(ce texte date d’avril 2007)
Duplessis a le dos large. Son nom est encore revenu sur le tapis dans le débat sur la présence d’un crucifix à l’Assemblée nationale depuis 1936. « Cette décision de Duplessis n’est pas fortuite, a écrit un historien dans le Devoir du 27 janvier dernier (2007) : elle est réfléchie et correspond au désir du nouveau gouvernement d’effectuer un virage dans les relations entre l’Église et l’État québécois. Duplessis veut montrer qu’il se distingue des gouvernements libéraux antérieurs en étant davantage à l’écoute des principes catholiques ».
Duplessis est évidemment le coupable. Au premier degré en plus, comme on dit au prétoire. Et il aurait récidivé au Salon rouge. L’affaire est jugée, mais n’est-elle pas préjugée ?
***
Il y avait un autre suspect : Albiny Paquette, médecin, député de Labelle et ministre dans le premier cabinet Duplessis. Dans ses mémoires publiées en 1977 (Soldat, médecin, maire, député, ministre : 35 années à la législature de Québec), le docteur Paquette dit avoir donné, quelques jours après son assermentation comme secrétaire de la province (soit le 26 août 1936), « instruction de placer des crucifix au-dessus des fauteuils du président de l’Assemblée législative et du Conseil législatif » ; le député de Labelle aurait aussi, dans un discours à la Chambre, expliqué qu’il voulait par ce geste « donner aux valeurs spirituelles et religieuses l’importance qui leur revient dans notre société chrétienne ».
Un avocat de la défense saurait utiliser ce témoin important, qu’on ne peut plus contre-interroger, mais sa confession soulève plusieurs doutes. De quel droit aurait-il donné des « instructions » ? Le Parlement est encore relativement autonome en 1936 (on n’est pas en 1956…) ; l’Assemblée législative a un président qui administre l’institution, avec trois ministres désignés par le Conseil exécutif, et Paquette n’est pas du nombre. Du point de vue matériel, l’Hôtel du Parlement est géré par les Travaux publics, ce qui n’est pas la responsabilité de monsieur Paquette non plus. Enfin, un ministre aurait été bien mal avisé de donner des instructions à un Conseil législatif plutôt indépendant de nature et surtout très majoritairement libéral après 40 ans de régime rouge ! En octobre 1936, Duplessis n’y avait que deux appuis sûrs : le président Alphonse Raymond, qui vient justement d’entrer au Conseil, le Thomas Chapais, qui s’y trouve depuis 1892.
Par ailleurs, le discours que le député de Labelle prétend avoir prononcé est introuvable dans les débats parlementaires reconstitués (il n’y avait pas de verbatim à l’époque) ; s’il a fait un discours à ce sujet au début de la session d’octobre 1936, aucun journaliste n’en a parlé, même dans La Voix du Nord, l’hebdo de son coin.
Paquette aurait certes été du genre à accrocher des crucifix. En 1936, il est sur le point de récolter des honneurs qui couronnent une carrière entreprise au Proche-Orient avant la Grande Guerre et qu’on ne donne pas aux mécréants : décoration de l'Ordre latin, croix de Jérusalem, grand-croix de l'Ordre équestre du Saint-Sépulcre, croix d'or de Saint-Jean-de-Latran, etc. Mais se serait-il attribué un mérite à la place de son chef : n’est-ce pas inconvenant ? Faut-il plutôt penser que le bon docteur de Mont-Laurier s’est emmêlé dans ses souvenirs quand il a écrit ses mémoires peu de temps avant sa mort, à près de 90 ans ?
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Au lendemain de l’ouverture de la session d’octobre 1936, les médias ne font pas un plat de l’apparition d’un crucifix dans la salle des séances. La plupart des journaux en traitent comme ils parlent de la nouvelle couleur du ruban qui décore le discours du trône. Une mention sans émotion. Le Nouvelliste se démarque en plaçant la nouvelle en première page dans un encadré : « Pour la première fois dans l’histoire politique du Québec, le Christ présidera aux délibérations de l’Assemblée législative ». Le quotidien de Trois-Rivières attribue « ce geste de foi » à Duplessis, comme deux ou trois autres dont L’Action catholique qui précise qu’un crucifix a aussi été placé « dans la salle du Conseil exécutif […] à la demande de M. Duplessis » qui en a mis un dans son bureau. Il n’est pas question de la salle du Conseil législatif et, dans l’état actuel des recherches, on croit plutôt qu’un crucifix y a été installé un peu plus tard à la demande de Médéric Martin, cigarier de son état, ancien maire de Montréal, libéral en politique et surtout pas porté à servir d’exécutant pour Duplessis.
