Retour à la Charte ?

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L'identité porteuse

C’est la nouvelle du jour. Après un début de campagne cahoteux, qui l’a conduit à perdre sa première place dans les sondages, le Parti Québécois déciderait d’en revenir à la Charte. De même, il remettrait sa vaste équipe de l’avant alors que la campagne, jusqu’ici, tournait à peu près exclusivement autour de Pauline Marois, comme si elle était une figure si charismatique qu’elle éttait capable de porter son parti à elle seule, alors que sa force se trouve plutôt dans sa capacité à faire travailler à ses côtés une équipe de qualité. Bernard Drainville, le ministre vedette porteur du dossier identitaire, reviendrait à l’avant-scène.

Pour le PQ, c’est une bonne décision. Évidemment, il lui est évidemment possible de renverser la vapeur car rien n’est joué, et le PLQ, dès qu’il est amené sur le terrain identitaire, révèle à quel point il s’est éloigné des préoccupations vitales du Québec francophone. Mais ce ne saurait être une décision miracle. Car en laissant de côté la question identitaire en début de campagne (et cela, avant même que l’arrivée de PKP ne révèle le rapport trouble des péquistes à la souveraineté), les péquistes ont perdu l’initiative. Ils risquent d’avoir l’air paniqué, et le tout pourrait agacer les électeurs qui sentent bien lorsqu’un parti se sent blessé. Chose certaine, les péquistes ne pourront changer trop souvent de stratégie dans la campagne.

C’est un peu comme si les péquistes considéraient que la stratégie identitaire centrée sur la Charte des valeurs pouvait les conduire avantageusement à l’élection mais ne saurait leur permettre de la traverser et de la gagner. Ils lisent les sondages et se sont laissé convaincre que le sujet ne passionnerait pas les électeurs. Pourtant, avant et pendant le débat sur la Charte, les sondeurs persistaient à classer dans le bas de l’échelle la question de la laïcité et de l’identité. On sait pourtant que cet enjeu a bouleversé la politique québécoise de part en part, en inscrivant dans le jeu politique la critique du multiculturalisme.

C’est manifestement parce que les sondeurs peinent à dégager ce qu’on pourrait appeler les préoccupations profondes de l’électorat, qui ne recoupent pas toujours celles qui lui sont dictées par le système médiatique. C’est ce qu’on pourrait appeler la myopie des sondeurs. On pourrait le formuler autrement : à quelle profondeur sondent-ils la société? Oublient-ils finalement qu’en dessous de la société technocratique qui segmente et clientélise l’électorat sur le mode des niches électorales, il y a un peuple avec des préoccupations vitales qui se passionne politiquement lorsqu’on investit les questions existentielles au cœur de l’espace public : je parle ici d’une discussion publique sur les fondements mêmes de l’existence collective.

Encore faut-il savoir comment rejoindre ces profondeurs politiques (que certains caricaturent bêtement en «bas fonds» où se révéleraient des instincts inavouables, ce qui révèle leur peu de considération, finalement, pour le peuple, alors qu’on y trouve plutôt des réserves de sens accumulées au fil de l’histoire pour revitaliser le lien social et réanimer la démocratie) et traduire en vision forte les aspirations qu’on y libère. Les stratèges qui ont poussé à la neutralisation relative de l’enjeu de la Charte oublient qu’un parti a tout avantage à mettre de l’avant ce qui le distingue fortement plutôt que de se perdre dans les codes de la respectabilité médiatique qui fonctionnent à la dissolution gestionnaire et à la codification technocratique des enjeux politiques. Le PQ doit évidemment avoir une crédibilité économique, mais il ne deviendra jamais le «parti de l’économie» : la classe d’affaires est rageusement fédéraliste au Québec. Il peut et doit parler de tous les enjeux qui touchent l’État : son moteur politique demeurera toujours le nationalisme.

Par ailleurs, c’est dans ce contexte, en fait, que la «différence fondamentale» entre le PQ et le PLQ est ressortie publiquement, mais au désavantage du premier : je parle évidemment de l’indépendance. Nul n’aura la mauvaise foi de croire que les péquistes ne croient pas profondément aux vertus existentielles de l’indépendance du Québec. C’est en son nom que ses meilleurs éléments le rejoignent – pour faire du Québec un pays, selon la formule de Pierre-Karl Péladeau. Mais le fait est que la direction du Parti Québécois ne sait pas quoi faire de son option et ne sait pas comment l’assumer. En parler? Mais comment? On se retrouve dans cette situation où les fédéralistes sont les seuls à parler systématiquement d’indépendance et parviennent à la définir dans leurs termes, ce qui joue évidemment à leur avantage. Ils se laissent alors piéger par la bête question de la date du référendum.

À tout le moins, les souverainistes devraient leur répondre avec vigueur qu’ils ont abandonné l’identité québécoise, qu’ils consentent à un régime qui a programmé son effacement et se vautrent dans le multiculturalisme d’État multipliant les accommodements déraisonnables et disqualifiant les attentes légitimes des Québécois en matière d’intégration culturelle et qu’ils s’aplatissent devant un Canada qui ne reconnait pas le peuple québécois. J’entends simplement ici qu’à l’accusation de vouloir «détruire le Canada», les souverainistes devraient répondre par l’offensive en montrant comment le PLQ tel qu’il est devenu a non seulement abandonné la défense de l’identité québécoise mais qu’il a renoncé à sa propre tradition politique. À l’agressivité des fédéralistes ne devrait pas répondre l’autre joue des souverainistes.

Il fallait se laisser guider par de puissants fantasmes pour croire que la seule présence de PKP au PQ suffirait à convertir en bloc et instantanément un grand nombre de fédéralistes (ou d’électeurs indifférents) à la souveraineté. Un électorat déshabitué de la question nationale (et conditionné négativement à son endroit par le discours public ambiant) ne pouvait d’un coup s’y éveiller par magie. Un des grands objectifs de la «stratégie identitaire» consistait justement à reconstruire le projet souverainiste à travers la critique du Canada de 1982 et en tenant compte de la grande quête de «réenracinement» qui s’éveille dans le contexte de la crise de la mondialisation. Il ne s’agissait pas d’un «truc de marketing» mais bien d’une réorientation en profondeur du souverainisme en le réconciliant avec les fondamentaux du nationalisme québécois. Et je redis qu’elle permettait de révéler la vraie nature du fédéralisme contemporain et de ceux qui le servent.

Mais il faut être naïf pour croire que la présence de PKP dans l’équipe souverainiste ne change pas la donne nationaliste. Son arrivée crée les conditions d’un renouveau du souverainisme décomplexé. En brandissant l’indépendance comme un drapeau plutôt que de la neutraliser dans la bonne gestion provinciale, il a lancé un appel qui aura encore pendant un bon moment un écho. Et quel que soit le résultat de ces élections, le PQ devra reprendre à neuf la question de la souveraineté. Il devra évidemment poursuivre la pédagogie du pourquoi. Mais il ne suffit pas de savoir qu’on veut l’indépendance. Il s’agit aussi de savoir comment on la fera, non pas pour parler de mécanique tous les jours, mais pour que les leaders souverainistes aient une connaissance intime et documentée du projet qu’ils pilotent. La souveraineté, les péquistes la souhaitent certainement mais ne savent qu’en faire ni comment la faire. Ils devront s’intéresser à cette question le 8 avril.


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