Rapport du Commissaire à l'éthique et à la déontologie du Québec

La décision du Commissaire à l'éthique dans l'affaire Péladeau

Le président de l'Assemblée nationale du Québec a reçu ce matin la décision du Commissaire à l'éthique et à la déontologie et a déclaré au Salon bleu : "Dans ce rapport, en date du 6 décembre, le commissaire conclut que le député de Saint-Jérôme a commis un manquement à l'article 16 du Code en plaçant un appel téléphonique le 16 mai 2014 au président directeur-général d'Investissement Québec ainsi qu'un manquement à l'article 25 du Code lors des travaux de la Commission de l'économie et du travail le 2 juillet 2014.
Il recommande toutefois qu'aucune sanction ne soit imposée au député. Le commissaire constate que le député a agi de bonne foi, sans anticiper que le risque d'être placé dans une situation de manquement au code pouvait s'appliquer, dans ces circonstances, alors qu'il est député de l'opposition officielle.
Voici une copie du rapport:
CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DES MEMBRES DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
DOSSIER : DE-03-2014
RAPPORT DU COMMISSAIRE À L’ÉTHIQUE ET À LA DÉONTOLOGIE AU PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
au sujet de monsieur Pierre Karl Péladeau,
député de Saint-Jérôme
5 Décembre 2014
________________________________________
POUVOIR D’ENQUÊTE
[1] Le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale (Code) a pour objet d’affirmer les valeurs de l’Assemblée nationale auxquelles adhèrent les députés, d’édicter les règles déontologiques qu’ils doivent respecter et de prévoir les mécanismes d’application et de contrôle de ces règles .
[2] Le Code édicte les règles déontologiques applicables à tout député , ainsi que les règles déontologiques particulières applicables aux membres du Conseil exécutif .
[3] Le commissaire à l’éthique et à la déontologie est responsable de l’application du Code et relève de l’Assemblée nationale , qui le nomme. Le commissaire exerce de façon exclusive les pouvoirs qui lui sont délégués par le législateur .
[4] Le commissaire exerce ses fonctions dans un souci d’information, de prévention, de confidentialité, d’objectivité et d’impartialité . À l’occasion d’une enquête, il doit être totalement indépendant. À cet égard, le Commissaire aux conflits d’intérêts pour les membres de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique déclarait, en 2002, ce qui suit :
« The Conflict of Interest Commissioner is a creature of statute. He has only those powers which the Legislature has entrusted to him under the Members’ Conflict of Interest Act. He is not a Member of Government, nor a government appointee, nor a civil servant. He is a totally independent Officer of the Legislative Assembly. He is not an Inspector General of Government Activities. He has neither the right nor the duty nor the wish to consider the political wisdom of a particular course of action, nor to embroil himself in questions involving government policy or the exercise of ministerial discretion. »
[5] Le commissaire peut, de sa propre initiative et après avoir donné par écrit au député un préavis raisonnable, faire une enquête pour déterminer si celui-ci a commis un manquement au Code .
PRÉAMBULE
[6] Monsieur Pierre Karl Péladeau a été élu député de la circonscription de Saint-Jérôme aux élections générales du 7 avril 2014.
[7] Le député de Saint-Jérôme exerce la fonction de porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie, d’entrepreneuriat, de PME et d’exportations, depuis le 25 avril 2014.
[8] À la suite de la publication d’un article dans La Presse du 10 octobre 2014, concernant son intervention dans un dossier, le député de Saint-Jérôme communique avec le soussigné. Il m’informe de la situation et ajoute qu’il publiera dans Facebook un commentaire répondant aux déclarations du journaliste Denis Lessard. Il entend expliquer le contexte de son intervention. J’informe le député de Saint-Jérôme que je vais prendre connaissance de ces documents, pour communiquer avec lui par la suite.
[9] L’article de La Presse mentionne que le député de Saint-Jérôme serait intervenu, à deux reprises, dans le processus relatif à la vente d’une entreprise québécoise oeuvrant dans la production cinématographique, de la télévision et des effets spéciaux, Vision Globale A.R. Ltée (Vision Globale), qui appartient, pour environ 25 %, à Investissement Québec. D’abord, le 13 mai 2014, il aurait communiqué avec le président-directeur général d’Investissement Québec. Ensuite, le 2 juillet 2014, le député de Saint-Jérôme aurait interpellé, sur le même sujet, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, à titre de ministre responsable d’Investissement Québec, à l’occasion d’une séance de la Commission de l’économie et du travail. Le journaliste mentionne que le député serait intervenu pour que l’entreprise demeure entre les mains d’intérêts québécois, « sans préciser que la compagnie dont il est le principal actionnaire était de la partie » .
[10] Le commentaire du député de Saint-Jérôme, publié dans Facebook le 10 octobre 2014, précise que jamais ses interventions n’étaient motivées par ses intérêts ou ceux de Québecor. Il serait impliqué dans ce dossier à titre de député, initialement, afin de trouver des projets visant à éviter la démolition de l’aérogare de l’aéroport de Mirabel. Subséquemment, il aurait « informé la direction de Québecor et celle d’Investissement Québec du risque qu’une autre entreprise de chez nous passe à des mains étrangères. » . Le député ajoute qu’il a voulu utiliser son expérience afin de favoriser les intérêts économiques du Québec. « Jamais, il n’a été question de favoriser Québecor » .
[11] Après avoir pris connaissance de ces documents, je communique avec le député de Saint-Jérôme pour lui expliquer que je devrai vérifier les faits avant d’en arriver à une conclusion. Toutefois, au premier examen, son intervention du 2 juillet 2014, pendant les travaux de la Commission de l’économie et du travail, me semble soulever des interrogations concernant l’application de certaines règles déontologiques prescrites par le Code, notamment les articles 15, 16 et 25.
[12] Dans ces circonstances, j’informe le député de Saint-Jérôme de ma décision de faire une enquête, à mon initiative, en application de l’article 92 du Code, pour recueillir les éléments pertinents, essentiels à un examen de l’ensemble des circonstances relatives à ses interventions, y compris ses commentaires et observations. Ainsi, un préavis d’enquête est transmis au député de Saint-Jérôme par courrier électronique et par messager, le 10 octobre 2014.
[13] Le 14 octobre 2014, le député de Saint-Jérôme communique avec le soussigné par téléphone. Ce fut l’occasion de lui expliquer, plus en détail, le processus suivi dans le cadre de l’enquête. J’informe le député de Saint-Jérôme des démarches que nous effectuons pour obtenir des renseignements de la part des représentants d’Investissement Québec et du ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations.
[14] En application de l’article 93 du Code, l’enquêteur du commissaire a le mandat de rencontrer les personnes concernées pour recueillir les faits pertinents. J’ai rencontré monsieur Péladeau subséquemment pour compléter la collecte des faits et recevoir ses observations, notamment.
[15] Notre travail a été considérablement facilité par la collaboration soutenue du député de Saint-Jérôme à toutes les étapes du processus d’enquête.
[16] Entre le 15 octobre et le 13 novembre 2014, l’enquêteur au dossier a rencontré les représentants d’Investissement Québec, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations et le député de Saint-Jérôme. (Annexe I)
[17] En application de l’article 96 du Code, le député de Saint-Jérôme a eu l’occasion de commenter une ébauche du présent rapport.
INTÉRÊT PERSONNEL
[18] Dans l’application des règles déontologiques prescrites par le Code, il importe de vérifier, en fonction de la situation particulière de chacun, quel intérêt personnel peut être en cause, le cas échéant. Le Code invite le député à tenir compte de l’intérêt personnel qui risque d’influencer son indépendance de jugement, l’intérêt personnel qui pourrait être favorisé dans l’exercice de sa charge, ou encore, l’intérêt personnel et financier distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population.
[19] Lorsqu’il s’agit d’un marché avec le gouvernement, un ministère ou un organisme public, il faut plutôt considérer l’intérêt du député ou du membre du Conseil exécutif dans une entreprise, comme le précisent les articles 18 et 46 du Code.
[20] Le Code ne définit pas ce qui constitue un « intérêt personnel ». Les articles 38 et 52 fournissent certaines indications, dans la mesure où ils précisent quels sont les éléments que doit comporter la déclaration des intérêts personnels du député ou celle du membre du Conseil exécutif. À la lecture de ces articles, on constate que les intérêts personnels qui y sont décrits concernent principalement les intérêts financiers des membres de l’Assemblée nationale et des membres de leur famille immédiate.
[21] Cependant, je ne crois pas que l’intérêt personnel auquel réfère le Code se limite aux intérêts économiques ou financiers.
[22] À l’article 25 du Code, le législateur mentionne le comportement que doit adopter un député qui a « un intérêt personnel et financier distinct » à l’égard d’une question soumise à l’Assemblée nationale ou à une Commission. Si l’on devait retenir l’interprétation selon laquelle l’intérêt personnel visé par le Code ne concerne que des intérêts financiers, le législateur n’aurait eu aucune raison d’introduire une telle précision à l’article 25.
[23] L’intérêt personnel mentionné au Code comprend un intérêt personnel n’ayant pas de valeur financière ou économique et qui peut être attribué à un membre de l’Assemblée nationale, dans différentes circonstances. C’est d’ailleurs l’interprétation qu’en a faite le Commissaire aux conflits d’intérêts de la Colombie-Britannique dans le Rapport Campbell de 2004 :
« Even in the absence of an opportunity for personal economic advantage, the term “private interest” may, in certain circumstances, be wide enough to include acts based upon personal loyalty or affection, or benefits provided to others in the expectation of returned favours in the future. The extension of this definition of “private interest” beyond direct or indirect financial advantage is one which calls for the exercise of caution and careful consideration of the particular circumstances of each case. »
[24] Dans certaines situations particulières, l’analyse des faits pourrait établir que l’avantage qu’il reçoit ou qui est reçu par un membre de sa famille, un proche, un associé ou une entreprise, bénéficie au membre de l’Assemblée nationale de façon telle, qu’il s’agit d’un intérêt personnel pour ce dernier. Par exemple, un bien, un bénéfice ou un avantage pourrait influencer le membre de l’Assemblée nationale, dans l’exercice de sa charge, à cause de l’importance que cela représente à ses yeux. Il pourrait être possible que l’attachement marqué du député envers une personne ou un bien, sans égard à toute considération financière, puisse constituer un intérêt personnel pour ce dernier.
[25] L’identification d’un intérêt personnel exige un examen minutieux des circonstances particulières de chaque cas. Inévitablement, l’analyse peut conduire à des résultats particuliers, en fonction de la situation personnelle du député.
[26] Aux fins de l’application du Code, sauf à l’égard des règles déontologiques particulières concernant un marché conclu avec le gouvernement, un ministère ou un organisme public, l’intérêt personnel du député de Saint-Jérôme s’apprécie en fonction du risque d’influence sur l’indépendance de jugement ou de la possibilité qu’il soit favorisé. Avant tout, il importe de tenter de comprendre quelle est la situation du député, quelle importance accorde-t-il à cet intérêt?
Intérêt personnel du député de Saint-Jérôme
[27] Le sommaire de la déclaration des intérêts personnels 2014 du député de Saint-Jérôme indique que, depuis le 9 mars 2014, il n’exerce aucune fonction et n’est plus membre du conseil d’administration de Québecor inc., de Québecor Média inc. et de Groupe TVA inc.
[28] Il est actionnaire de contrôle de ces sociétés, directement ou par le biais des sociétés de portefeuille dans lesquelles il détient des intérêts.
