Charte des valeurs québécoises - Un mauvais projet pour le Québec

Comme les évêques d'autrefois et les ayatollahs d'aujourd'hui, il prétend savoir mieux que le peuple ce qui est bon ou mauvais pour lui

Ce texte présente d’abord les raisons pour lesquelles on devrait rejeter le projet du Parti québécois. Il critique ensuite la démarche gouvernementale au cours des derniers mois. Pour restreindre ou supprimer un droit, on doit s’appuyer sur un motif supérieur, susceptible de passer le test du tribunal. Dans le cas de la loi 101, ce motif était impérieux: sauver l’avenir de la francophonie québécoise. Même la Cour suprême du Canada a reconnu sa légitimité. De même, on pourrait interdire les signes religieux chez les juges et autres officiers autorisés à exercer la coercition (pouvoir de contrainte physique et même de violence). Le motif supérieur: la nécessité d’une crédibilité maximale.
Dans le cas du projet de charte, quel serait le motif supérieur? Aucun de ceux qui ont été énoncés jusqu’ici (dans le document du ministre ou ailleurs) ne se qualifie:
L’égalité homme-femme manquerait de protection juridique? Elle est déjà dans notre charte comme droit fondamental et clause interprétative. Ce qu’il faudrait pour la faire progresser, ce sont des ressources et des programmes plus généreux. On sait aussi que l’un des blocages principaux vient bien plus de l’obstruction que pratiquent les titulaires des centres de décision que des minorités ou des immigrants.
Protéger la séparation institutionnelle de l’État et de la religion? On ne voit pas en quoi elle serait compromise par le port de signes religieux chez certaines personnes.
Le port d’un signe religieux empêcherait une personne d’accomplir sa tâche avec impartialité? Un enseignant portant un signe de sa foi propagerait indûment le goût du religieux? Il déformerait l’esprit des jeunes? Ces énoncés ne reposent sur aucune démonstration.
Sauvegarder la neutralité de l’État en matière de religion? Cette règle signifie que l’État ne doit favoriser aucune religion; ce n’est pas elle qui est d’abord en cause ici.
Les employés du secteur public seraient des représentants de l’État? L’argument est faible. Pensons au conducteur de camion de l’Hydro ou au concierge dans un édifice gouvernemental. Il y a ici une disproportion entre le droit qu’on veut supprimer et le motif invoqué.
Le fait d’éloigner des emplois publics certaines catégories de citoyens ne ferait pas problème, car travailler au service de l’État ne serait pas un droit, mais un privilège? Cet argument n’a pas de précédent ni de poids juridique.
Le problème du droit de retrait
Le droit de retrait n’atténue pas le problème juridique de fond. En plus, il va entraîner une fragmentation juridique du Québec sur une base arbitraire (le régime juridique va changer d’une municipalité, d’un cégep, d’un hôpital à l’autre?). Rien de comparable ici à la clause dérogatoire dans la charte canadienne. La communauté politique nationale qu’est le Québec n’est pas assimilable à une municipalité, une institution d’enseignement ou un secteur d’activité.
Dans chaque cas, la décision sera soumise au vote. C’est donc la majorité qui va statuer sur le droit des minorités, dont la reconnaissance devient facultative. Et pourquoi les organismes parapublics (Caisse de dépôt, SAQ…) sont-ils privés du droit de retrait, contrairement à d’autres prolongements (municipalités) ou d’autres institutions (universités, hôpitaux) de l’État?
Enfin, cette disposition ouvre la porte à la transgression des règles de neutralité et de séparation de l’État et des religions. Une municipalité pourra en tirer prétexte pour maintenir ou instaurer à discrétion des symboles, des pratiques et rituels religieux. Le projet risque ainsi de produire des effets contraires à ceux qu’il visait.
Sur la démarche gouvernementale
Au cours des débats récents, au lieu d’expliquer à la population les véritables enjeux dans toute leur complexité, on a préféré s’appuyer sur de fausses perceptions, en les amplifiant. On a aussi actionné de vieux ressorts de notre culture; par exemple, cette invitation à «se tenir debout»: mais devant qui, sinon les immigrants, les minorités, ceux qui sont différents?
Et pourquoi au juste cette initiative, pourquoi à nouveau ces échanges houleux sur des thèmes si explosifs? A-t-on démontré que la culture québécoise est gravement menacée? En fait, on ne voit guère de feu à éteindre, sinon celui que le gouvernement s’est employé à allumer et avec lequel il va peut-être se brûler. Encore une fois, la pratique des accommodements est mise en cause. Mais, cette fois-ci, elle n’a fait l’objet d’aucune enquête rigoureuse pour savoir où nous en étions cinq ans après la Commission Bouchard-Taylor. Le gouvernement a préféré s’en remettre aux sondages.
On a dit aussi qu’en matière d’accommodements, il faudrait mettre fin au «cas par cas». Mais tous les tribunaux, tout notre système d’arbitrage fonctionne et doit fonctionner de cette façon. On a répété que tous les citoyens devaient être égaux devant la loi; mais c’est exactement l’objectif que servent les accommodements. Dans une entrevue au Devoir le 26 mai, le ministre Drainville parlait d’une « accumulation d’accommodements déraisonnables ». On attend toujours la liste.
Enfin, est-ce une bonne idée, dans un contexte d’incertitude, de définir et figer dans la charte l’identité et les valeurs? N’est-ce pas en s’engageant tous ensemble dans des projets collectifs que les Québécois seront à même de voir et de montrer ce qu’ils sont et ce qu’ils valent?
Des absences, des faussetés
Le document évite d’aborder des sujets qui sont au cœur du débat, comme les prières aux réunions des conseils municipaux, les écoles privées ethno-confessionnelles ou la définition du critère patrimonial, qu’on étire à outrance pour justifier la présence du crucifix à l’Assemblée nationale.
Il faut déplorer aussi qu’au cours des débats, les ténors du PQ aient formulé de nombreuses faussetés. Par exemple:
L’égalité homme-femme serait bafouée par la pratique actuelle des accommodements;
L’interdiction des signes religieux servirait l’objectif d’intégration;
La neutralité de l’État exigerait l’interdiction des signes religieux;
Il n’existerait pas de balises ni de critères pour évaluer les demandes d’accommodement;
Le hidjab serait, sans nuance, synonyme d’oppression;
L’interdiction des signes religieux serait justifiée parce que, dans les années 1960, «nos» religieux enseignants auraient été obligés d’abandonner leurs signes religieux ou auraient été invités à le faire (autrement dit : les catholiques ayant fait leur part, ce serait maintenant au tour des autres religions de s’exécuter)
Le projet traiterait tous les Québécois à égalité.
Conclusion
Il est impérieux que les Québécois puissent être fiers de la façon dont ils auront résolu cette question. Sinon, nos démons vont nous poursuivre encore longtemps. Il nous faut montrer encore une fois que, confrontés à un problème difficile, nous savons faire preuve de sagesse et de maturité collective.
Or, avec ce projet, nous en sommes loin. On assurait qu’il respecterait les droits de tous les Québécois. C’est faux. Il va supprimer un droit fondamental en l’absence d’un motif supérieur, il va dresser des minorités contre la majorité et il va instituer une fracture néfaste au sein de notre société.
Enfin, le PQ joue gros avec ce projet qui risque d’assombrir l’horizon de la souveraineté. C’est pourtant l’objectif premier de ce parti.

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Gérard Bouchard23 articles

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Professeur, département des sciences humaines,
Université du Québec à Chicoutimi

Coprésident de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements liées aux différences culturelles





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