Lorsqu’André Bosclair a abandonné son poste de député pour aller entamer des études de cycle supérieur dans une université prestigieuse, il était pressenti comme leader éventuel. Ses états de service étaient brillants mais trop exclusivement politiques. Il ressentait le goût et le besoin d’échapper au profil du politicien de carrière. Un leader même naturel passe par le coude à coude dans divers milieux pour étoffer sa personnalité.
Le départ de Bernard Landry prit Boisclair par surprise. Ce fait-là l’obligea à se poser des questions sur son plan d’orientation et, comme il subissait d’énormes pressions, ces questions se posaient en commun. Quelques-uns de ses proches lui disaient de ne pas y aller et de s’en tenir à la logique de sa démarche.
Au début de la quarantaine, en possession d’un nouveau diplôme, un emploi de consultant en restructuration des entreprises, les éléments se combinaient pour qu’il vive des transformations, se perfectionne, s’affine. Était-il prêt, le voulait-il, et que regretterait-il le plus dans l’hypothèse où il ne se lancerait pas dans l’aventure? Décider de vouloir diriger un vaste mouvement politique, c’est comme écouter plusieurs haut-parleurs qui diffusent en avant et en arrière plusieurs fréquences tactiques.
Il y avait pour Boisclair, comme pour tous ceux qui traversent ce genre de situations, des questions de goût, d’intuition, l’appel des autres et de ses propres motions intérieures. Les règles qui régissent le discernement chez les politiciens, quand c’est leur engagement personnel et professionnel qui est concerné, ne se rapportent pas à un seul noyau. Elles ont particulièrement à démêler le tien du mien. Il y a l’aspect du rapport aux autres, jusqu’à quel point est-on attendu quelque part, et, bien entendu, le rapport de soi à soi.
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Gilles Duceppe dit qu’il n’a pas pu voir son épouse Yolande en face avant de lancer le communiqué annonçant sa candidature. Un visage aimé nous sert de miroir. Bernard Landry a regretté pour sa part publiquement de ne s’être pas entretenu avec Chantale Renaud avant de démissionner. Les décisions prises quand on est sur la brèche, sans avoir vu en personne ceux qu’on devait voir, sans que le temps nous ait appartenu, on risque de les regretter.
Ceci dit, Gilles Duceppe n’a pas trop à s’en faire. Quand les nouvelles se bousculent, hier et la veille sont vite oubliés. Cela donnera même du poids à sa présence sur la même tribune que Pauline Marois au cours des prochaines campagnes électorales. Le public ne verra pas avec les yeux blasés deux partisans mécaniquement alignés mais bien deux personnes réunies par une conviction qui l’emporte sur une frasque obscure du passé.
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Des trois principaux chefs de parti, Pauline Marois ne devrait pas avoir trop de mal à ressortir comme la seule qui sait que l’Etat québécois n’existe pas simplement pour accomplir les volontés de l’argent. Jean Charest et Mario Dumont proposent un Québec qui n’est pas là pour déranger ni pour se déranger.
Mario Dumont n’a pas adopté une plateforme autonomiste dans l’intention de diriger à court terme ou à moyen terme une politique à cet égard, probablement même pas à long terme. Mario Dumont l’a ajoutée à son programme parce qu’il a besoin de l’inutile. Le nationalisme doit toujours paraître en réserve de la république et un politicien du Québec doit paraître être prêt à un peu plus, bon détenteur d’une politique qu’il n’ose s’avouer.
Charest parle des acquis, des droits, des libertés qui ont pu être conquis à un moment donné. Dumont plaide pour le premier ministre canadien actuel qui ne résiste pas nécessairement à une complaisance, à un arrangement. En maintenant ainsi le cap, sous la gouverne de semblables individus, le gouvernement québécois va garder la nation québécoise sous cloche comme une hypothèse, un arrière-goût indéfinissable. Vous ne la trouverez guère dans la soumission à l’architecture disciplinaire canadienne, dans la socialité canadienne.
En somme, le gouvernement national du Québec se tait sur la nation québécoise sans cesser d’entendre, paraît-il. Entre-temps, il adopte la voix du neutre. On opère une suspension de tout jugement qui déborde du cadre provincial et, pour se justifier, on dit que c’est pour s’attaquer au « vrai travail ». L’hypocrisie est incontournable quand on se hisse à la tête d’un gouvernement national dépourvu de statuts et de droits nationaux.
Si Pauline Marois veut abandonner l’échéancier référendaire, elle devra se fixer des objectifs touchant la constitution progressive d’une gouvernance nationale. Cette « nation québécoise dans un Canada uni » n’a droit qu’à de petits sourires ironiques. On se dit, pour compenser, qu’il y a le Cirque du Soleil dont la réputation vibre à l’étranger et qu’on peut parler de culture sous couleur de colloques et de symposiums.
L’existence de la nation parle de soi, s’explique-t-on pour se rassurer. Elle se découpe sur un fond silencieux et, en un sens, ce fond parle. On use ainsi de rationalisations fumeuses. Depuis la nuit des temps, une distance s’instaure entre la nation québécoise et la pratique réelle du pouvoir qui, elle, s’abandonne allègrement au Canada et à ses raisons d’Etat.
L’ennui, c’est que dans un souci de ne pas entraîner une vaine turbulence, on a peur de créer des institutions parallèles, voire même de se revêtir des symboles d’une légitimité parallèle. On redoute de commettre un coup de force qui se trouverait privé d’un appui indéfectible du peuple; pas de Constitution donc qui parlerait d’une nation habitée par une volonté souveraine, rien qui ne puisse dessiner unilatéralement les responsabilités premières du gouvernement du Québec. On attend de la volonté populaire qu’elle se mette à réclamer une autre dimension, une autre scène qui n’existe pas encore. On attend d’elle qu’elle suive la vérité d’un rêve. Même si les indépendantistes sont élus, ce n’est jamais assez. Tout reste à prouver avant de lever un bras.
Il faut pour le Québec une formulation collective concrète, comportant notamment la citoyenneté québécoise, sans quoi il ne reste plus que les combines, les comportements de complaisance ou de lassitude à l’intérieur du bloc canadien. On ne peut pas dire « élisez-moi et quand vous le voudrez, je doterai le Québec de mécanismes stables, d’un poids de réalité et d’existence propre ».
On ne peut espérer que la réflexion en profondeur et la moralisation entourant l’existence de la nation québécoise jaillissent tout autour d’une source populaire spontanée, au salon de quilles, dans les rayons du supermarché. En attendant, tout ce qui est réel ressort de l’arrimage géo-politique canadien. Les gouvernants de la nation québécoise ne peuvent attendre le déblocage d’un rebondissement inouï de l’âme collective.
Un gouvernement national est élu pour représenter la nation, pas pour attendre que la cause nationale ait atteint un seuil de légitimité suffisante. Le gouvernement québécois a le droit d’avoir des décideurs qui décident en vertu de la nation québécoise et de sa légitimité propre.
André Savard
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
14 mai 2007Legault et Facal ont décidé de compétitionner l'ADQ sur le terrain de la droite. Ils feront le programe pour Marois.
Le PQ était un PLQ et maintenant sera un ADQ.