Paris - Avec leurs parents, Thomas, Clémence, Julien et Flora pourraient facilement représenter une famille française type. Quatre enfants, cela n'a rien d'exceptionnel aujourd'hui en France. Pourtant, leur mère est loin d'être une femme à la maison. Comme leur père, elle a une vie professionnelle active. Sa journée commence tôt le matin et se termine tard le soir. Et pour cause, puisqu'il s'agit de la candidate socialiste Ségolène Royal!
Avec ses quatre enfants et ses tailleurs élégants, celle qui pourrait bientôt devenir la première présidente française tranche radicalement avec l'image de ces dirigeantes qui, comme Angela Merkel, n'ont pas d'enfants et portent le pantalon. S'agit-il de la dernière coquetterie de l'exception française? Toujours est-il que la présidente de la région Poitou-Charentes symbolise à merveille la revanche des berceaux qui se poursuit depuis quelques années en France.
En 2006, la France a finalement dépassé la très catholique Irlande pour décrocher le titre de pays le plus fécond d'Europe. L'année 2007 a d'ailleurs commencé avec une bonne nouvelle: la hausse des taux de natalité amorcée depuis le tournant du siècle se poursuit. Le nombre de naissances n'avait pas été aussi élevé depuis 1981. En 2006, 830 000 bébés ont vu le jour dans les maternités françaises, ce qui donne un taux de fécondité légèrement supérieur à deux enfants par femme (2,1). Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays riches, en France, les générations ne sont pas très loin de se reproduire. Ceci signifie qu'avec l'allongement de la durée de la vie, la population française est en progression rapide.
Cocorico oblige, les ministres du gouvernement annoncent qu'avec de tels taux, la France comptera près de 75 millions d'habitants en 2050. Les démographes sont plus circonspects et parlent plutôt de 70 millions. Cela fait de la France une véritable exception en Europe, pour ne pas dire en Occident. Malgré la mortalité de plus en plus tardive, on s'attend en effet à ce que la population européenne se mette à chuter à partir de 2030. Ce déclin est déjà amorcé en Pologne, en Slovaquie et en Estonie. Les pays autrefois très catholiques comme l'Italie et l'Espagne sont aujourd'hui à la queue du peloton avec des taux de natalité qui tournent autour de 1,4 enfant par femme. Quant aux anciens pays de l'Est, ils connaissent une véritable crise de la natalité avec des taux inférieurs à 1,3. L'année dernière, le Québec a connu une petite hausse de la natalité avec un taux de 1,6, ce qui est encore loin de celui de la France.
La plupart des démographes français refusent pourtant de parler de baby-boom. «Le modèle de la famille à deux enfants est stable en France depuis l'arrivée de la contraception, explique le démographe Hervé Le Bras. Depuis 1974, les femmes ont simplement retardé leurs naissances, ce qui a fait baisser les indices. Ils remontent aujourd'hui parce que l'âge du premier enfant s'est stabilisé autour de 29 ans pour les mères. Mais les familles françaises ont toujours deux enfants.»
On connaît aujourd'hui la cause de la baisse des indices français enregistrée dans les années 80 et 90. De 24 ans en 1976, l'âge moyen de la mère à la première grossesse est passé à 29 ans. Les raisons de ce changement sont connues. On évoque évidemment l'allongement de la scolarité des femmes et l'importance qu'elles accordent dorénavant à leur entrée dans la vie professionnelle. Il se pourrait aussi que les couples, dont la moitié ne sont plus mariés, souhaitent vivre plusieurs années ensemble avant de faire des enfants.
S'il est exagéré de parler de baby-boom, le seul maintien de la natalité française à un niveau acceptable apparaît comme un exploit pendant que dans la plupart des pays comparables, à l'exception notable des États-Unis, la natalité n'assure plus le remplacement des générations.
Mais où peut-on en chercher la cause?
On pourrait penser que l'immigration compte pour quelque chose dans la natalité française, comme le prétend le Front national d'extrême droite. «Pas le moins du monde, dit Hervé Le Bras. Certes, les étrangères font un peu plus d'enfants que les Françaises, mais l'ensemble du phénomène demeure négligeable.» Selon certaines études, l'immigration ne fait monter l'indice de fécondité que de 0,1 enfant par femme. L'indice de natalité des femmes immigrantes a tendance à rejoindre rapidement la moyenne nationale. C'est ainsi, par exemple, que les Portugaises qui vivent en France ont aujourd'hui plus d'enfants que celles qui vivent au Portugal.
