Une Saga embrouillée

La promesse de modification de programme venue d’André Boisclair a plongé le mouvement indépendantiste dans une ambiance de coup de force appréhendé

Chronique d'André Savard

Les journées d’André Boisclair doivent commencer des heures avant l’heure voulue et ce ne doit pas être à cause du bruit de la circulation urbaine... Peu après l’élection, André Boisclair annonçait son intention de proposer des changements au programme. On soupçonna le pire.
Quand parut [la lettre de Martine Tremblay->6291], le sens de tout ça parut évident. Elle avançait les premiers pions, celle-là, et testait l’eau froide. La fosse d’hostilité s’élargit très vite.
On présuma qu’André Boisclair voudrait abolir l’article premier du programme. Il irait jusqu’à faire du Parti Québécois un parti d’apparatchiks à structure pyramidale. Les plus outrés se trouvèrent parmi les personnages familiers qui écrivent depuis des années que le Parti Québécois n’est pas indépendantiste et que sa démocratie n’est qu’une coquille vide. En toute logique, ils devraient pourtant voir davantage un état de fait qu’un projet dans ce qu’expose Martine Tremblay.
Que l’on soit d’accord ou non avec Martine Tremblay, cette lettre découle de l’observation d’une réalité vraiment harassante. Il est récurrent chez les indépendantistes de dénoncer ce parti d’aller vers toujours plus de serrage puis de forcer la docilité de ses militants. Ceci se déroule même pendant les années où le mouvement indépendantiste n’est pas au milieu d’une crainte aiguë et qu’il monte dans les sondages. Dans le présent contexte, la promesse de modification de programme venue d’André Boisclair a plongé le mouvement indépendantiste dans une ambiance de coup de force appréhendé.
L’effet d’entraînement fut si fort que des rumeurs fusèrent. On se demanda pour faire changement : Le chef du parti Québécois est-il vraiment indépendantiste? Parler de modification profonde sans préciser s’avère un énorme coup de poker. Ceux qui avaient des doutes balancèrent leur tête et ceux qui avaient des ambitions pour leur propre cercle la balancèrent en mesure.
Il est probable que Boisclair a eu vent que des intermédiaires profitaient de l’incertitude pour fricoter dans son dos, des gens prêts à saisir la balle au bond. Rien qu’à cette idée que Boisclair passe pour un autonomiste, des intermédiaires ne se tenaient plus. Ils s’improvisèrent intermédiaires de leur plein gré sans attendre d’être délégués par un cercle quelconque. Ils décrétèrent tout à coup que Boisclair, même s’il se faisait prêter à tort des mauvaises intentions, venait de perdre l’autorité morale acquise lors du débat des chefs de la dernière campagne électorale.
Rien de personnel, se dirent-ils probablement, il y a un moyen plus concerté de s’arranger entre nous et d’arranger le monde autour de nous. Il faudrait favoriser la montée de tel ou tel noyau, ce groupe dynamique qui compte tel talent, un bon ami d’un tel... Ce chassé-croisé, déjà prévisible après une déroute électorale, a accéléré le pèse-nerfs de façon foudroyante sur André Boisclair. Il explique en partie sa sortie à l’émission Les Coulisses du Pouvoir.
Après avoir accumulé les journées de quinze heures Boisclair n’avait sûrement pas besoin de cette flopée d’émissaires dont il entendait les pas au loin, tous gonflés d’importance parce qu’ils se disent « en mission spéciale ». Il vient un moment où la coupe est pleine.
Jamais n’épilogue-t-on autant sur la conspiration des apparatchiks que lorsqu’on parle du Parti Québécois. Que Martine Tremblay ait rappelé que le mode de fonctionnement de ce parti fut hérité de ce grand rêve de conclave à l’horizontale des partis gauchistes des années soixante, voilà qui tranche par son originalité. En général, on lit plutôt des plaintes sur les crasses subies dans un congrès, la défaite orchestrée d’en haut pour gâcher une résolution hautement inspirée et qui aurait pu mériter la victoire au parti.
Remarquez que ceux qui se plaignent de n’avoir décidé de rien sont parfois ceux qui veulent que tout soit comme ils l’ont décidé. Il y a une foule de baronnies qui en veulent mortellement à ce parti qu’ils ne peuvent avoir et qu’ils voudraient bien gâcher pour revenir à ce qu’ils tiennent comme un positionnement intégral, une sorte d’indépendantisme en soi : version épurée de toutes les scories héritées de notre esprit de colonisé.
Pour conduire la cause, ils en appellent à la grande coalition horizontale, une entité reliée par Internet qui formerait le plus féroce des adversaires : pas de règles, pas de code de conduite, on est dans un ordre spontané où pourtant rien n’est annulé. C’est ce qui devrait succéder au Parti Québécois. Croyez-les, disent-ils, car toutes les forces de séparation et de divergence seront absorbées par l’immense mouvement du peuple libéré de cet appareil qui, dans le passé, a abusé de ses pouvoirs.
Les moyens de communication prodigieusement accrus et accélérés semblent faire ressortir en fanfare ces thèmes d’auto-organisation, un processus vital qui pousse la masse à s’organiser en éléments toujours plus compliqués et psychologiquement plus centrés. Le mot « coalition » a une portée mythique, il est comme un phénomène organique qui porte sa vérité en elle-même, un peu comme l’était l’expression « masse populaire» dans les années soixante.
On serait presque tenté de donner raison à Martine Tremblay quand elle accuse la vieille mentalité gauchiste et horizontaliste des années soixante… En tout cas, ceux qui lui ont répondu le plus vertement, ne songeant guère à la forme, l’ont laissé venir d’elle-même en conformité avec le contenu de 1969.
