Le 7 avril 2015 marquait la première année de l’élection du gouvernement Couillard. Un gouvernement libéral et majoritaire.
En fait, le 7 avril 2014 marquait surtout le retour rapide du Parti libéral au pouvoir après un bref passage d’à peine dix-neuf mois dans l’opposition.
Plusieurs bilans en ont été faits. Pour ou contre, on connait tous son trait dominant : l’austérité budgétaire. Tel une monomanie, toutes les décisions gouvernementales semblent lui être soumises d’office.
Le reste, incluant une réforme majeure des structures du système de santé, semble lui paraître tout à fait secondaire.
Je soulignerais pour ma part quelques autres éléments qui m’apparaissent importants en cet An I de l’ère Couillard.
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Un mandat inversé
Le premier ministre n’aime pas le mot «austérité». Il n'aime pas sa connotation trop négative. Son objectif réel est pourtant évident : réduire à terme le rôle de l’État dans la société québécoise. Et ce, par le biais d’une réduction des services publics dont on ne mesurera l’ampleur réelle qu’ au cours des prochaines années.
En campagne électorale, le Parti libéral promettait pourtant ceci : une relance économique si forte – le présumé «effet libéral» - qu’elle permettrait un assainissement réel des finances publiques.
Or, une fois élu, le gouvernement inversait lui-même sa propre proposition.
Le déficit-zéro serait dorénavant garant de la relance économique alors que la plupart des économistes avanceraient que l’austérité menace en fait toute relance digne de ce nom.
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De l’arrogance au mépris
Tout gouvernement majoritaire, au fil des ans, devient arrogant.
C’est un produit inévitable de notre système parlementaire. Un système où l’exécutif – le gouvernement et le premier ministre – exerce en fait un pouvoir presque absolu du moment où, majoritaire, il ne risque pas d’être défait en Chambre par l’opposition.
Ce qui distingue le gouvernement Couillard est la vitesse à laquelle l’arrogance du pouvoir s’est installée. Au point même où l’arrogance verse aussi parfois dans le mépris. Un mépris qui s’exprime essentiellement envers ceux et celles qui ne partagent pas sa vision austère de la gouvernance.
Mais il y a aussi cette autre forme de mépris – celle qui verse parfois dans l’insulte à l’intelligence des choses...
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Cachez ce mot que je ne saurais voir
Un premier exemple : la fameuse déclaration du premier ministre Couillard à l’effet que l’austérité n’existe pas, qu’elle ne serait, selon lui, qu'«une vue de l’esprit».
Le dernier budget Leitao a toutefois montré à quel point, même en santé et en éducation – ces supposées «missions essentielles de l’État -, l’austérité imposée par le gouvernement actuel est concrète sur le terrain.
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Quelqu’un a vu un «dialogue social» passer?
Un second exemple : l’automne dernier, l’omniscient président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, conviait les Québécois à ce qu’il appelait sans sourciller un vaste «dialogue social». Un dialogue où les citoyens, disait-il, pourraient suggérer eux-mêmes des manières de réviser les programmes gouvernementaux. Ou, si vous préférez, de couper.
M. Coiteux avait même mis en ligne une tribune web où les citoyens pourraient s’exprimer.
Si vous l’avez déjà oublié, ne vous en faites pas
C’est parce que cette tribune était essentiellement bidon. Une façade risible comme le sont malheureusement de plus en plus les «consultations» mises en ligne sur le web par les gouvernements. Celle du gouvernement Marois sur sa charte des valeurs en était également un cas patent.
C’est le genre de façade qui vise à faire croire aux citoyens qu’on les consulte alors qu’il n’en est rien.
C’est d’ailleurs précisément parce que le gouvernement Couillard refuse tout dialogue réel avec la population sur ses politiques d’austérité que «la rue» a repris du service pour tenter, tout au moins, d’exprimer un désaccord prononcé.
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Un amour de passage pour les «plus vulnérables»
Un autre exemple : encore M. Coiteux. Pendant qu’il passait les services publics à la tronçonneuse, il poussait l’enveloppe jusqu’à poster son message de Noël sur le web dans une courte vidéo pour l'occasion où il invitait les Québécois à célébrer «sous le signe du partage, de l’entraide et de la compassion envers les plus démunis et les plus vulnérables».
On lui connaissait déjà de grands talents de communicateur. Cette vidéo nous aura montré qu'il possède aussi un sens de l'humour tout à fait exceptionnel.
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Claude Castonguay envoyé aux orties
Autre exemple : l’été dernier, le ministre de la santé, Gaétan Barrette, envoyait littéralement à sa retraite l’ex-ministre libéral de la Santé, Claude Castonguay, pour la seule et unique raison qu’il avait osé critiquer la prime dorée de son collègue Yves Bolduc.
Traduction : il l’envoyait paître.
