J'ai une petite devinette pour vous. Qui, croyez-vous, a prononcé ces paroles dignes d'un grand démocrate: "J'ai hâte de pouvoir travailler avec tous les partis et tous les élus du Parlement afin de construire des consensus et faire avancer le Canada!"
Eh bien, incroyable mais vrai, ces paroles furent celles d'un certain Stephen Harper. C'était le soir du 23 janvier 2006. Date où le nouveau Parti conservateur - fruit de l'union de l'ancien PC et de l'Alliance canadienne - détrônait les libéraux et récoltait un gouvernement minoritaire.
Pourtant, à peine quatre ans plus tard, ces gazouillis tout doucereux d'un Stephen Harper fraîchement "couronné" premier ministre passeraient aujourd'hui pour une véritable hallucination auditive!
C'est qu'à l'usage, M. Harper s'est avéré être tout sauf un grand démocrate et un homme de "consensus". En fait, force est de constater qu'il est devenu le PM fédéral le plus autoritaire de l'histoire du pays. Hormis, bien sûr, quelques épisodes peu glorieux, dont celui d'Octobre 70 sous Pierre Trudeau.
Autoritaire, il est également le seul PM à avoir fait proroger le Parlement pour des raisons strictement partisanes. Et ce, deux années de suite.
En 2008, il devenait même le seul PM au monde, tous parlements de type britannique confondus, à se servir de la prorogation pour se sauver d'un vote de confiance perdu d'avance.
Résultat: le 23 janvier dernier, date anniversaire de sa première élection, plus de 200 000 signatures avaient été amassées par pétition pour dénoncer cette seconde prorogation et des milliers de Canadiens manifestaient leur colère dans plus de 50 villes. Même à l'étranger! C'était du jamais vu.
Toé, tais-toé!
Face à son caucus et à son cabinet, M. Harper est aussi un chef contrôlant. Très contrôlant. À ses yeux, même la haute fonction publique, dont les diplomates, n'est qu'une empêcheuse de gouverner en rond.
À part quelques rares exceptions, M. Harper donne l'impression de traiter ses ministres comme le faisait le "cheuf" Maurice Duplessis lorsqu'il leur lançait son légendaire "Toé, tais-toé!"...
Même les journalistes doivent subir le contrôle exercé par son attaché de presse lorsqu'il choisit lequel ou laquelle aura le "privilège" de poser une question au PM.
Idéologue impénitent sous des dehors de PM "pragmatique", son parti pris anti-étatique finira par priver le gouvernement de 220 milliards de dollars en revenus sur un horizon de cinq ans. Une erreur monumentale.
M. Harper semble aussi travailler très fort à faciliter le glissement du pouvoir économique et politique vers l'Ouest canadien, à éviter toute approche responsable sur l'environnement ou à faire perdre au Canada une partie de sa bonne réputation sur la scène internationale.
Partisan jusqu'à l'os et obsédé par la joute politique, il aura aussi importé des États-Unis un usage répété de ces détestables publicités dites négatives contre son adversaire principal, soit le chef libéral du jour.
Plus grave encore quant au fond des choses, cherchant à casser les reins de l'opposition une fois pour toutes, le PM s'est même engagé à couper les subventions publiques aux partis fédéraux s'il est réélu. Maurice Duplessis ne ferait pas mieux s'il sortait aujourd'hui de sa tombe...
Tout cela fait partie de sa quête: remplacer le Parti libéral en tant que natural governing party of Canada, comme on dit chez les politologues. Pour ce, il a monté une machine électorale férocement riche et capable de cibler les clientèles, à conserver ou à séduire, avec la précision d'un neurochirurgien.
Oups... après avoir tout de même "échappé" le Québec pour de bon, ses principales cibles demeurent les lobbys et les électeurs de droite et de centre-droite. Mais sa plus grande réussite aura sûrement été d'avoir mis le grappin sur la chasse anciennement gardée des libéraux - des communautés et leaders de groupes ethniques et/ou religieux.
Et pourtant, malgré un tel arsenal et des coffres débordants d'argent, le Parti conservateur n'a toujours pas sa majorité. En 2008, même face à Stéphane Dion, seulement 37 % des électeurs votaient pour lui.
Lui reste alors son arme ultime pour conserver le pouvoir, quitte à rester minoritaire: une droite unie sous Harper face à un centre-gauche divisé entre le PLC, le NPD et le Bloc.
Iggy, il s'appelle Iggy...
Pendant ce temps, du côté de l'"alternative", bien des Canadiens se demandent encore ce que pense, ce que veut et ce que ferait un Parti libéral au pouvoir sous Michael Ignatieff.
L'an dernier, M. Ignatieff a même publié un ouvrage autobiographique de 208 pages contenant zéro vision. Un véritable exploit, mais tout un gaspillage d'arbres!
Baptisé "Narcissief" par mon collègue Rick Salutin du Globe and Mail, Iggy semble tout de même commencer à comprendre que son "auguste personne" ne suffira pas toute seule à défaire Harper. Quoique, si le PM continue à s'entêter à confirmer ses pires défauts auprès de l'électorat, il pourrait bien finir par se défaire lui-même.
Quelques sondages récents indiquent d'ailleurs cette possibilité. Il faut croire que cette seconde prorogation, la performance décevante de M. Harper au sommet de Copenhague et son refus de faire toute la lumière sur l'affaire des prisonniers afghans torturés réussissent à faire monter le PLC dans les sondages bien plus que ne le fait M. Ignatieff lui-même!
Mais entre les élections, les sondages ne sont que des sondages. Ou, si vous préférez, une forme d'hallucination visuelle...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé