Si l'on passe à un mode de scrutin proportionnel mixte en 2022 au Québec, environ le tiers des députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) devront céder leur siège. Le gouvernement de François Legault s'est engagé à déposer un projet de loi d'ici l'automne prochain pour réformer le système électoral, et cela, avec l'appui du Parti québécois et de Québec solidaire. Un projet noble, en théorie, mais qui aura des conséquences importantes pour plusieurs élus, dans la pratique.
Dans la région des Laurentides, où la CAQ détient les dix circonscriptions, un scrutin proportionnel mixte aurait pour conséquence de libérer quatre circonscriptions, qui seraient laissées à des candidats choisis sur des listes.
Qui partirait? Le député de Groulx et ministre des Finances, Eric Girard, la députée de Prévost et ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, ou encore le député de Deux-Montagnes et ministre de l’Environnement, Benoit Charrette? Est-ce que le premier ministre François Legault devrait plutôt choisir et demander à des députés d’arrière-ban de céder leur place?
C’est une question qui se poserait, parce que les scénarios déjà envisagés montrent que le scrutin proportionnel mixte compensatoire fonctionne région par région. Et la CAQ détient toutes les circonscriptions dans plusieurs régions du Québec, comme Mauricie–Bois-Francs ou Chaudière-Appalaches.
Les choix à venir seront donc déchirants, et c’est le genre de processus qui saura indéniablement semer la zizanie au caucus de la CAQ.
Ainsi, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, qui a le mandat de déposer un projet de loi au plus tard le 1er octobre prochain, aura non seulement la lourde tâche de convaincre ses collègues, mais aussi d’affronter leurs angoisses.
Parlez-en à l’ancien premier ministre Jean Charest qui a dû enterrer un projet similaire en 2006, quand la grogne a gagné son caucus. De l’aveu même de l’ex-député libéral de Papineau Norman MacMillan, de gros mots, et même de très gros mots, sont sortis de sa bouche quand il a su que, sur les cinq circonscriptions de la région de l’Outaouais, deux, dont la sienne, seraient soumises aux candidats de liste.
Les députés qui se dévouent corps et âme à l’élection de leur parti s’attendent à garder leur emploi et leur rémunération. Jean Charest a donc compris que, pour retrouver la paix à l’intérieur de son caucus, il valait mieux tuer le projet.
La même chose est arrivée en 1978 sous René Lévesque. Le ministre Robert Burns, qui avait présenté un livre vert sur une réforme du mode de scrutin, ne s’est pas fait d’amis au caucus. Son projet est mort quand il a quitté la politique, l’année suivante.
Que ferait le PQ?
Le Parti québécois aurait aussi des décisions difficiles à prendre. Bien qu’il appuie le projet de réforme du mode de scrutin, le PQ devrait aussi sacrifier quelques circonscriptions dans son seul et unique fief du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie. C’est la moitié de son caucus qui est en jeu.
Bien sûr, avec un scrutin proportionnel mixte compensatoire, le PQ pourrait sans doute faire élire des députés de liste ailleurs au Québec, mais il en perdrait probablement deux sur cinq en Gaspésie.
Encore une fois, qui accepterait de se sacrifier? Comme l’a souvent expliqué l'un des experts du mode de scrutin, le professeur émérite Louis Massicotte, ceux qui prennent les décisions sont les élus actuels, c’est-à-dire ceux qui ont le plus à perdre.
François Legault joue gros s’il entend sérieusement donner suite à ce projet. Non seulement il met sa majorité en péril, parce qu’un scrutin proportionnel mixte compensatoire risque de faire élire des gouvernements minoritaires à répétition, mais il demandera à sa députation un puissant sens de l’abnégation.