[29] Le député de Saint-Jérôme exprime franchement et ouvertement l’importance qu’il accorde à Québecor inc. et aux différentes sociétés qui s’y rattachent. Il s’agit de l’entreprise que lui a léguée son père, monsieur Pierre Péladeau. Il affirme publiquement et le réitère à l’occasion de notre rencontre, qu’il tient résolument à conserver ses intérêts dans Québecor inc., tout en s’engageant à respecter, dans l’exercice de sa charge de député de Saint-Jérôme, les règles éthiques et déontologiques prescrites par le Code.
[30] L’intérêt clairement exprimé par le député de Saint-Jérôme à l’égard de cet actif important permet de bien comprendre la situation. Le choix personnel qu’il exprime est un élément significatif à considérer pour comprendre ce qui peut exercer une influence sur le membre de l’Assemblée nationale dans l’exercice de sa charge, ce qui constitue un intérêt personnel pour lui.
[31] L’intérêt personnel pourrait aussi comprendre un gain personnel. Par exemple, voici ce que le Commissaire de la Colombie-Britannique exprimait, en 1995 :
« In the context of conflict of interest the requisite standard of conduct must always reflect one overriding concern: that Members not use their public office for private gain; neither should there be that perception in the mind of the reasonably well informed person. »
[32] Vu ce qui précède, je constate qu’en raison de l’importance et l’attachement que le député de Saint-Jérôme accorde à Québecor inc. et aux différentes entreprises liées, notamment Québecor Média inc. et le Groupe TVA inc., ces sociétés constituent un intérêt personnel pour le député, au sens du Code.
[33] En plus de ce lien familial, le député de Saint-Jérôme a aussi un intérêt personnel, à titre d’actionnaire de contrôle de Québecor inc. et des différentes sociétés dans lesquelles il détient des droits importants.
[34] Comme tout autre actionnaire, le député peut avoir un intérêt personnel dans ce patrimoine dont la valeur peut augmenter ou diminuer, en fonction de l’augmentation ou de la diminution de la valeur des titres ou en proportion des revenus de l’entreprise. Toutefois, lorsqu’un tel intérêt personnel entre en jeu dans l’exercice de sa charge, les règles déontologiques prescrites par le Code doivent être considérées.
LES OBSERVATIONS DU DÉPUTÉ DE SAINT-JÉRÔME
[35] Dans l’exercice de sa charge, le député de Saint-Jérôme est interpellé par les conséquences que pouvait avoir, pour la région et plus spécialement pour sa circonscription, la démolition annoncée de l’édifice qui abritait l’aérogare de l’aéroport de Mirabel. Le député s’interroge alors sur les possibilités d’utiliser l’édifice à d’autres fins, dans l’espoir d’éviter la démolition. Prenant en considération que l’ancienne aérogare se caractérise notamment par la hauteur de ses plafonds, le député fait un lien, à partir de son expérience des activités d’enregistrement d’émissions de télévision ou de tournages pour le cinéma. Connaissant les activités de Vision Globale, propriétaire de Studios Mel’s, qui fait ce genre d’enregistrements ou de tournages, le député de Saint-Jérôme rencontre, le 7 mai 2014, un représentant de Studios Mel’s pour explorer la possibilité que l’édifice de l’ancienne aérogare soit utilisé comme studios de cinéma et d’effets spéciaux par Vision Globale et sa filiale Studios Mel’s.
[36] À l’occasion de cette rencontre, le député de Saint-Jérôme a plutôt appris que Vision Globale est en difficulté, notamment, à la recherche de financement ou d’un nouvel acquéreur. Il est aussi informé qu’une entreprise américaine a manifesté un intérêt pour l’acquisition de Vision Globale.
[37] Les discussions portent alors sur la possibilité que Vision Globale passe à des mains étrangères. Le Groupe TVA inc. a déjà fait appel à Studio Mel’s pour produire plusieurs émissions de télévision. Il est envisagé que le Groupe TVA inc. pourrait éventuellement avoir un intérêt dans l’acquisition des Studios Mel’s. À la demande du représentant de Studio Mel’s, le député de Saint-Jérôme s’engage à informer la direction de Québecor et celle d’Investissement Québec de la situation.
[38] Le 13 mai 2014, le député de Saint-Jérôme communique par téléphone avec le président-directeur général d’Investissement Québec. Dans le contexte de l’imminence de la démolition de l’édifice abritant l’aérogare de Mirabel, ils discutent des possibilités d’utiliser cet édifice, sans avoir à le démolir. En outre, comme il s’était engagé à le faire lors de sa rencontre des jours précédents, le député de Saint-Jérôme mentionne au président-directeur général d’Investissement Québec qu’il a informé les dirigeants de Québecor de la situation et qu’il est possible que le Groupe TVA inc. ait un intérêt dans l’acquisition de Vision Globale.
[39] Le 18 mai 2014, le député de Saint-Jérôme subit un grave accident de bicyclette qui lui cause plusieurs fractures et une commotion cérébrale. Cet accident le force à s’absenter de l’Assemblée nationale jusqu’au 26 mai 2014.
[40] Le 29 juin 2014, le Journal de Montréal rend publics certains renseignements relatifs à la vente de Vision Globale. Le journaliste fait état de la vente imminente de Vision Globale à un investisseur américain du nom de Clearlake Capital Group L.P. (Clearlake Capital). Il rappelle que Vision Globale avait acheté, quelques années auparavant, les Studios Mel’s. Cette nouvelle attire l’attention de monsieur Péladeau. Comme ce fut le cas dans sa démarche de mai 2014 auprès du président-directeur général d’Investissement Québec, le député de Saint-Jérôme considère que le gouvernement doit faire tout en son possible pour que cette entreprise québécoise demeure la propriété d’investisseurs québécois.