Aucun chroniqueur ne parle du docteur Paquette, mais plusieurs quotidiens rappellent que l’installation d’un crucifix fait suite à une intervention du député Nil-Élie Larivière, au cours de la session du printemps 1936. Né en Ontario, où il n’a pu étudier dans sa langue à cause du funeste Règlement XVII, Larivière s’est installé à Rouyn ; il a été colon, bûcheron, mécanicien, « voyageur de commerce », épicier, garagiste et finalement député de l’Action libérale nationale dans la circonscription de Témiscamingue. C’est lui qui « attache le grelot » pendant le débat sur le budget le 12 mai 1936 :
« Lorsque je suis arrivé [au Québec], je croyais que la province de nos ancêtres était gouvernée par des Canadiens français fidèles à leurs traditions. J’ai entendu nos amis de la droite parler de leur croyance, l’honorable premier ministre dire qu’il était le fils d’une sainte. Mais une chose m’a étonné. On reproche au premier ministre Anderson, de la Saskatchewan, d’avoir fait disparaître les costumes religieux dans sa province. Comment se fait-il – c’est ce qui m’a étonné – que dans un Parlement catholique, où le premier ministre proclame que sa mère était une sainte, qu’il n’y ait pas de crucifix au-dessus du fauteuil du président ? »
Pendant le débat sur le « discours du trône », le premier ministre Taschereau avait fait une longue profession de foi au cours de laquelle il s’était défendu d’être incroyant et de diriger un parti antireligieux. Taschereau avait longuement énuméré les gestes posés par le Parti libéral en faveur des institutions catholiques ; il était remonté jusqu’à la restitution des biens des jésuites par Honoré Mercier, en passant par sa propre participation aux congrès eucharistiques de Thetford Mines, Montréal et Chicago. Et il n’avait surtout pas manqué de rappeler un geste capital : « On nous a demandé de placer des crucifix dans toutes les salles d’audience des palais de justice et nous en avons mis ». Le docteur Paquette lui-même le soulignera à ses collègues au cours du débat sur le budget « En lisant les Comptes publics, je remarque que le gouvernement a acheté pour 7894$ de crucifix. C’est évidemment un gouvernement chrétien ».
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Le gouvernement Taschereau a donc mis des crucifix dans tous les palais de justice du Québec et Duplessis « a complété l’œuvre » des libéraux, comme l’écrit L’Action catholique le 8 octobre 1936. Le « virage » qu’on lui attribue n’a étourdi personne. Il s’agissait plutôt d’une accélération en ligne droite et « l’événement » est presque passé inaperçu. Le Clairon de Saint-Hyacinthe, qui appartenait à T.-D. Bouchard, alors chef de l’Opposition officielle et présumé chef de file de « l’aile radicale » du Parti libéral, n’a pas réagi. Le crucifix de 1936 ne dérangeait pas et les journaux l’ont traité comme s’il allait de soi : pour utiliser un terme à la mode, il était dans les « normes ».
Duplessis, le crucifix et le garagiste de Rouyn
Laïcité — débat québécois
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3 commentaires
Francis Déry Répondre
19 août 2012T.D. Bouchard était surnommé par Duplessis le Diable de Sainte-Hyacinthe. Il se rattachait à un anticléricalisme associé à l'Institut Canadien. Ceux qu'on appelait les Libéraux. Dans les années 30, quand la situation du Saint-Siège s'est régularisée grâce aux Accords de Latran, le Pape ne passait plus pour un ennemi du modernisme, pour cette période. Les Libéraux ont ainsi cherché à se dédouaner de leur anticléricalisme. TD Bouchard était un poids lourd du régime Adélard Godbout: Premier directeur d'Hydro-Québec, il était un haut-gradé de la franc-maçonnerie canadienne-française dans la loge L'Émancipation.
Lors de son premier discours comme sénateur en 1944, il dénonce l'Ordre de Jacques-Cartier et les nationalistes canadiens-français. Disons que la pénétration d'Hydro-Québec par les sectes remonte déjà depuis sa fondation.
Lecture pro-TD Bouchard :
GUTTMAN, Frank Myron, The Devil from Saint-Hyacinthe: Senator Télesphore-Damien Bouchard, A Tragic Hero, iUniverse Books, New York, 2007, 405 p.
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Ce qui est gênant avec cette charge, c'est que la logique de la laïcité devrait s'appliquer aussi avec la Croix du Mont Royal.
http://grandquebec.com/montreal-touristique/croix-mont-royal/
Nous pouvons lire le discours officiel de l'Histoire. La Société Saint-Jean-Baptiste a voulu recréer le geste de Maisonneuve, en proposant d'installer une croix sur le mont Royal en 1874. Maisonneuve a voulu remercier Dieu de les avoir épargnés lors d'une forte crue du Saint-Laurent.
Maisonneuve était un mystique membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, une société secrète catholique de propagation de la Foi opposée au Calvinisme.
La SSJB est elle-même une société pour la préservation de la race Canadienne-Française. Sa proposition fut lancée après la Confédération pour rappeler l'héritage national dans la province de Québec. Elle pouvait faire écho aux croix qui brûlent du KKK qui rappelle aux Blancs Confédérés de ne pas oublier leur héritage identitaire malgré la défaite. La Croix du mont Royal devait rappeler aux Canadiens-Français de veiller sur ses deux vertus cardinales de l'identité que sont la langue française et la foi catholique. L'idée d'une croix lumineuse dans l'univers chrétien se retrouve dans la Légende Dorée (légende de Saint Hubert) et l'évêque Cyrille mentionna une apparition d'une croix lumineuse dans le ciel de Jérusalem dans une lettre à l'empereur Constance Gallus en 351.
