Souveraineté: Ségolène Royal persiste et signe

Boisclair à Paris

Paris -- Alors que Ségolène Royal nie toute ingérence dans les affaires canadiennes, André Boisclair juge démesurées les réactions de Stephen Harper et Stéphane Dion, qui ont tous deux condamné les propos sur la souveraineté du Québec qu'a tenus la candidate socialiste. La veille, après une brève rencontre avec le chef souverainiste en visite officielle en France, Ségolène Royal avait évoqué les «valeurs qui nous sont communes, c'est-à-dire la souveraineté et la liberté du Québec».
«Les réactions de Messieurs Harper et Dion [qui ont dénoncé une ingérence dans les affaires canadiennes] sont démesurées, dit André Boisclair. Je n'ai senti ici aucune animosité à l'égard du Canada, mais bien de l'amitié pour le Québec. J'ai vu qu'on a vite retrouvé le Stéphane Dion d'avant la course au leadership.»
André Boisclair critique aussi le premier ministre Jean Charest qui, de Davos, a déclaré à la Presse canadienne: «On ne demande pas à nos amis français d'être indifférents à la situation québécoise, mais là où il y a une limite qu'il ne faut pas traverser, c'est de tenter d'influencer les Québécois.»
«Jamais Jean Charest n'aurait osé tenir de pareils propos à l'endroit de François Mitterrand ou de Jacques Chirac, qui pourtant ont dit des choses très semblables», a dit André Boisclair.
À Paris, les grands réseaux de télévision généralistes ont présenté la déclaration de Ségolène Royal dans la droite lignée de celles de Charles de Gaulle, Philippe Seguin et Jacques Chirac, qui ont tous, chacun à son époque, provoqué de vives réactions à Ottawa.
Entourée de la Guyanaise Christiane Taubira et de l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, la candidate à l'élection présidentielle s'est défendue de toute ingérence dans les affaires intérieures canadiennes. Ségolène Royal n'entend pas dicter aux Québécois ce qu'ils doivent faire, mais elle ne renie rien, dit-elle. «Je n'ai fait preuve ni d'ingérence ni d'indifférence. Ce que j'ai dit, ce que je confirme, c'est que, comme dans toute démocratie, le peuple qui vote est souverain et libre. Et donc les Québécois décideront librement de leur destin, le moment venu, s'ils en sont saisis.»
Selon elle, ses propos ne prêtent pas à confusion et s'inscrivent parfaitement dans la tradition française. «À aucun moment, je n'ai évoqué les réformes institutionnelles, mais si ces réformes institutionnelles arrivent, ces deux principes seront appliqués -- de souveraineté et de liberté.»
La candidate socialiste en a même rajouté en faisant remarquer, sur les ondes de RTL, que le célèbre «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle était «une belle phrase». Ce qui a fait dire à Jack Lang: «On ne se doutait pas que, sur beaucoup de sujets de politique étrangère, elle était dans la filiation du général de Gaulle.»
Les principaux ténors de la famille gaulliste, comme Alain Juppé, Édouard Balladur, Dominique de Villepin et surtout Nicolas Sarkozy, n'étaient d'ailleurs pas joignables hier. Aucun n'a jugé utile de critiquer les propos de Ségolène Royal. Le seul à se manifester, l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin (anciennement de l'UDF) a estimé que Ségolène Royal improvisait. «La candidate socialiste est inquiétante [...]. Nous disons clairement que nous soutiendrons le peuple québécois dans ses choix, mais ce n'est pas à la France de faire des choix pour le Québec.» La ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, a parlé de «légèreté». «Ségolène Royal inquiète les Français», a aussi ironisé le porte-parole de l'UMP, Luc Chatel. L'allusion renvoyait à un sondage récent qui indiquait que le candidat de la droite, Nicolas Sarkozy, «inquiétait» 51 % des Français.
Selon Jean-Pierre Chevènement, le silence des poids lourds de la droite s'explique par le fait que plusieurs ont déjà fait des déclarations semblables. «Le sentiment naturel de tous les Français est de regarder avec sympathie leurs cousins d'Amérique, a-t-il déclaré sur les ondes de LCI. Ségolène Royal n'a rien fait d'autre que rappeler ce qu'avaient dit le général de Gaulle, Jacques Chirac, Philippe Seguin, Alain Juppé et beaucoup d'autres.»
Les socialistes ont fait bloc autour de leur candidate. À son point de presse hebdomadaire, le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, a dénoncé «une affaire de petite tactique de politique intérieure canadienne». Selon lui, «il n'y en a qu'un qui a dit qu'il était pour l'indépendance du Québec, c'est de Gaulle». Ségolène Royal, dit-il, «n'a pas l'intention de monter au balcon de l'hôtel de ville de Montréal et de recommencer.»
La Guyanaise Christiane Taubira, ralliée depuis peu à Ségolène Royal, dit ne pas voir «quel problème il y a à exprimer de la sympathie pour un mouvement, un idéal, un projet».
Grâce à cette polémique inattendue, en moins de 24 heures, le nom d'André Boisclair s'est retrouvé dans tous les médias français. Le chef du Parti québécois a passé l'après-midi d'hier à répondre aux questions des journalistes français. La presse française a rapporté la colère d'Ottawa. Plusieurs évoquent une nouvelle gaffe de la candidate en politique étrangère. Le quotidien Libération parle à la blague du «"couac" québécois de Ségolène Royal».
Mais, pour de nombreux observateurs, il s'agit d'une «bourde» qui ressemble à s'y méprendre à celle qu'avait faite en 1995 le président Jacques Chirac, alors simple candidat à la présidence, tout comme Ségolène Royal aujourd'hui. À quelques semaines du référendum québécois, il avait déclaré au premier ministre Jacques Parizeau que «la France devra être sans aucun doute au premier rang de ceux qui diraient au Québec que nous marchons avec lui. Les nations francophones et en particulier la France devraient être immédiatement aux côtés des Québécois et reconnaître la nouvelle situation.»
À Ottawa, le chef du Bloc Québécois, Gilles Duceppe, s'est dit étonné d'entendre des «cris d'indignation», alors que les mêmes partis fédéralistes avaient applaudi Bill Clinton lorsqu'il avait vanté les avantages du fédéralisme pour le Québec, à Mont-Tremblant en octobre 1999.
De passage à Québec, le chef libéral fédéral, Stéphane Dion, a longuement ironisé sur la candidate socialiste. «Mme Royal est nouvelle en politique internationale. Je crois qu'il faut donner la chance au coureur, comme on dit. [...] Je suis sûr qu'elle va apprendre. [...] Peut-être aussi ne comprend-elle pas le sens du mot "souveraineté". En France, c'est un autre sens qu'ici. Le parti souverainiste français n'est pas un parti indépendantiste; c'est le cas ici. Donc, on va lui donner le temps de bien intégrer la réalité canadienne.»
À la troisième journée de sa visite officielle en France, André Boisclair rencontrera aujourd'hui le candidat de la droite et chef de l'UMP, Nicolas Sarkozy. La sympathie que lui a témoignée la candidate socialiste pourrait-elle brouiller les relations avec son adversaire politique? «Je n'entrevois pas de difficultés», dit André Boisclair. «Je sens la même amitié pour le Québec à droite comme à gauche.»
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Correspondant du Devoir à Paris
Avec Robert Dutrisac à Québec


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