[41] Le 2 juillet 2014, à l’occasion des travaux de la Commission de l’économie et du travail, concernant l’étude des crédits du ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, le député de Saint-Jérôme invite le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations à intervenir auprès d’Investissement Québec, dont il est le ministre titulaire. Il sollicite une intervention du ministre pour que des solutions alternatives soient explorées afin que l’entreprise demeure entre les mains d’intérêts québécois.
[42] Le député de Saint-Jérôme résume ses interventions de mai et juillet 2014 en rappelant qu’il était motivé par la recherche de solutions permettant d’éviter la démolition de l’aérogare de Mirabel et il considérait de son devoir d’intervenir face au risque que Vision Globale soit acquise par un investisseur américain.
[43] Il s’agit de revoir ces interventions de mai et juillet 2014 en fonction des règles déontologiques suivantes.
RÈGLES DÉONTOLOGIQUES APPLICABLES
[44] D’abord, le Code prévoit que, dans l’exercice de sa charge, un député doit écarter son intérêt personnel, pour être guidé par l’intérêt public .
« 15. Un député ne peut se placer dans une situation où son intérêt personnel peut influencer son indépendance de jugement dans l'exercice de sa charge. »
[45] En plus de préserver son indépendance de jugement, le député, y compris le membre du Conseil exécutif, ne doit pas agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. Le législateur a aussi ajouté qu’on ne peut le faire indirectement, puisqu’il est interdit d’influencer ou de tenter d’influencer la décision d’une autre personne dans le même objectif de favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
« 16. Dans l'exercice de sa charge, un député ne peut :
1° agir, tenter d'agir ou omettre d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels, ceux d'un membre de sa famille immédiate ou ceux d'un de ses enfants non à charge ou, d'une manière abusive, ceux de toute autre personne;
2° se prévaloir de sa charge pour influencer ou tenter d'influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels, ceux d'un membre de sa famille immédiate ou ceux d'un de ses enfants non à charge ou, d'une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[46] Conscient que la simple communication de renseignements qui ne sont pas à la disposition du public peut permettre de favoriser des intérêts personnels, le législateur a également prévu qu’un député ne peut utiliser, tenter d’utiliser ou communiquer des renseignements qui ne sont généralement pas à la disposition du public pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux de toute autre personne.
« 17. Un député ne peut utiliser, communiquer ou tenter d'utiliser ou de communiquer des renseignements qu'il obtient dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa charge et qui ne sont généralement pas à la disposition du public pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux de toute autre personne. »
[47] En outre, au moment des travaux à l’Assemblée nationale ou en commission parlementaire, le législateur prévoit, dans certaines circonstances, qu’un député ne doit pas participer aux débats. L’objectif du Code est d’éviter qu’un député soit placé dans une situation de conflit d’intérêts. Pour chaque député, l’interdiction de participer à un débat se rapporte à un intérêt personnel et financier distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population. Si cette situation se présentait, le député concerné doit déclarer publiquement son intérêt, se retirer de la séance sans exercer son droit de vote, ni participer aux débats.
« 25. Un député qui, à l'égard d'une question dont l'Assemblée nationale ou une commission dont il est membre est saisie, a un intérêt personnel et financier distinct de celui de l'ensemble des députés ou de la population et dont il a connaissance est tenu, s'il est présent, de déclarer publiquement et sans délai la nature de cet intérêt et de se retirer de la séance sans exercer son droit de vote ni participer aux débats sur cette question.
Le député doit en outre en aviser le secrétaire général de l'Assemblée nationale et le commissaire. »
[48] L’application de ces règles déontologiques s’effectue en lien avec les renseignements recueillis au cours de l’enquête. Nous allons d’abord procéder à l’analyse de l’appel téléphonique du 13 mai 2014.
APPEL TÉLÉPHONIQUE DU 13 MAI 2014
[49] Le 13 mai 2014, le député de Saint-Jérôme communique par téléphone avec le président-directeur général d’Investissement Québec, dans le contexte de l’imminence de la démolition de l’édifice abritant l’aérogare de Mirabel. Ils discutent des possibilités d’utiliser cet édifice autrement. En outre, le député de Saint-Jérôme informe le président-directeur général d’Investissement Québec de ce qu’il a appris au sujet de la vente de Vision Globale. Il lui fait part de son souci d’éviter que cette entreprise passe entre des mains étrangères et de la possibilité que le Groupe TVA inc. ait un intérêt dans l’acquisition de Vision Globale.
[50] Cette intervention du député de Saint-Jérôme porte, notamment, sur une entreprise dans laquelle il détient un intérêt personnel et qui pourrait être visée dans le processus d’acquisition de Vision Globale, dont Investissement Québec est actionnaire à hauteur d’environ 25 %.
[51] Les renseignements recueillis permettent de suivre la chronologie des événements, à compter de janvier 2014, en voici un résumé.
[52] Le 21 février 2014, les propriétaires de Vision Globale font appel à une firme spécialisée pour la recherche de solutions face aux difficultés rencontrées. L’objectif de Vision Globale était de refinancer sa dette, d’obtenir un apport d’équité ou, le cas échéant, de vendre certaines actions existantes. Entre le 7 et le 17 mars 2014, cette firme transmet un document d’information concernant Vision Globale à six investisseurs et cinq banques.
[53] À la fin avril 2014, trois investisseurs furent retenus. Aucun investisseur ne provient du Québec. Ils sont invités à soumettre leur offre formelle au plus tard le 23 mai 2014.
[54] Le député de Saint-Jérôme n’est pas informé de ces démarches et du processus en cours. Au cours de la même période, il rencontre le représentant des Studios Mel’s au sujet de l’aérogare de Mirabel. La discussion bifurque et le risque que Vision Globale soit acquise par un investisseur américain s’ajoute parmi les sujets discutés.
