De plus en plus d’élèves en difficulté ont droit à du temps supplémentaire pour compléter leurs examens, une mesure d’accommodement considérée comme un véritable «fléau» par des acteurs du réseau scolaire, alors que d’autres défendent sa pertinence.
Sylvain Dancause enseigne les mathématiques en première secondaire dans une école de Québec. Cette année, près de 20% de ses élèves ont droit à du temps supplémentaire lors des évaluations, soit un tiers de plus que le temps normalement alloué. Cette proportion a grimpé en flèche au cours des dernières années, si bien que l’enseignant n’hésite pas à parler «d’épidémie».
Même son de cloche de la part de Sylvie Zielonka, enseignante d’histoire en cinquième secondaire dans une école de Montréal. «Ça augmente à chaque année. Dès qu’un élève a de la difficulté, on va tout de suite lui accorder du temps supplémentaire», lance-t-elle. Dans ses groupes, cinq à six élèves en moyenne bénéficient de cette mesure, indique-t-elle.
Au quotidien, l’ajout de temps supplémentaire représente un véritable casse-tête pour les enseignants (voir autre texte). «De nombreux profs au secondaire s’arrachent les cheveux sur la tête. Ça devrait être l’exception, mais c’est rendu la norme. C’est un fléau», lance Nathalie Morel, vice-présidente de la Fédération autonome de l’enseignement.
Il s’agit même de l’une des préoccupations majeures en vue de la prochaine négociations dans le secteur public, «tellement les profs n’en peuvent plus», ajoute Mme Morel.
Un «diachylon»
Depuis environ une dizaine d’années, il est permis d’ajouter des «mesures adaptatives» dans le plan d’intervention d’un élève en difficulté, dont l’ajout de temps supplémentaire lors d’examens. Cette mesure a été mise en place dans un souci d’équité envers les élèves qui ont des troubles d’apprentissage (voir autre texte).
Or depuis 2017, il est permis d’ajouter du temps supplémentaire pour tout élève en difficulté, y compris ceux qui n’ont pas de diagnostic.
La FAE ne remet pas en question la pertinence de cette mesure «dans des cas rares et précis» : un élève dyspraxique qui écrit moins vite que ses camarades de classe ou un élève dyslexique qui éprouve des difficultés en lecture, par exemple.
La situation est toutefois différente pour des élève faibles, sans diagnostic formel, selon la fédération syndicale. Ces élèves auraient besoin de services spécialisés, mais on leur accorde du temps supplémentaire à défaut d’avoir un orthopédagogue ou un psychoéducateur pour leur donner un coup de pouce, déplore Mme Morel, qui compare cette mesure à un «diachylon».
Un avis partagé par Sylvain Dancause : «Ça ne règle pas le problème», notamment dans le cas d’élèves anxieux Mais il s’agit d’une mesure «qui ne coûte rien» et qui «fait l’affaire» des directions d’école et des parents.
Pression des parents
Plusieurs font d’ailleurs pression sur le personnel scolaire pour obtenir du temps supplémentaire, «au cas où leur enfant manquerait de temps» pendant les examens, raconte l’enseignant.
Puisque cette décision ne repose pas toujours sur des évaluations professionnelles rigoureuses, l’enfant qui a un parent «qui gueule un peu plus fort que les autres» a plus de chances d’obtenir du temps supplémentaire, déplore M. Dancause.
Un casse-tête logistique pour les enseignants
Permettre à des élèves en difficulté de compléter leurs examens avec un tiers de temps supplémentaire représente un véritable casse-tête pour les enseignants au quotidien, en particulier au secondaire.
Il y a quelques années, Sylvain Dancause tentait d’accommoder les élèves qui avaient droit à du temps supplémentaire en leur permettant de terminer leur examen le midi. Une façon de faire compliquée à gérer, à la fois pour l’élève et l’enseignant, qu’il a finalement abandonnée. «À la longue, ça use, c’est trop de gestion», lance-t-il.
