Et de trois. C’est armé de l’adhésion du Canada à un traité international sur le commerce d’armes que Daniel Turp se tournera une fois de plus vers les tribunaux pour faire invalider la vente de blindés canadiens à l’Arabie saoudite. Le Devoir a appris que le constitutionnaliste s’adressera une nouvelle fois à la Cour fédérale d’ici quelques semaines.
M. Turp tente depuis deux ans de faire annuler le contrat de 15 milliards de dollars qui prévoit l’exportation de blindés du manufacturier ontarien General Dynamics Land Systems en Arabie saoudite.
Après deux revers en Cour fédérale, le professeur d’université et ex-député revient à la charge. Il évoquera cette fois-ci les obligations légales prévues dans la nouvelle loi canadienne qui entérine l’adhésion du Canada au Traité sur le commerce des armes de l’ONU. M. Turp prévoit en faire l’annonce jeudi, en marge d’une conférence sur le sujet à Genève. Son recours sera ensuite déposé à la Cour fédérale, suivant l’entrée en vigueur de cette loi le 17 septembre.
Daniel Turp estime que le changement législatif lui offre de nouvelles bases juridiques pour contester le contrat, approuvé par le gouvernement conservateur de Stephen Harper et confirmé par les libéraux de Justin Trudeau, qui ont signé les premiers permis d’exportation en 2016.
« La loi qui met en oeuvre le traité crée maintenant une obligation beaucoup plus claire qu’un ministre ne peut pas user d’une discrétion — comme il pouvait le faire avant — pour décider d’exporter [des armes] malgré un risque que les droits de la personne soient violés », fait valoir M. Turp en entrevue au Devoir. « C’est sur cette base juridique différente, beaucoup plus solide, fondée sur un traité auquel le Canada a maintenant adhéré, que le nouveau recours sera fondé. »
Une nouvelle contestation qui tombe à point dans le calendrier politique, selon M. Turp, puisqu’elle sera présentée en pleine campagne électorale fédérale. « Ça va relancer le débat. Peut-être que les partis vont vouloir se positionner », avoue-t-il espérer.
Nouvel argument ?
Le traité des Nations unies stipule effectivement qu’aucun État « ne doit autoriser le transfert d’armes […] s’il a connaissance, au moment où l’autorisation est demandée, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils, ou d’autres crimes de guerre ».
Au Canada, la précédente Loi sur les licences d’exportation et d’importation — que vient remplacer celle entérinant le traité — établissait plutôt que le ministre « peut prendre en considération » le fait que les marchandises puissent être utilisées dans le but « de nuire à la paix, à la sécurité ou à la stabilité ».
La Cour d’appel fédérale a statué, l’an dernier, que le ministre avait à l’époque la discrétion d’approuver l’exportation de blindés « nonobstant le risque raisonnable que le matériel exporté soit utilisé contre une population civile ». La Cour fédérale avait certifié, dans la seconde cause de M. Turp, qu’Ottawa avait fait les vérifications nécessaires avant de délivrer ses licences d’exportation. Mais Daniel Turp veut plaider cette fois-ci que le gouvernement fédéral n’a plus, en vertu du traité, la latitude d’approuver l’envoi de véhicules blindés en Arabie saoudite malgré les risques encourus.
Et bien que le contrat ait été signé il y a déjà quelques années, la cour peut encore intervenir, selon le constitutionnaliste, car les exportations sont toujours en cours. « Le fait que le contrat continue d’être en production et d’avoir des effets, c’est encore pertinent de demander l’annulation des permis d’exportation. » Seule une centaine de véhicules aurait été envoyés en Arabie saoudite, selon lui, sur les 700 ou 900 prévus au contrat (le nombre officiel n’a jamais été divulgué).
M. Turp argue depuis 2017 qu’il existe des preuves que Riyad s’est servi de blindés canadiens pour sévir contre des civils. Le ministère des Affaires mondiales a toutefois statué, l’an dernier, n’avoir « trouvé aucun élément de preuve concluant ».
De passage en comité parlementaire pour discuter de son projet de loi sur la mise en oeuvre du traité, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait plaidé que l’accord onusien ne changerait rien au contrat de General Dynamics. « Le Canada va honorer, dans la mesure du possible, les contrats préexistants », avait-elle affirmé l’an dernier, en évoquant la réputation internationale du Canada comme « partenaire fiable ».