Celles du KKK rappelle l'héritage des clans écossais. Le geste de brûler une croix n'est pas blasphématoire (lightening of the cross), mais relève de la tradition des croix celtiques qui alertaient le clan lors d'attaques ou pour mettre le peuple en état de veille. Le geste est devenu un rituel dans les actes de fondation. Le roman Tai-Pan de James Clavell décrit le vieux rituel avec l'allumage d'une croix sur le sommet du pic Victoria lors de la prise de possession britannique de l'île de Hong Kong en 1842.
La croix celtique est un rappel de la croix qui brûle tel un phare dans la nuit. Elle est répandue en Grande-Bretagne et en Irlande grâce aux moines Culdee (Céli Dé) qui ont aussi propagé sur le continent à l'époque carolingienne.
Elle est devenue un symbole d'identité chrétienne, d'abord avec le mouvement identitaire panceltique des années 1850.
Elle sera reprise en France par les scouts catholiques sous l'égide du père Paul Doncoeur, fondateur des routiers.
Sa représentation fut adoptée par Pierre Sidos pour son mouvement politique Jeune Nation en opposition au général de Gaulle et à sa croix de Lorraine, puis par l'Œuvre Française qui y succédera.
L'emblème est devenue depuis le symbole de l'extrême-droite identitaire, mais rejeté par le Front National.
Quant à notre innocente croix du mont Royal, elle fut finalement érigée en mai 1924. Le KKK était à son sommet aux États-Unis. L'Ordre de Jacques Cartier n'existait pas encore. Cette croix bien catholique était une réponse du rappel de la survivance canadienne-française en Amérique du Nord, malgré la dominance de l'Orangisme au Canada. Faite selon les plans du prêtre sulpicien Pierre Dupaigne, ce qui rendit hommage aux premiers propriétaires de Montréal, pour être éclairée gratuitement par la Montreal Light and Power (devenu Hydro-Québec en 1944). En 1929, la SSJB se déleste de la responsabilité d'entretenir la croix en l'offrant à la Ville de Montréal qui s'en charge malgré l'absence de documents prouvant la transaction. Ce n'est qu'en juin 2004 que la Ville approuve la transaction.
Un mélange de collusion raciale (au sens nationaliste), religieuse, corporative (Hydro-Québec) et politique (Ville de Montréal qui doit irriter les apôtres du multiculturalisme et de la laïcité telle la républicaine athée musulmane maghrébine Djamilah ben Habib.
Cette croix est bien plus dangereuse pour l'Ordre Nouveau que celle de l'Assemblée Nationale, puisqu'elle rappelle nos racines dans l'Ancien Régime, ainsi que le nationalisme identitaire blanc. Les apôtres du Grand Orient de France sur notre sol n'auront de cesse de la combattre.
Alors nous devrions être plus derrière
.
Après ces deux croix, les purs et durs voudront s'en prendre à la croix lumineuse au sommet de la colline du parc Columbia où se trouve actuellement le centre hospitalier Pierre-Janet. Cette croix proposée par Oscar Duquette fut réalisée par la SSJB de Hull en 1950.
http://www.reseaupatrimoine.ca/cyberexpositions/les-tresors-du-patrimoine/la-multi-confessionalite/la-grande-croix-lumineuse-de-hull/
Et que dire des croix qui bordent nos routes ?
Je m'interroge si la croix qui marque l'entrée dans Montréal-Nord par le pont Pie-IX, va subsister après les travaux changeant le viaduc Henri-Bourassa en carrefour.
Pie-IX est aussi un nom de rue qui dérange les laïcistes.
Le boulevard Pie-IX fut baptisé pour souligner la cause des Zouaves Pontificaux du Canada très populaires sous Maurice Duplessis.
Archives de Vigile Répondre
19 août 2012"Né en Ontario"
Difficile d'ouvrir un livre d'histoire du Québec sans tomber sur un enfant de la diaspora. Hélas, on ne rouvre pas très souvent nos livres d'histoire...
http://www.vigile.net/-2012-Diaspora-quebecoise-
Jean-Louis Pérez-Martel Répondre
18 août 2012Monsieur Deschênes,
Merci infiniment de nous faire connaître une autre page de l’humanisme des Canadiens français qui est reniée aujourd’hui par les faux progressistes, faisant appel à ceux qui veulent imposer leur histoire de violence et d’effrontément fratricides par celle qui a fait du peuple canadien-français une société solidaire, développée, démocratique et antimarxiste.
La haine de soi ancrée dans les esprits des gauchistes radicaux ne pourra jamais effacer l’extraordinaire Histoire du peuple canadien-français.
Cordialement,
JLPM