Sans scrupules

Depuis son entrée en politique, Amir Khadir s'est taillé une réputation tout à fait justifiée de redresseur de torts.

Actualité québécoise - décembre 2011



Depuis son entrée en politique, Amir Khadir s'est taillé une réputation tout à fait justifiée de redresseur de torts.
La grande majorité des Québécois ont aimé voir le député de Mercier enguirlander l'ancien président de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau. Il a dit tout haut ce qu'ils pensaient en dénonçant «l'arrogance» et la «lâcheté» d'un homme qui partait se remplir les poches chez Power Corporation, alors que la Caisse était en pleine débâcle après avoir subi des pertes de 40 milliards.
Ils ont encore approuvé sa façon de faire la leçon à Lucien Bouchard, qui avait le culot de se poser en défenseur des intérêts supérieurs du Québec en se mettant au service de l'industrie pétrolière et gazière.
Même quand ses initiatives étaient contestables, comme cet appel au boycottage d'un marchand qui vendait des chaussures fabriquées en Israël, il ne semblait pas y avoir de contradiction avec les idéaux qu'il défendait.
Son attaque contre Pierre Marc Johnson m'a paru injustifiée. En agissant comme représentant du Québec dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, l'ancien premier ministre remplissait simplement le mandat que lui avait confié son client, en l'occurrence le gouvernement du Québec.
Il est bien possible que d'autres clients de la firme d'avocats auquel M. Johnson est associé, Heenan Blaikie, qui dispose d'un bureau à Paris, puissent éventuellement bénéficier d'un éventuel accord. On peut parler d'une heureuse convergence d'intérêts, mais pas d'un conflit.
Tout cela n'enlevait cependant rien à la légitimité des craintes que pouvait éprouver M. Khadir à la perspective de livrer les marchés publics québécois en pâture aux multinationales européennes.
Peut-être s'agit-il au contraire d'une magnifique occasion pour le Québec, comme le soutient le premier ministre Charest, mais il n'y avait aucune raison de douter de la sincérité du porte-parole de Québec solidaire. Ce n'est pas d'hier qu'il pourfend le néolibéralisme et les exactions des multinationales.
***
D'où la surprise d'apprendre que M. Khadir et Françoise David ont accepté de collaborer bénévolement — et apparemment sans scrupules — au site d'information en ligne Huffington Post Québec, qui doit commencer ses activités d'ici la fin de janvier 2012.
L'agrégation est courante sur Internet, mais on ne parle pas ici d'un site comme vigile.net, auquel collaborent occasionnellement certains députés du PQ, qui peine à faire ses frais et qui est financé essentiellement par des contributions individuelles.
Créé en 2005 par l'Américaine Arianna Huffington, le Post a été vendu en février dernier à la multinationale America Online (AOL), une ancienne filiale de Time Warner, qui est cotée à la Bourse de New York et n'a rien d'une entreprise de philanthropie.
On peut difficilement imaginer un «modèle d'affaires» plus néolibéral. Imaginez, des milliers de personnes travaillent tout à fait gratuitement à l'enrichissement des actionnaires d'AOL. En comparaison, Pierre Karl Péladeau fait figure d'amateur.
C'est grâce au travail de ses 9000 collaborateurs que Mme Huffington a pu obtenir 315 millions pour la vente de son site à AOL, mais ils n'ont pas touché un sou et ont intenté une poursuite. Depuis, le syndicat américain American Guild leur a demandé d'exiger une rémunération. Tout cela n'est-il pas un peu gênant pour des élus qui se disent de gauche?
***
Comme les esclaves de jadis, les bénévoles des sites d'information doivent être nourris, ce qui nécessite d'autres sources de revenus. C'est précisément là toute la beauté du système: les entreprises comme le Huffington Post font payer leurs collaborateurs par d'autres. Génial, non?
L'attaché de presse de M. Khadir, Christian Dubois, a expliqué qu'il n'aurait pas le temps de produire du matériel original pour le Huffington Post. Il s'agira donc de textes ou de communiqués dont la rédaction aura été payée par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire par les contribuables québécois.
«On fait de la politique. Notre but, c'est que nos idées circulent», a fait valoir M. Dubois. Bref, la fin justifie les moyens, à Québec solidaire comme ailleurs. Très bien, mais il faudra désormais s'abstenir de donner des leçons d'éthique.
Chacun est libre d'agir selon sa conscience. Également pressenti, Pierre Curzi prendra une décision en janvier. Il reste à voir si cette collaboration sera compatible avec son «seuil de tolérance d'éthique personnel», qui avait été atteint avec le projet de loi 204 sur l'amphithéâtre de Québec.
La conscience tranquille, le député péquiste de Drummond, Yves-François Blanchet, a dit ne pas voir de différence avec les lettres que des élus publient gratuitement dans des quotidiens comme La Presse et Le Devoir. Il projette même de réserver du matériel inédit au site du Post.
Il est vrai que, contrairement à certains de ses collègues, comme Bernard Drainville, sollicité lui aussi, M. Blanchet n'a jamais eu la prétention de faire de la politique autrement. Au contraire, le «goon» de Pauline Marois semble tout à fait à l'aise avec les bonnes vieilles méthodes.
P.-S. Cette chronique sera de retour le 10 janvier. Joyeux Noël à tous!


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->