Il est difficile de résister à la tentation de prendre la parole pour partager ma satisfaction à la suite du dépôt de l’attendu projet de loi 21, Loi sur la laïcité de l’État.
Dès 2006, nouvellement nommée comme présidente du Conseil du statut de la femme, j’ai guidé les recherches du Conseil sur le rapport entre le droit des femmes à l’égalité et la liberté de religion. Je pressentais qu’au corpus juridique actuel, une pièce manquait afin de permettre aux femmes du Québec d’accéder à l’égalité réelle, sans discrimination, notamment basée sur la religion.
C’est donc main dans la main avec la juriste Caroline Beauchamp et avec le concours du professeur Henri Brun que le Conseil a produit une série d’avis et d’interventions afin d’examiner ces questions. Nous avons constaté que l’égalité entre les sexes est le droit qui est le plus susceptible d’être compromis lorsque des demandes d’accommodements au nom de la liberté de religion sont formulées, cela en raison du statut subordonné qui est réservé aux femmes dans les religions. Il est curieux que plusieurs acteurs aient oublié la période des accommodements qui ont malmené l’égalité des femmes autour des années 2006-2009.
Au terme de nos travaux qui ont culminé avec l’avis « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » en 2011, le Conseil concluait que l’affirmation de la laïcité en tant que principe structurant était un facteur essentiel pour faire avancer les femmes vers une égalité de fait. Il recommandait l’inclusion de la laïcité dans la Charte québécoise, ce que prévoit le projet de loi 21.
La laïcité comme guide
Pour la première fois dans l’histoire du Québec, la laïcité sera affirmée dans une loi et dans la Charte. Les libertés individuelles, notamment les demandes d’accommodements pour des motifs religieux, pourront être modulées en fonction de ce principe. Il s’agit là d’un grand progrès, qui honore le Québec et le place parmi les nations les plus avant-gardistes sur le plan de l’égalité entre les sexes, de l’équilibre entre le respect des droits de la personne et des valeurs collectives essentielles, composantes nécessaires à son épanouissement et à sa cohésion.
La laïcité est un principe fondamental appelé à se déployer et à s’adapter aux époques et aux consensus sociaux. Manifestement, l’adéquation entre l’évolution de la société et le droit était inexistante depuis plus de dix ans et il faut saluer ce progrès et le courage politique qui le motive. En choisissant d’exprimer la laïcité, notamment par la neutralité « en fait et en apparence » de certaines et certains de ses représentantes et représentants, le législateur trace une ligne et donne un chemin aux tribunaux pour interpréter le droit.
De la même manière qu’en 1988, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ford a déclaré que la protection du visage français de la société québécoise permettait à l’État d’imposer des balises à la liberté individuelle de s’exprimer, dorénavant, la laïcité sera elle aussi considérée dans l’interprétation des droits et libertés individuels. À cette époque comme députée libérale, j’ai voté pour la loi 178 qui invoquait la disposition de dérogation pour protéger la primauté du français, non sans avoir bien évalué les conséquences sur les droits individuels, comme le soulignait le premier ministre Robert Bourassa.
La laïcité renforce l’égalité
Dans son avis « Droit à l’égalité entre les femmes et les hommes et liberté religieuse » en 2007, le Conseil rappelait que tous les premiers ministres depuis les années 1970 ont reconnu et affirmé que le Québec se bâtit sur des valeurs collectives qui fondent sa spécificité : la protection et la promotion de la langue française, la laïcité de l’État et l’égalité entre les femmes et les hommes.
On oublie trop souvent que la laïcité est le gage d’une réelle égalité puisqu’elle soutient l’exercice de la liberté de conscience et de religion afin que ses deux facettes, la liberté de croire et celle de ne pas croire, soient pleinement respectées. En ce sens, toute allégation que les mesures d’application de la laïcité proposées porteraient atteinte au droit à l’égalité de manière discriminatoire méconnaît les fondements mêmes de ce principe. La laïcité renforce l’égalité entre les citoyennes et citoyens, peu importe leurs croyances ou leurs non-croyances.
En terminant, rappelons que le législateur québécois est souverain et qu’il peut déterminer de quelle façon il entend régir les rapports entre le religieux et le politique. Qu’il choisisse de le faire en soustrayant de manière préventive le projet de loi 21 à l’examen judiciaire est son droit le plus légitime. J’aurais souhaité que le recours à la disposition ne se fasse pas à ce moment-ci, car je crois que les enseignements de la Cour suprême sont clairs sur la nécessité de la laïcité de l’État pour le respect du droit à l’égalité et pour satisfaire aux exigences de la liberté de religion, mais son utilisation est tout à fait conforme au droit.
La pièce législative proposée par le gouvernement vient ajouter une pierre à l’édifice que constitue le Québec et sa spécificité caractérisée par la reconnaissance de l’égalité entre les femmes et les hommes.