Maintenant, lors d’une période de classe de 75 minutes, l’enseignant prévoit un examen d’une durée de 50 minutes, afin de permettre aux élèves qui ont droit au temps supplémentaire de terminer l’évaluation dans la même période.
Mais cette façon de faire a aussi ses inconvénients. «Pour les élèves qui ont terminé leur examens, il faut que le reste de la période se passe en silence, je ne peux pas enseigner à cause de ceux qui n’ont pas terminé. Qu’est-ce que je suis supposé faire avec mes élèves?», lance M. Dancause.
Les défis logistiques sont les mêmes dans la classe d’histoire de Sylvie Zielonka, en cinquième secondaire, qui a aussi testé ces deux différentes façons de faire. Verdict? «Il n’y a pas de solution gagnante, c’est difficilement applicable», lance-t-elle.
La période la plus facile à gérer est celle des examens de fin d’année, raconte les enseignants, puisque les élèves qui ont droit au temps supplémentaire sont généralement regroupés dans un même local.
Selon la Fédération autonome de l’enseignement, cette réalité touche une majorité d’enseignants du secondaire dans les classes régulières du réseau public. Les profs qui peuvent prévoir la même durée pour tous leurs élèves lorsqu’ils distribuent une copie d’examen représentent plutôt l’exception.
Une mesure justifiée pour les élèves avec des troubles d’apprentissage
L’octroi de temps supplémentaire en période d’examens pour des élèves avec des troubles d’apprentissage est une mesure tout à fait «justifiée», qui découle d’un «choix de société» qui peut faire «toute la différence».
C’est ce qu’affirme Frédérique Escudier, coordonnatrice scientifique de l’Institut des troubles d’apprentissage.
Cette dernière compare les troubles d’apprentissage à un handicap physique. Un élève dyslexique – qui a de la difficulté à décoder les mots – aura besoin de temps supplémentaire pour faire un examen au même titre qu’un élève aveugle qui lit en braille, explique-t-elle.
La littérature scientifique a démontré que les élèves qui ont des troubles d’apprentissage sont plus lents et que l’octroi du temps supplémentaire lors d’examens peut leur être bénéfique, souligne-t-elle.
Accorder cette mesure sans diagnostic préalable permet par ailleurs de contourner les problèmes d’accès aux services d’évaluation, précise Mme Escudier. Certains élèves ont de réelles difficultés, mais ils n’ont pas de diagnostic parce que l’école ne peut leur offrir ce service, qui est souvent trop dispendieux au privé, souligne Mme Escudier.
«Oui, l’enseignant peut se demander si cet élève en a vraiment besoin, ce sont des préoccupations légitimes. Mais l’idée, c’est qu’on ne veut pas porter préjudice à des enfants qui ont des difficultés significatives, qui ont probablement un trouble, mais qui n’ont pas accès à une évaluation», explique-t-elle.
Mme Escudier affirme que cette mesure pourrait aussi être pertinente pour un élève en difficulté, sans troubles d’apprentissage, qui a des capacités «un peu sous la moyenne».
«Est-ce que cet enfant-là ne mérite pas d’avoir un peu d’aide pour démontrer ces compétences, par rapport à un enfant qui a un trouble d’apprentissage? Ce n’est pas si facile à répondre», affirme-t-elle.
Temps supplémentaire pendant les examens pour les élèves en difficulté
Ce qu’en pense la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse :
«Plusieurs établissements accordent systématiquement un tiers du temps (lors des évaluations), sans évaluer les capacités et les besoins de l’élève, mais plutôt en fonction du type de handicap, notamment pour les élèves qui présentent des troubles d’apprentissage.(...) L’application systématique de la règle du tiers temps s’inscrit en faux contre l’approche individualisée des besoins préconisée par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et est contraire à la logique même de l’accommodement raisonnable qui découle du droit à l’égalité.»
Source: Rapport sur le respect des droits des élèves HDAA, publié en 2018 par la CDPDJ