Le mot « peuple » comme le mot « coalition » désigne dans ces discours une multitude enfin au naturel, se refermant d’un cran sur ses couches les plus profondes, pour s’intensifier, se concentrer, et qui feraient éclater le corset dans un fantastique rebondissement de l’évolution. À gauche se dessinent soudainement des flots humains dotés d’une liberté supérieure, c’est ce qu’on voit dans ce tableau attirant. L’expression « Parti Québécois » y forme un pivot essentiel car il est l’antagoniste, celui qui a empêché tout ça. Cette façon de raconter est un grand cru et on ne la remplacera pas…
La vérité, c’est que le mouvement indépendantiste est en passe d’être une énigme pour le « peuple ». Il ne connaît pas L’Action Nationale ni le Rassemblement pour l’Indépendance du Québec. C’est un mouvement d’acronymes, SPQ Libre et MES, MNQ et R.I.N. composés de quasi inconnus pour le grand public. Il semble au « peuple » que la nef indépendantiste vogue à l’aventure, s’accusant de ballotter sur place et de ne pas miser sur les ressources du « peuple ».
Les grands barons de l’indépendance, ceux qui se disent plus authentiques, plus intègres, ont beau se prétendre les chantres du « peuple », ils vouent leur précieux temps à enseigner les péquistes. Quand certains parmi eux disent que Québec devrait envahir les champs de compétence d’Ottawa, qu’ils suggèrent de doubler les services fédéraux et même de produire de doubles régimes de cotisations, c’est aux péquistes qu’ils s’adressent.
Le Parti Québécois leur permet de se cantonner dans un rôle où ils prêchent le flair, un certain courage du cœur et de l’esprit, la trace du feu de la cause piétinée par les péquistes. Ce n’est pas au « peuple » qu’ils vont expliquer qu’il faut doublement cotiser. C’est plus facile de dire aux péquistes de mettre leur culotte.
Il est facile d’accuser le Parti Québécois de couper le Québec de son avenir et d’abandonner les Québécois à l’indifférence des vies individuelles dispersées. Il est facile de le tenir responsable d’un voile de lassitude qui inciterait le mouvement indépendantiste à se diviser en fiefs. Il est facile d’en appeler au « rassembleur » qui élèvera le « peuple » à la perception de dimensions et de valeurs nouvelles.
Le mouvement indépendantiste n’est pas le fait d’une famille politique spécifique comme c’est le cas du parti Libéral. Le mouvement indépendantiste est du ressort de la nation québécoise et forcément cela engage des milieux différents et même antagonistes à certains points de vue. À cause de cela le Parti Québécois a beau fonctionner par le truchement de colloques où la prise de décisions s’effectue en sollicitant les suffrages de tous les délégués de comtés, il reste le symbole du soviet suprême pour plusieurs.
On se plaint de la stabilisation graduelle autour d’un programme et d’un système. On semble croire que tout serait plus facile si chaque milieu indépendantiste pouvait accroître son pouvoir interne de multiplication d’initiatives propres. On blâme le Parti Québécois d’avoir privé le mouvement de l’aile protectrice du pouvoir quand il était au gouvernement, tout ça après l’avoir blâmé d’exister encore.
Il s’ensuit que le chef du Parti Québécois, quel qu’il soit, finit toujours par être tenu responsable d’avoir bloqué la pleine expansion de telle ou telle baronnie indépendantiste. Le patron du PQ est considéré comme un ennemi personnel et celui qui coule la cause. On interpelle les « vrais indépendantistes encore au Parti Québécois » à en sortir.
Tu devrais faire attention avec lui, dit-on. Quelque chose me déplaît en lui. Il a décidé que c’est lui le premier. Or, pourquoi veut-il être le premier? Il n’est même pas capable d’un positionnement intégral comme tel ou tel baron sait si bien le faire…
Mais qu’en est-il de l’autonomisme? Il est bon si c’est l’autonomisme d’une nation. Si le Québec promulgue une Constitution qui affirme sa volonté souveraine et où il se dit dépositaire premier de son patrimoine, responsable de son territoire et de la pérennité de sa culture, l’autonomisme est bon et aide la cause du Québec. Ce genre d’autonomisme peut aider le Québec à sortir d’un système croisé de lignes indéfinies.
L’autonomisme est mauvais, quand, jusque dans la Constitution du Québec, on définit la nation québécoise comme un partage multilatéral de rôles et de responsabilités. Le Québec n’est pas un volet dans l’œuvre de créateur qu’assumerait la grande nation canadienne. L’autonomisme devient mauvais si, par crainte d’être « unilatéral » cette tangente adopte des principes vagues qui appuient directement ou indirectement l’idée que le Québec est la créature redevable du Canada.
L’autonomisme est mauvais quand il montre le Québec comme une collection de rôles à assumer dans l’élaboration canadienne. Aucun doute ne doit subsister sur la primauté des institutions québécoises dans tout ce qui engage vitalement le destin de la nation québécoise.
André Savard


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mai 2007

    Merci M. Savard, vous me faites le plus grand bien. Aujourd'hui, je suis triste et très inquiète pour l'avenir de mon Québec. Cependant, en vous lisant, vous réussissez tout de même à me consoler un peu.
    Je n'avais pas les mots pour le dire, mais c'est comme si vous me sortiez les mots de la bouche tellement votre texte me rejoint et me touche au plus haut point.
    Je lis chacun de vos textes avec le même enthousiasme à chaque fois. Ils sont tous aussi intéressants les uns que les autres. Ne lâchez pas et merci encore!