[55] Le 13 mai suivant, le député téléphone au président-directeur général d’Investissement Québec. Dans les circonstances, il estime que c’est son devoir d’agir dans l’exercice de sa charge de député. À cette fin, il lui fait part d’un projet concernant l’aérogare de Mirabel. Il informe cet actionnaire de Vision Globale que l’entreprise pourrait être vendue à un investisseur américain et manifeste le souhait que l’entreprise ne passe pas entre des mains étrangères. En outre, comme il s’était engagé à le faire, il indique au président-directeur général d’Investissement Québec que le Groupe TVA inc. est informé de la situation et pourrait être intéressé à présenter une proposition visant l’acquisition de Vision Globale.
[56] Le 15 mai 2014, les documents nécessaires au dépôt d’une proposition pour l’acquisition de Vision Globale sont transmis à Québecor Média inc. De plus, les investisseurs sont informés que le délai pour soumettre leur offre formelle est reporté d’une semaine.
[57] Le 30 mai 2014, Québecor Média inc. dépose une proposition auprès des propriétaires de Vision Globale visant l’acquisition, par Québecor Média inc. ou Groupe TVA inc. ou l’une de leurs entités affiliées, de toutes les actions du capital-actions de Vision Globale.
Favoriser des intérêts personnels – article 16 du Code
[58] Au moment de son appel téléphonique au président-directeur général d’Investissement Québec, le 13 mai 2014, le député de Saint-Jérôme aurait-il agi, dans l’exercice de sa charge, de façon à favoriser ses intérêts personnels, contrairement à ce que prévoit l’article 16 du Code?
« 16. Dans l'exercice de sa charge, un député ne peut :
1° agir, tenter d'agir ou omettre d'agir de façon à favoriser ses intérêts personnels, ceux d'un membre de sa famille immédiate ou ceux d'un de ses enfants non à charge ou, d'une manière abusive, ceux de toute autre personne;
2° se prévaloir de sa charge pour influencer ou tenter d'influencer la décision d'une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels, ceux d'un membre de sa famille immédiate ou ceux d'un de ses enfants non à charge ou, d'une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[59] Dans l’application de l’article 16 du Code, je dois considérer les faits qui pourraient, le cas échéant, constituer une situation de conflit d’intérêts, y compris ce qu’une personne raisonnablement bien informée pourrait considérer comme constituant une situation de conflit d’intérêts.
[60] Le commissaire aux conflits d’intérêts de la Colombie-Britannique s’exprimait comme suit à ce sujet :
« To constitute a breach of the Act, a perception of conflict of interest cannot simply exist in the air or in the abstract, it must be established against a test of reasonableness. While the simple perception of conflict of interest may raise a “red flag” or give rise to suspicion, that is clearly not sufficient to support a finding of an apparent conflict of interest until the objective test of reasonableness, which is mandated by section 2(2), is applied to the particular circumstances under review. Whether a perception is “reasonable” depends on whether it is one that “a reasonably well informed person could properly have, that the member’s ability to exercise an official power or perform an official duty or function must have been affected by his or her private interest” (emphasis added). Notice has to be taken of the mandatory language of the section.The member’s ability must have been affected, not may have been or could have been affected, by his or her private interest. I interpret the Act to mean that for a member to be found to have had an apparent conflict of interest in breach of the Act, he or she must have acted knowingly, or have been deliberately blind in all of the circumstances. »
[61] Il ne s’agit pas de présumer de quoi que ce soit, ni de prêter des intentions qui n’ont pas été établies ou de s’appuyer sur un simple soupçon. En examinant l’ensemble des faits qui sont portés à la connaissance du commissaire, je dois prendre en considération la conclusion à laquelle pourrait arriver une personne raisonnablement bien informée qui procéderait à l’analyse de ces faits.
[62] Il est bien établi que l’intervention du député avait pour objet d’éviter la démolition de l’aérogare de Mirabel et les conséquences qui s’y rattachent et de demander qu’Investissement Québec intervienne pour éviter que Vision Globale passe à des mains étrangères. Il va de soi que ces démarches peuvent être associées à l’exercice normal des fonctions de député. Par contre, il en va autrement si l’intervention porte aussi sur un intérêt personnel du député. Tout en poursuivant l’objectif de soutenir l’intérêt économique des québécois, le député a ajouté, dans sa démarche, un commentaire relatif à une entreprise dans laquelle il détient des intérêts et qui pourrait être intéressée à présenter une proposition visant l’acquisition de Vision Globale.
[63] En fait, lorsqu’il communique avec le président-directeur général d’Investissement Québec, le député de Saint-Jérôme parle de Québecor Média inc., dans le contexte de Vision Globale. Même s’il n’est pas délibéré, ce geste introduit son intérêt personnel dans l’exercice de sa charge, relativement à une démarche visant à éviter la vente à une entreprise américaine.
[64] Le député déclare que son objectif était de mettre en communication les propriétaires de Vision Globale avec un acheteur éventuel, uniquement. Il n’a pas été informé de la décision des propriétaires de Vision Globale de prolonger le délai pour le dépôt des propositions et de transmettre à Québecor Média inc. les documents nécessaires à la préparation d’une proposition.
[65] Quoi qu’il en soit, en application de l’article 16 du Code, un député doit demeurer attentif lorsque son intérêt personnel entre en jeu dans l’exercice de sa charge. Il lui incombe de vérifier et de s’abstenir pour éviter que son action ait pour effet de le favoriser.
[66] À partir du moment où un intérêt personnel est en jeu, le député de Saint-Jérôme devait envisager les différentes conséquences que son appel visant à établir un lien entre Investissement Québec et Québecor Média inc., pourrait avoir. Parmi celles-ci, la possibilité que ce seul appel conduise à un accord aux bénéfices de cette dernière ne peut pas être ignorée. Même si l’effet de cette action sur les intérêts personnels du député pourrait être nul ou sans importance, voilà un risque de favoriser des intérêts personnels qu’il est nécessaire de prendre en considération, en application des règles déontologiques prescrites par le Code.
