Les jours de la représentation du Christ crucifié, installé au dessus du président de l'Assemblée nationale du Québec, sont désormais comptés. Les députés du parlement de la province francophone du Canada ont adopté la laïcité, ce dimanche 16 juin, en votant à 73 voix pour et 35 contre,le projet de loi 21, qui fait l'objet d'âpres débats depuis des mois. Cette nouvelle législation fait entrer en vigueur au Québec le principe de neutralité des représentants de l'Etat : de nombreuses catégories de "fonctionnaires en position d'autorité" — enseignants, juges, avocats, gardiens de prison, policiers — ne sont désormais plus autorisées à arborer des symboles religieux. Précisons que la mesure ne s'appliquera qu'aux nouveaux fonctionnaires, ceux déjà en place pourront conserver leurs atours. Plus anecdotique, mais symbolique : le crucifix qui trône à l'Assemblée nationale sera donc retiré du Salon bleu pour montrer la "bonne foi" de l'Etat québécois. Les administrations auront elles le choix d'enlever ou non les représentations du Christ installées sur leurs murs
L'adoption de la laïcité au Québec est l'aboutissement d'un long débat, qui a mis au jour l'âpreté des clivages dans la Belle province. Cette loi est une promesse de campagne de François Legault, le Premier ministre québécois membre de la Coalition avenir Québec (CAQ, centre-droit en faveur de l'autonomie du Québec). Elle est soutenue, d'après les divers sondages, par une très large majorité de la population de la province. Mais les opposants à la laïcité formaient une coalition hétéroclite et très déterminée, composée de militants de la gauche radicale convertis au multiculturalisme, d'intégristes religieux, et surtout, en ce qui concerne l'Assemblée nationale, de membres du Parti libéral du Québec (PLQ), défenseurs du multiculturalisme prôné par Justin Trudeau. La confrontation était d'autant plus passionnée qu'elle mettait également en avant l'enjeu de la place du Québec, province à l'identité forte influencée par la France, dans un Canada anglo-saxon dont Justin Trudeau a clamé qu'il était "le premier Etat postnational", un pays "sans identité profonde, sans tradition majoritaire". Dans cette optique, l'adoption de la laïcité est vécue par beaucoup comme une réaffirmation de la spécificité québécoise.
Grand moment pour la nation québécoise.
Ce soir, nous marquons un pan de l'histoire du Québec.
La laïcité fait désormais officiellement partie de nos lois au Québec.
Soyons fiers ! pic.twitter.com/c2yTiLVwrc
— Simon Jolin-Barrette (@SJB_CAQ) June 17, 2019
Les réactions à l'adoption du projet de loi 21 ont logiquement été très contrastées. Le ministre de l'Immigration et de la diversité, Simon Jolin-Barrette, a salué un "grand moment pour la nation québécoise", et François Legault s'est félicité que "les Québécois aient enfin ce qu’ils demandent depuis une dizaine d’années". Du côté du PLQ, on n'a pas hésité à considérer le 16 juin comme "un jour très sombre pour le Québec". D'après Pierre Arcand, chef intérimaire du parti, "Le Québec sera l'unique endroit en Amérique du Nord où des gens se verront retirer des droits." Peu avant le vote de la loi, Hélène David, députée très en vue du PLQ, avait publié une vidéo au ton crépusculaire dans lequel elle réaffirmait son opposition à un projet de loi accusé de "dénier les droits les plus démocratiques". Alors que les libéraux dénoncent l'atteinte aux droits d'exhiber sa religion faite aux futurs fonctionnaires, les partisans de la CAQ répliquent en mettant en avant le droit des Québécois à "recevoir des services publics laïques".
Aujourd’hui, le gouvernement fera fi des droits les plus fondamentaux des Québécoises et Québécois.
C’est un jour très sombre pour le Québec.#PolQc #PLQ #Assnat pic.twitter.com/748sXQtWDv
— Hélène David (@David_Hlne) June 16, 2019
Ce dimanche 16 juin, la tension s'est focalisée sur le vote de plusieurs amendements destinés à donner des moyens d'application à la nouvelle loi. Les députés de la CAQ, appuyés par les membres du Parti québécois (PQ), ont adopté des textes permettant aux ministres de vérifier le respect de la laïcité dans les administrations et d'exiger des mesures correctrices ou de surveillance en cas d'entorse. Un employé qui refuserait de ne pas porter de signe religieux s'exposerait à des sanctions disciplinaires. Ce que les libéraux ont dénoncé comme une "police de la laïcité". Hélène David, du PLQ, "inquiète des conséquences qu’aura le projet de loi 21 sur les minorités", juge ainsi qu'il "aura des conséquences désastreuses sur la place que notre société accorde aux femmes." Avant le vote de la loi, les débats avaient notamment été marqués par l'opposition entre des femmes musulmanes qui réclamaient l'instauration de la laïcité pour lutter contre l'intégrisme, et d'autres qui refusaient au contraire catégoriquement d'enlever leur voile pour travailler et menaçaient de faire de la désobéissance civile. Toutes ces protestations n'auront pas suffi : au pays du multiculturalisme, le Québec est désormais une nation laïque.