Une nuisance nécessaire

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La perspective des nationalistes fédéralistes

Le premier ministre Couillard a parfaitement le droit de penser que le Québec aura un meilleur avenir en demeurant au sein de la fédération canadienne, mais il a aussi le devoir de prendre tous les moyens pour faire en sorte qu’il en tire le meilleur parti possible.

Même s’ils ne semblaient pas souffrir d’une allergie à la souveraineté aussi aiguë que lui, ses prédécesseurs libéraux ne souhaitaient pas non plus que le Québec se sépare, mais ils avaient bien compris que cette perspective pourrait inciter le Canada anglais à faire certains efforts pour se montrer un peu plus accueillant.

Au début des années 1990, plusieurs avaient été très surpris de voir Robert Bourassa encourager Lucien Bouchard à fonder un nouveau parti souverainiste et même inciter les militants libéraux à contribuer à son financement.

Certes, M. Bourassa préférait de beaucoup voir la nouvelle coqueluche politique demeurer à la Chambre des communes plutôt que de débarquer à Québec. Dans la foulée de la commission Bélanger-Campeau, la fondation du Bloc québécois, qui semblait accentuer la menace souverainiste, n’en a pas moins favorisé la conclusion de l’accord de Charlottetown, malgré toutes ses imperfections.

Lors du référendum d’octobre 1995, de nombreux électeurs fédéralistes ont voté « oui », non pas pour faire sécession, mais dans l’espoir que l’électrochoc provoqué par une victoire du camp souverainiste aboutirait enfin à un règlement du dossier constitutionnel.

Prétendre que l’idée de souveraineté elle-même est légitime, mais que le mouvement qui l’incarne est nuisible, comme l’a récemment déclaré M. Couillard, constitue un sophisme grossier, mais surtout une faute politique.

Il est vrai que ses velléités initiales de faire coïncider une réforme constitutionnelle avec le 150e anniversaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’ont pas tardé à disparaître, mais le Québec a déjà du mal à préserver ses acquis, sans parler de gains. Tout ce qui est susceptible d’améliorer son rapport de force devrait être le bienvenu.

M. Couillard n’est pas du genre à mettre « le couteau sous la gorge » du Canada anglais, comme le proposait jadis le politologue Léon Dion, mais son admiration béate devant la « modernité » du fédéralisme n’est certainement pas de nature à inciter ses interlocuteurs du ROC à y changer quoi que ce soit.

L’entrée en scène de Pierre Karl Péladeau et la campagne permanente en faveur de la souveraineté qu’il mène depuis son élection à la tête du PQ, après des années de sourdine, offrent pourtant à M. Couillard une magnifique occasion de faire valoir à ses homologues que, contrairement à ce qu’ils pourraient croire, la menace souverainiste n’est pas conjurée définitivement et qu’il serait grand temps de s’employer à réparer le gâchis de 1982.

Après un mois de campagne fédérale, il devient presque pathétique d’entendre Gilles Duceppe s’évertuer à plaider sans succès que le Bloc québécois a toujours son utilité.

Soit, il se passera encore bien des choses d’ici au 19 octobre, mais les témoignages recueillis par Le Devoir dans sa propre circonscription de Laurier–Sainte-Marie sont de mauvais augure, malgré l’estime que ses anciens commettants lui portent toujours sur un plan personnel.

Le chef du Bloc a parfaitement raison de dire que les Québécois souhaitent moins l’élection d’un gouvernement néodémocrate que le départ de Stephen Harper. Le problème est qu’ils ont aussi compris ce que M. Duceppe s’est plu à répéter pendant des années : « La politique du pire est la pire des politiques. » Et que retirer leur appui au NPD pour revenir au Bloc ouvrirait la porte à une réélection des conservateurs.

La conclusion que le Canada anglais tirera d’une répétition de la vague orange de 2011 malgré l’absence de Jack Layton ne sera cependant pas que les Québécois ont voulu se débarrasser de Harper, mais plutôt qu’ils ont définitivement tourné le dos aux séparatistes et décidé de jouer la carte canadienne.

M. Couillard sera sans doute le premier à applaudir à ce qu’il ne manquera pas de présenter lui aussi comme un nouvel échec pour l’ensemble du mouvement souverainiste, mais la position du Québec par rapport au reste du pays ne sera pas améliorée pour autant, peu importe qui formera le prochain gouvernement à Ottawa.

Le statut du français ne le sera pas davantage. Au-delà de l’adoption de la Charte de la langue française, la menace de la séparation a puissamment contribué à l’acceptation du Québec en tant que société française. Ce n’est pas un hasard si le recul du français à Montréal a coïncidé avec la baisse de faveur de la souveraineté. Il est vrai que tout cela ne semble pas troubler M. Couillard outre mesure.


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