[67] Je constate que, dans les circonstances, le risque que l’intervention du député, au sujet de Québecor Média inc., ait pour effet de favoriser ses intérêts personnels, dans l’exercice de sa charge, était présent et devait être pris en considération. C’est pourquoi l’article 16 du Code doit être appliqué.
[68] Par contre, les faits pourraient conduire à une conclusion différente, concernant l’article 16 du Code, s’il était établi que le député ne pouvait pas anticiper que son action risquait de favoriser ses intérêts personnels, vu les circonstances particulières. Ce n’est pas le cas lorsque l’on considère les faits de l’enquête actuelle.
[69] En outre, il importe de préciser que l’application de l’article 16 du Code se rapporte, actuellement, à un intérêt personnel du député de Saint-Jérôme. C’est pour cette raison qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si l’intérêt personnel est favorisé « d’une manière abusive ». Cette analyse s’effectue seulement lorsque l’intérêt personnel en jeu est celui de « toute autre personne ». Ce qui n’est pas le cas pour le présent dossier.
[70] En considérant ce qui précède, je constate que, tout en étant motivé par la défense des intérêts économiques des citoyens de sa région, le député de Saint-Jérôme était en mesure d’anticiper que ses commentaires auprès d’Investissement Québec au sujet de Québecor Média inc pouvait favoriser ses intérêts personnels.
[71] Pour ces motifs, je conclus que le député de Saint-Jérôme a commis un manquement à l’article 16 du Code.
INTERVENTION LORS DE LA COMMISSION DE L’ÉCONOMIE ET DU TRAVAIL DU 2 JUILLET 2014
[72] Le 29 juin 2014, le député de Saint-Jérôme est interpellé, de nouveau, alors qu’un article publié dans le Journal de Montréal fait état de la vente imminente de Vision Globale à un investisseur américain du nom de Clearlake Capital.
[73] Considérant qu’il est de son devoir d’intervenir face au risque qu’une entreprise québécoise soit acquise par un investisseur étranger, le député de Saint-Jérôme interpelle le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations, pendant l’étude des crédits de son ministère, le 2 juillet 2014, pour lui demander d’intervenir auprès d’Investissement Québec. Il est préoccupé par le risque que l’entreprise québécoise Vision Globale soit acquise par un investisseur américain. Il soumet que c’est le rôle que doit exercer Investissement Québec face à de tels risques.
[74] Le 6 juin 2014, les propriétaires de Vision Globale avaient complété l’analyse des offres reçues de Clearlake Capital et de Québecor Média inc. À ce stade, la proposition de Clearlake Capital fut retenue et une exclusivité de trente jours lui fut consentie pour poursuivre les démarches d’acquisition.
[75] Le député de Saint-Jérôme déclare qu’il n’était pas informé de l’état d’avancement des démarches entourant l’acquisition de Vision Globale. Il aurait appris, dans le Journal de Montréal du 29 juin, que la vente à Clearlake Capital paraissait imminente. Il explique qu’il ignorait que, pour les propriétaires de Vision Globale, l’alternative à l’offre américaine était celle de Québecor Média inc.
Intérêt personnel et financier distinct – article 25 du Code
[76] L’article 25 du Code oblige un député qui a un intérêt personnel et financier distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population, concernant une question dont est saisie l’Assemblée nationale ou l’une de ses commissions, de déclarer son intérêt et de se retirer, sans participer au débat ni voter.
« 25. Un député qui, à l'égard d'une question dont l'Assemblée nationale ou une commission dont il est membre est saisie, a un intérêt personnel et financier distinct de celui de l'ensemble des députés ou de la population et dont il a connaissance est tenu, s'il est présent, de déclarer publiquement et sans délai la nature de cet intérêt et de se retirer de la séance sans exercer son droit de vote ni participer aux débats sur cette question.
Le député doit en outre en aviser le secrétaire général de l'Assemblée nationale et le commissaire. »
[77] L’interprétation de ce qui distingue un intérêt personnel et financier d’un membre de l’Assemblée nationale de celui de l’ensemble des députés ou de la population requiert une analyse en fonction des circonstances. À l’occasion de l’étude détaillée du projet de loi no 48 concernant le Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale, le passage suivant des débats de la Commission des institutions me semble pertinent :
« M. Sormany (Louis) : Mais est-ce qu’on va empêcher les députés avocats de participer aux discussions modifiant la Loi sur le Barreau, qui les touche certainement? Je pense qu’il faut quand même… Bien là, ce n’est pas… puis ça pourrait être financier, à la rigueur, là, tu sais. Mais il faut quand même… L’intérêt, là, soit distinct, je veux dire, c’est un peu comme les fonctionnaires qui travaillent des fois sur leurs lois de conditions de travail ou si on travaille sur le régime de retraite des députés. On ne commencera pas à créer des conflits d’intérêts partout. Je dirais qu’il y a une question de jugement, là-dessus, qui fait appel aux notions d’éthique, là. Je veux dire, on est dans un code d’éthique et de déontologie. Il y aura toujours un peu de zones grises là-dedans, et il faut apprécier, et il y aura un commissaire qui sera là pour aider.
M. Moreau : … l’étude qu’on fait là du code d’éthique et de déontologie fait en sorte qu’on a un intérêt distinct de l’ensemble de la population, ça touche directement les situations qui concernent les députés.