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Le ministre à la prime dorée
Autre exemple : encore l’été dernier, à la sortie de la nouvelle, le premier ministre lui-même banalisait les critiques, pourtant fondées, envers cette même prime généreuse de 225 000$ en fonds publics qu’avait encaissée son ministre de l’Éducation, Yves Bolduc.
Une prime encaissée alors qu’il était député de l’opposition et pratiquait la médecine en même temps.
Pour M. Couillard, ces critiques n’étaient en fait qu’une «bien grosse tempête dans un tout petit verre d'eau».
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L’«allié de la jeunesse»?
Autre exemple : sur le thème de la grève sociale des étudiants contre l’austérité et des manifestations qui ont repris, les perles de mépris se sont multipliées. Ce genre de mépris qui, dans les faits, est avant tout une insulte à l’intelligence des citoyens.
Le nouveau ministre de l’Éducation, François Blais, réussissait ainsi en une seule entrevue donnée à CHOI FM de Québec à :
- Nier le droit de grève étudiant;
- Encourager les recteurs à en expulser deux ou trois par jour pour «refroidir les ardeurs» des étudiants;
- Comparer les étudiants adultes à des enfants dont on doit «corriger» le comportement par des sanctions.
L’ultime et plus récent exemple : la semaine dernière, le premier ministre lui-même affirmait sans broncher que son gouverbement est en fait l’«allié de la jeunesse». Sans compter Martin Coiteux qui, de son côté, exhorte même les étudiants à se méfier des syndicats.
Le premier ministre et ses ministres ne cessent d’ailleurs de marteler leur nouveau mantra. À savoir que les sacrifices d’aujourd’hui serviraient au bien-être des prochaines générations. Ce mantra est servi à toutes les sauces. Même lorsqu'on lui rappelle que l'austérité frappe plus durement encore les femmes, le premier ministre s'en remet aux prochaines générations de femmes, qui selon lui, en profiteront.
Or, qui a demandé aux «prochaines générations» si elles veulent vraiment hériter d’une société moins équitable où les services publics auront été affaiblis et où le recours au privé aura servi de palliatif coûteux?
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Jouer à «qui est le plus austère?»
La dernière «ligne» gouvernementale en date est la suivante : «La qualité des services d'éducation et de santé a davantage souffert sous les politiques «d'austérité» du gouvernement de Lucien Bouchard à la fin des années 1990, a soutenu M. Couillard.»
En d’autres termes, le gouvernement joue dorénavant à «qui est le plus austère» - Bouchard ou Couillard?
Il est certes vrai qu'au milieu des années 1990, sous Lucien Bouchard, sa propre obsession du déficit-zéro avait provoqué des compressions majeures et des mises à la retraite massives de médecins et d’infirmières qui ont gravement affaibli les services publics – quantitativement et qualitativement. Je les ai d’ailleurs amplement analysées à l’époque où je signais une chronique pour Le Devoir.
Le problème, le vrai, est que, comme disent les Anglais : «two wrongs don’t make a right». Ou, si vous préférez, on ne répare pas une injustice par une autre.
Ce n’est pas parce que les services publics ont souffert sous Lucien Bouchard – et ils ont en effet beaucoup souffert -, que cela justifie la reprise de la saignée sous Philippe Couillard. Un massacre n’en justifie pas un autre.
Une chose est néanmoins sûre : les politiques budgétaires de messieurs Bouchard et Couillard reposent toutes deux sur une approche clairement austéritaire.
Selon l’économiste Pierre Fortin – un des membres fondateurs des «Lucides» et par conséquent, loin de loger à gauche de l’échiquier idéologique -, le Québec est en effet «un des États qui mène les politiques d’austérité les plus sévères parmi les pays riches». Pour lire son analyse, c’est ici.
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Un Québec «libre de ses choix»?
Le jour du premier anniversaire de sa prise du pouvoir, le premier ministre reprenait également une autre «ligne» qu'il répète depuis des mois. Soit que les compressions permettraient au Québec de retrouver la «liberté de ses choix» tout en étant «plus prospère» et «plus juste». Bref, comme un paradis perdu tout à coup retrouvé...
Du même souffle, il rappelle pourtant qu’une fois atteint l’équilibre budgétaire, les «surplus» dégagés iront à la réduction des impôts et de la dette. Des réductions d’impôts qui, comme par hasard, tomberont fort probablement à quelques mois de l’élection de 2018.
Traduction : ces «surplus» dégagés par les compressions n’iront pas, ou ne retourneront pas, aux services publics.
Résultat : cette «liberté» de faire ses choix est tout à fait factice. Les choix sont déjà faits.
En bout de piste, la vérité sortait plutôt de la bouche de Sam Hamad, l'inimitable ministre de la Solidarité sociale.
Lequel, bien candidement, avouait que la qualité des services pâtira nécessairement des compressions et d’une «rigueur budgétaire» appelée, semble-t-il, à s’installer à demeure...
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