Depuis quelques temps déjà, la question identitaire québécoise occupe les devants de la scène politique. Plusieurs ont évoqué la possibilité de doter le Québec de sa propre constitution interne comme étant l'un des outils pour répondre au défi identitaire du Québec. Plusieurs intervenants ont d'ailleurs mis cette idée de l'avant durant les consultations de la Commission Bouchard-Taylor.
Dans des documents tenus jusqu'à maintenant secrets, (les originaux des documents sont disponibles à www.danielturp.org) nous apprenons que le premier ministre René Lévesque songeait, lui aussi, à doter le Québec de sa propre constitution interne. En décembre 1984, il confie à Jacques-Yvan Morin le mandat d'entreprendre la rédaction d'un document destiné à préparer la discussion sur l'opportunité de doter le Québec d'une constitution formelle. Dans une lettre du 21 mai 1985, Jacques-Yvan Morin présente au premier ministre René Lévesque l'ébauche d'un projet de Constitution du Québec qui «donne un aperçu du genre de société que le gouvernement pourrait proposer aux Québécois [et se veut] un projet socio-économique et culturel [qui] peut non seulement être une instrument de progrès pour notre société, mais également un facteur d'identité».
Cette ébauche d'un projet de Constitution du Québec du 21 mai 1985 comprend un préambule de six paragraphes dont le premier affirme que «[l]e peuple québécois, désireux de se bien gouverner et d'exprimer son identité nationale, en vertu de son droit de disposer de lui-même, adopte solennellement la présente Constitution du Québec». L'ébauche comporte cent articles, répartis en neuf titres. Le titre premier concerne la souveraineté du peuple et la suprématie de la de la constitution.
Les titres II à V constituent l'essentiel de l'ébauche du projet de Constitution du Québec et comprennent 70 articles constitutionnalisant, pour l'essentiel, les normes contenues dans la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte de la langue française et enchâssant par ailleurs de nouveaux droits économiques et sociaux. Le texte comporte un titre VI sur les institutions, un titre VII sur les accords internationaux et un titre VIII présentant les règles de modification de la constitution. La disposition finale du titre IX prévoit que «[l]a présente Constitution est soumise aux électeurs par voie de référendum avant son entrée en vigueur».
Cette ébauche du projet de Constitution du Québec du 21 mai 1985, n'a pas de suites, René Lévesque donnant sa démission comme chef du Parti québécois moins d'un mois plus tard, soit le 20 juin 1985.
Ne pas répéter les erreurs du passé
N'est-il pas intéressant de constater qu'en ce début d'année 2008, le Québec et son gouvernement se retrouvent dans une situation très analogue à celle qui prévalait au printemps 1985. Le gouvernement du Québec pourrait être tenté d'initier une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles et chercher à faire reconnaître dans la Constitution du Canada l'existence de la nation québécoise. Il pourrait croire que la conjoncture est favorable en raison de l'adoption le 27 novembre 2006 dernier d'une motion par la Chambre des communes allant dans ce sens et l'ouverture manifestée par Stephen Harper d'enchâsser, en temps opportun, une telle reconnaissance dans la Constitution du Canada.
Or, depuis le début de la Révolution tranquille et davantage encore depuis l'imposition au Québec de la Loi constitutionnelle de 1982, la tentative de faire reconnaître l'existence même d'un projet national québécois à l'intérieur de la Constitution du Canada par les Lesage, Johnson, Bourassa et Lévesque s'est heurtée au refus de ceux que l'on aime décrire comme les autres partenaires de la fédération. Qu'il s'agisse de la reconnaissance de l'existence au Québec d'une société distincte ou maintenant de la nation québécoise, de l'attribution de compétences exclusives du Québec en matière de langue, de culture et de communications, les revendications du Québec n'ont pas été satisfaites.
À la lumière des réactions suscitées par la reconnaissance symbolique de la nation québécoise par le gouvernement Harper et la lumière des propos récents du Justin Trudeau, il y a fort à parier que toute tentative d'enchâsser l'existence, au sein du de la Constitution du Canada, de la nation québécoise, sans parler de traduire cette existence par une modification du partage des compétences dont l'exercice affecte l'identité québécoise, pourrait se heurter aux mêmes refus et il est dès lors important d'envisager également, et d'éviter en cela les erreurs du passé, l'élaboration d'une constitution propre au Québec.
Une Constitution québécoise inspirée par le projet de loi no 196
Ainsi, le véritable défi du Québec en matière constitutionnelle est l'adoption d'une Constitution québécoise et la traduction de sa revendication identitaire dans une loi fondamentale qui lui soit propre et dont la nation québécoise déterminera, selon ses propres besoins, le contenu. Ultimement, une telle constitution devra être celle d'un Québec qui aura accédé au statut de pays indépendant et souverain. D'ici à ce que la nation québécoise accède à la pleine souveraineté politique, le Québec peut, et devrait, selon moi, répondre aux diverses questions identitaires qui se posent à lui en se dotant d'une constitution interne.
L'élaboration d'une telle constitution, susceptible d'être inspirée par le projet de Constitution québécoise (Projet de loi no 196) que j'ai déposé à l'Assemblée nationale le 18 octobre 2007 constitue aujourd'hui le véritable défi du Québec. Bien que je n'aie pas eu connaissance de l'ébauche du projet du 21 mai 1985 au moment de la rédaction du projet de loi no 196, celui-ci est semblable à cette ébauche et s'inscrit dans une stratégie globale sur l'identité québécoise promue par la chef du Parti Québécois Pauline Marois.
Je crois que l'on est d'ailleurs maintenant en droit d'espérer, comme le souhaitait le constitutionaliste Jacques-Yvan Morin, l'auteur de l'ébauche du projet de Constitution du Québec du 21 mai 1985 préparé à la demande du Premier ministre René Lévesque, de doter le Québec d'une constitution « vivante », qui en serait certes le miroir, mais aussi le portrait idéal, tout en étant « facteur d'identité ».
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Daniel Turp
Député de Mercier*
*Porte-parole du Parti québécois en matière de réforme des institutions démocratiques
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