M. Sormany (Louis) : Et on ne s’en sort pas.
M. Bédard : Mais, par définition, le code de déontologie doit être fait par les députés.
M. Sormany (Louis) : C’est ça, On ne s’en sort pas… on va toujours…
M. Dupuis : D’ailleurs, je vous dirais, juste pour l’exemple de l’avocat, ma réflexion en lisant l’article est la suivante : Je suis avocat, et il y a une loi qui concerne le Barreau. Je suis toujours membre de l’ordre, et ça pourrait affecter ma cotisation, mais je n’ai pas un intérêt distinct de celui de la population des avocats. C’est ça. Exactement, exactement. C’est dans ce sens-là. Ça va? »
[78] L’intervention du député de Saint-Jérôme du 2 juillet 2014, à l’occasion des travaux de la Commission de l’économie et du travail, s’est effectuée dans le cadre de l’étude des crédits budgétaires relevant du portefeuille Économie, Innovation et Exportations, pour l’exercice financier 2014-2015. Au cours de cet exercice, les membres de cette commission permanente sont invités à effectuer un examen approfondi de l’ensemble des crédits pour lesquels le gouvernement demande annuellement son approbation . La période de l’étude des crédits permet notamment de scruter les divers éléments de l’ensemble des programmes budgétaires du gouvernement et de questionner les ministres responsables quant à leur application . En ce sens, la « question » dont est saisie la Commission de l’économie et du travail à cette occasion s’avère vaste, puisqu’elle touche tant les sommes allouées pour chaque portefeuille que l’utilisation qui en est faite en fonction des orientations gouvernementales retenues quant au rôle ou à la mission des différents ministères ou organismes visés par ce portefeuille. Au terme de cette étude, les membres de la Commission de l’économie et du travail adoptent les crédits demandés par le gouvernement pour ce portefeuille .
[79] Il s’ensuit que, dans le cadre de l’étude des crédits du portefeuille Économie, Innovation et Exportations, l’intervention du député de Saint-Jérôme, au sujet du rôle d’Investissement Québec, fait partie des questions dont la Commission de l’économie et du travail est saisie, le 2 juillet 2014, au sens de l’article 25 précité.
[80] D’abord, précisons qu’au moment où le député de Saint-Jérôme fait son intervention en commission parlementaire, le 2 juillet 2014, il avait interpellé, quelques semaines auparavant, le président-directeur général d’Investissement Québec pour l’informer que le Groupe TVA inc. pouvait avoir un intérêt dans l’acquisition de Vision Globale. Même si le député n’était pas au courant de l’état d’avancement des démarches des propriétaires pour la vente de Vision Globale, lorsqu’il a pris connaissance de l’article du Journal de Montréal du 29 juin 2014 et qu’il est intervenu en commission parlementaire, quelques jours plus tard, il ne pouvait pas, à mon avis, ignorer ce qu’il avait lui-même énoncé, en mai. Il avait alors informé le président-directeur général d’Investissement Québec que le Groupe TVA inc. pouvait faire partie des investisseurs susceptibles d’acquérir Vision Globale. Les deux interventions sont étroitement liées et connues du député.
[81] Pour ce qui est de l’intérêt personnel et financier du député de Saint-Jérôme, l’analyse que nous avons effectuée précédemment implique que l’intérêt qu’il a envers Québecor Média inc. doit être considéré comme un intérêt personnel et financier visé par l’article 25 du Code. En application de ce critère, il faut ajouter que cette société fait partie des investisseurs susceptibles d’acquérir Vision Globale, à la condition qu’aucun accord ne soit conclu avec Clearlake Capital pendant la période d’exclusivité qui lui fut consentie.
[82] L’article 25 du Code s’appliquera seulement s’il s’agit d’un intérêt personnel et financier distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population. Dans le cas du député de Saint-Jérôme, l’intérêt personnel et financier, à l’égard de Québecor Média inc. est, par son importance, distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population. Il est également distinct, dans la mesure où le député appelle le ministre à une intervention auprès d’Investissement Québec, dans la situation particulière de la vente de Vision Globale.
[83] L’intervention du député de Saint-Jérôme, qui veut éviter que l’entreprise québécoise soit acquise par un investisseur étranger, prend un caractère distinct, lorsque Québecor Média inc. devient, par son geste, concernée par la question qu’il soumet à la considération du ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations ainsi qu’aux membres de la Commission de l’économie et du travail. Ce contexte factuel distingue son intérêt personnel et financier de celui de l’ensemble des députés ou de la population. Il ne s’agit pas d’une question d’application générale.
[84] Je comprends que le député de Saint-Jérôme explique qu’il avait l’objectif, dans l’exercice de sa charge de député, d’inviter les autorités gouvernementales à éviter un transfert d’actifs à des investisseurs américains. Toutefois, l’article 25 du Code est formel, il devait considérer son intérêt personnel et financier distinct, dans les circonstances et le déclarer publiquement.
[85] Tout en poursuivant l’objectif de défendre les intérêts économiques des québécois, il m’apparaît que le député de Saint-Jérôme avait, au moment de son intervention en commission parlementaire, le 2 juillet 2014, un intérêt personnel et financier distinct de celui de l’ensemble des députés ou de la population dans la question considérée par les membres de la Commission de l’économie et du travail.
[86] Pour ce motif, je conclus que le député de Saint-Jérôme a commis un manquement à l’article 25 du Code.
[87] Il importe de préciser que, bien que je conclue, dans la situation actuelle, que l’application de l’article 25 du Code se rapporte à un intérêt personnel et financier détenu par le député de Saint-Jérôme, des commentaires s’imposent pour des circonstances différentes. Par exemple, dans l’exercice de sa charge, plus spécialement dans son rôle de porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie, d’entrepreneuriat, de PME et d’exportations, le député de Saint-Jérôme peut participer aux débats relatifs aux modifications annoncées par le gouvernement en matière de crédits d’impôt accordés aux entreprises. À moins que le député particularise son intervention de façon telle qu’il faudrait vérifier ponctuellement la situation, l’appartenance à un groupe d’individus ou d’entreprises bénéficiant des crédits d’impôt ne constitue pas un intérêt personnel et financier suffisamment distinct pour justifier l’application de l’article 25 du Code.
