Bien malin celui qui arrive à se retrouver dans le fouillis d'opinions, d'interrogations, d'humeurs, de dénonciations et de procès d'intentions qui jalonnent le parcours de la commission sur les accommodements raisonnables. Jusqu'à ce débat parfaitement futile autour d'un "nous" qu'il serait désormais interdit de prononcer sans énumérer la liste exhaustive de tous ceux et celles qu'il contient.
Et que dire de la condescendance bon teint de ceux et celles qui ont vite fait de débusquer l'ethnocentrisme qui sévirait au coeur de ces Québécois francophones du terroir qui ne connaissent rien d'autre que la rassurante homogénéité léguée par leurs parents?
Au fond, ce que révèle surtout le maelström provoqué par la commission Bouchard-Taylor, c'est l'existence du fossé profond qui sépare certains groupes sociaux. Il ne s'agit pas ici du triangle francophones-anglophones et allophones ausculté ad nauseam par le passé. Bien au-delà de ces traditionnels clivages linguistiques, il existe au Québec deux grandes catégories de citoyens.
D'un côté, omniprésente dans les médias, trône une minorité de citoyens du monde, une élite intellectuelle, technocratique et d'affaires, mobile, cultivée, bilingue et même multilingue, qui profite largement des bienfaits de la mondialisation. Dans ce club sélect, l'immigration et la cohabitation des diverses communautés ethniques sont moins un fait vécu que l'objet de savantes analyses socio-économiques.
À l'opposé, se trouve une forte majorité d'hommes et de femmes plus ou moins mobiles, davantage frappés par les effets négatifs (délocalisations, éloignement des centres de décision, pertes d'emplois) que par les avantages proclamés de la mondialisation, en panne de repères, dont les références culturelles sont souvent aux antipodes de celles du premier groupe et ce, qu'ils aient été ou non en contact avec des communautés étrangères.
Nouvelles élites
Autrefois, l'élite était constituée essentiellement de membres des professions dites libérales, ces médecins, avocats, curés et notaires qui côtoyaient quotidiennement, dans leur travail et dans leur coin de pays, des citoyens de toutes les catégories. Aujourd'hui, les nouvelles élites gravitent au sein d'un univers beaucoup plus clos, qui n'a de communication véritable avec l'autre "monde" d'ici que par médias interposés, ces instances intermédiaires qui, soit cherchent à donner le ton, soit se plaisent à jeter de l'huile sur le feu.
Cette situation n'est pas propre au Québec, loin de là. La plupart des pays européens développés, qui sont aux prises avec la question lancinante de l'intégration des nouveaux arrivants et de certaines minorités, vivent régulièrement de fortes tensions entre les différents groupes sociaux qui composent la majorité. L'émergence et les succès récents de certaines formations politiques d'extrême-droite en sont une conséquence directe. De même que l'apparition, dans divers centres urbains, de vastes ensembles immobiliers conçus comme des ghettos, est une réponse brutale de Blancs qui ne peuvent plus vivre autrement que retranchés derrière des guérites.
Nous n'en sommes pas encore là, heureusement. Mais la myopie de certaines de nos élites bien pensantes et donneuses de leçons nous fait courir de grands risques. On se demande en effet s'il n'y a pas plus de distance, aujourd'hui, entre les tours d'ivoire du "Plateau" et de certaines facultés universitaires et les habitants de plusieurs villes du Québec, et pas seulement de Hérouxville, qu'entre les musulmans et les catholiques pratiquants d'ici.
"Le populisme surgit toujours de la trahison des élites!" a écrit le sociologue français Dominique Wolton.
Ce problème dépasse largement le mandat et les capacités d'une commission d'étude, quelle qu'elle soit. Un bout de chemin aura certes été franchi si, au moins, le tandem Bouchard-Taylor arrive à démontrer un soupçon d'empathie et une compréhension minimale des inquiétudes et griefs des citoyens ordinaires de tout le Québec. Pour peu qu'ils cessent de parler et commencent à écouter.
Mais ce sont surtout nos leaders politiques qui doivent impérativement travailler à contrer les excès et la démagogie qui affleurent continuellement dans les débats, en opérant une médiation véritable entre les deux blocs évoqués plus haut. Ils se sont en partie défilés jusqu'à maintenant. La réalité aura tôt fait de les rattraper.
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Tremblay, Martine
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haut-fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.
Au-delà de Bouchard-Taylor
La myopie de certaines de nos élites bien pensantes et donneuses de leçons nous fait courir de grands risques
Accommodements - Commission Bouchard-Taylor
Martine Tremblay12 articles
Autrefois directrice de cabinet du premier ministre René Lévesque, puis haute fonctionnaire, l'auteure est conseillère spéciale affaires publiques et analyse stratégique chez HKDP et membre du conseil du Centre d'études et de recherches internationales.
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