Pour d'autres, la politique familiale est la cause essentielle de cette forte natalité. C'est l'opinion des associations de parents qui réclament une augmentation des aides à la famille. La France jouit d'allocations familiales, de congés de maternité et de garderies publiques qui font l'envie de nombreux pays. Après un congé de maternité de 16 semaines, les petits Français trouvent facilement une place dans des garderies ou chez des aides maternelles subventionnées. Ils peuvent y rester jusqu'à l'âge de trois ans, moment où ils entrent en maternelle et intègrent l'école publique gratuite. Le pays consacre 3 % de son PIB à la politique familiale: 35 milliards de dollars en aides directes et 22 milliards en déductions fiscales.
Les exemples de l'Islande, de la Suède, du Danemark et de la Finlande, dont les taux de natalité tendent à se rapprocher de ceux de la France, semblent aussi soutenir la thèse selon laquelle les mesure de soutien à la famille représentent le facteur déterminant de la réussite française. Pour l'Union nationale des associations familiales (UNAF), cela ne fait aucun doute. «Ce chiffre est le résultat d'une politique familiale ambitieuse», a déclaré son porte-parole cette semaine.
«Comment expliquer alors que les États-Unis obtiennent des résultats aussi bons que la France et que la Grande-Bretagne s'en rapproche?, demande Hervé Le Bras. Les politiques familiales ne sont pas inutiles mais elles ne représentent que des moyens indirects. Elles ne créent souvent qu'un "effet d'aubaine". Elles peuvent par exemple inciter des parents à devancer une naissance. Mais elles ne changeront pas le résultat final.»
Selon M. Le Bras, l'essentiel est dans les mentalités, l'état d'esprit et la culture de chaque peuple. Ce sont ces éléments qui incitent à avoir ou à ne pas avoir d'enfants. «En France, les mères sont depuis longtemps acceptées dans les milieux de travail. Cela fait des années qu'on parle de conciliation entre la famille et le travail. Les entreprises trouvent parfaitement normal qu'elles aient plusieurs enfants. En même temps, celles-ci n'hésitent pas à confier leurs enfants à la crèche dès le plus jeune âge pour aller travailler.»
En Allemagne, explique M. Le Bras, on valorise beaucoup plus le lien personnel entre la mère et l'enfant. Les entreprises acceptent moins facilement le retour des femmes au travail après un accouchement. Les Allemands ont même inventé une expression péjorative pour les désigner: ils parlent de «mères corbeaux» (rabe mutter). «En France, cette charge morale n'existe pas, dit M. Le Bras. En Italie aussi, les femmes qui ont un premier enfant réintègrent très difficilement le milieu du travail. Le poids de la famille est très lourd. Elles sont donc obligées de choisir.»
Depuis le 1er janvier, à l'exemple du Québec, les parents allemands qui prennent congé pour s'occuper de leur nouveau-né reçoivent pendant un an les deux tiers de leur salaire net mensuel jusqu'à concurrence de 2700 $ par mois. La mesure fait sourire le démographe. «Il n'y a aucune chance que ça marche tant que les mentalités n'auront pas changé. Or de tels changements peuvent prendre 50 ans.» Le chercheur souligne de plus que les congés parentaux prolongés peuvent même rendre la réintégration des femmes sur le marché du travail plus difficile.
Les bons résultats français ne sont probablement pas étrangers au fait que les Français se préoccupent depuis très longtemps de la natalité. Dès 1750, en Normandie, on s'inquiétait du petit nombre de naissances. Les mouvements natalistes apparurent dès la fin du XIXe siècle, alors que certains attribuaient la défaite française de 1870, aux mains de la Prusse, au fait que les Français ne faisaient plus assez d'enfants.
«Il n'y a pas de solution miracle, dit Hervé Le Bras. Quelles que soient les mesures sociales, pour que les femmes acceptent d'avoir des enfants, il faut qu'elles aient facilement accès au marché du travail.» Ce jugement général n'exclut pas les causes particulières. Récemment, la disparition du mariage traditionnel obligatoire a entraîné une chute radicale de la natalité dans la grande région d'Alger. En plein Maghreb, on trouve aujourd'hui des taux de natalité dignes de ceux de l'Allemagne. «On peut supposer qu'avec la disparition du mariage obligatoire, il n'y a plus de lieux ni de modes de rencontre entre les sexes. C'est une des hypothèses.»
Comment expliquer que, malgré ses congés parentaux et son réseau de garderies unique en Amérique du Nord, le Québec n'affiche pas des résultats plus impressionnants? Le démographe avoue ne pas connaître suffisamment la situation québécoise pour émettre un jugement. «Mais si j'avais une piste à explorer, dit-il, j'irais voir du côté de la révolte des femmes. Je ne connais pas beaucoup de pays où le féminisme a été aussi violent et où la revanche des femmes a été aussi forte contre l'oppression qu'auraient subie leurs mères.»
Bref, la revanche des ventres après la revanche des berceaux...
Correspondant du Devoir à Paris
Marianne fait des enfants
Les Françaises sont les championnes de la natalité en Occident. Et les mesures sociales n'expliquent pas tout.
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