RESPONSABILITÉ PREMIÈRE DU DÉPUTÉ
[88] Pour tous les députés, y compris ceux qui sont membres du Conseil exécutif, l’article 15 du Code et les règles déontologiques qui suivent indiquent clairement la voie à suivre, dans l’exercice de leur charge. À titre de représentants de la population du Québec , les élus doivent mettre de côté leur intérêt personnel pour servir l’intérêt public et le bien commun. Ils doivent le faire au moment de l’adoption des lois et des règlements, de l’exercice de leur pouvoir de surveillance, lorsqu’ils portent assistance aux personnes ou aux groupes qui demandent leur aide et lorsqu’ils participent aux débats publics.
[89] Chaque député est le premier et le mieux informé des situations qui risquent de soulever des interrogations concernant son intérêt personnel. Dans le cas de doute, la responsabilité première de ne pas se placer dans une situation de conflit d’intérêts et d’appliquer les règles éthiques et déontologiques prescrites par le Code appartient au député ou au ministre concerné. À cette fin, le jurisconsulte et le commissaire sont en mesure de les supporter et de les guider dans l’analyse de ces questions. En 2011, la Commissaire aux conflits d’intérêts de la Chambre des communes s’exprimait comme suit, sur cette question :
« Dans les principes énoncés à l’article 2 du Code, on dit qu’on s’attend à ce que les députés exercent leurs fonctions officielles et organisent leurs affaires personnelles d’une manière qui résistera à l’examen public le plus minutieux et qui permettra d’éviter l’apparence de conflits d’intérêts. Ils doivent faire preuve de jugement et de réserve et, dans le doute, choisir de s’abstenir ou demander conseil auprès du Commissariat. » .
[90] Le commissaire est responsable de l’application du Code. Il fait appel à la rigueur et à la prudence des membres de l’Assemblée nationale pour qu’ils prennent les mesures requises pour éviter un manquement au Code lorsque les circonstances le requièrent.
[91] Par ailleurs, le commissaire exerce son pouvoir de surveillance et de contrôle en prenant en considération les renseignements qui lui sont communiqués par les députés et par les citoyens, lorsqu’il s’agit de déterminer si un manquement au Code a été commis. Le commissaire analyse avec attention tous les éléments que les députés et les citoyens se donnent la peine de lui communiquer, en lien avec les valeurs de l’Assemblée nationale, les principes éthiques et les règles déontologiques du Code.
CONCLUSION
[92] Avant d’exprimer les conclusions qui suivent, je dois souligner qu’à la suite de son élection très récente et en l’absence d’une interprétation publiée concernant les dispositions pertinentes du Code, le député de Saint-Jérôme pouvait difficilement prendre garde au risque qu’une situation de conflits d’intérêts résulte d’une référence à Québecor Média inc. alors que son objectif était de trouver, dans l’exercice de sa charge, une solution concernant l’aérogare de l’aéroport de MIrabel et la vente de Vision Globale. Même s’il a agi de bonne foi, je dois constater qu’un manquement s’est produit, en considérant les règles déontologiques du Code,
[93] Pour ces motifs, je conclus qu’à l’occasion de son appel téléphonique du 13 mai 2014 au président-directeur général d’Investissement Québec, le député de Saint-Jérôme a commis un manquement à l’article 16 du Code.
[94] Je conclus également qu’il a commis un manquement à l’article 25 du Code, à l’occasion des travaux de la Commission de l’économie et du travail, le 2 juillet 2014.
RECOMMANDATIONS AU SUJET D’UNE SANCTION
[95] Si je conclus qu’un manquement au Code a été commis, l’article 99 du Code prévoit que je peux recommander qu’aucune sanction ne soit imposée ou que l’une ou l’autre des sanctions énumérées à cet article le soit.
[96] Le député de Saint-Jérôme mentionne ce qui suit, dans son commentaire publié dans Facebook, le 10 octobre 2014 :
« Ma démarche était uniquement motivée par ma conviction sur l’importance de garder entre des mains québécoises le contrôle d’une de nos entreprises, d’autant plus que les Studios Mel’s avaient bénéficié dans le passé d’appuis et de financement publics.
Jamais, il n’a été question de favoriser Québecor. »
[97] Ces commentaires ont été répétés par le député de Saint-Jérôme au cours de l’enquête. Je constate que le député a agi de bonne foi, sans anticiper que le risque d’être placé dans une situation de manquement au Code pouvait s’appliquer, dans ces circonstances, alors qu’il est député de l’opposition officielle.
[98] L’interprétation de ce qui constitue un intérêt personnel, y compris un intérêt personnel et financier distinct, peut certainement soulever des interrogations. À mon avis, le manque d’expérience du député de Saint-Jérôme a pu contribuer aux erreurs commises à l’occasion de ces interventions.
[99] Le 10 octobre 2014, le député de Saint-Jérôme ajoutait, dans son commentaire dans Facebook, ce qui suit :
« Si je me suis placé en situation d’apparence de conflit d’intérêt en regard du Code d’éthique et de déontologie des députés de l’Assemblée nationale du Québec, je m’en excuse. »
[100] Le député de Saint-Jérôme me semble avoir agi de bonne foi pour faire valoir sa conviction sur l’importance de garder entre des mains québécoises le contrôle d’une entreprise d’ici.
[101] Conséquemment, je recommande qu’aucune sanction ne soit imposée à l’égard du député de Saint-Jérôme résultant du manquement à ses obligations déontologiques prescrites par le Code.
JACQUES SAINT-LAURENT
Commissaire à l’éthique et à la déontologie
4 décembre 2013

Rencontres
Toutes les personnes interviewées sont énumérées ci-dessous, avec leur titre au moment des événements visés par l’enquête.
1. Monsieur Mario Albert
Président-directeur général, Investissement Québec
2. Monsieur Yves Bourque
Vice-président, soutien et suivi des investissements, Investissement Québec
3. Monsieur Jacques Daoust, député de Verdun
Ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations
4. Monsieur Pierre Karl Péladeau, député de Saint-Jérôme
Porte-parole de l’opposition officielle en matière d’économie, d’entrepreneuriat, de PME et d’exportations


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