisations".

  • Archives de Vigile Répondre

    20 février 2012

    Monsieur Gilbert
    Que vient faire encore la Cour Suprême dans les affaires du Québec? Suite au rejet du Québec, par Trudeau, avec son rapatriement unilatéral de la constitution canadienne de 1982 que le Québec n'a jamais signé, sans référendum, en plus, du gouvernement fédéral; comment se fait-il que le gouvernement québécois accepte encore de se faire dicter une ligne de conduite et à respecter encore cette ancienne constitution "canadian"? J'ai hâte qu'un constitutionnaliste vienne nous donner l'heure juste sur Vigile. Pourquoi pas, M. Brun, le constitutionnaliste que Marois vient de nommer pour les études sur l'indépendance du Québec?
    Le 20 octobre dernier, j'ai fait cette demande dans un commentaire sur ce site et, depuis, j'attends une réponse claire, nette et précise. Moi, je n"arrête pas de dire que le Québec est indépendant depuis cette bavure de Trudeau et qu'il n'a qu'à proclamer son indépendance unilatéralement en prenant le pouvoir. Évidemment, ça va prendre un parti indépendantiste dont les dirigeants ont des couilles. Nous l'avons le pays, seule la reconnaissance manque.
    André Gignac 20/2/12