Ainsi donc, ses problèmes domestiques réglés, Pierre Karl Péladeau n’exclut pas un retour en politique. C’est lui-même qui a évoqué cette possibilité, au micro de Radio-Canada, la semaine dernière.
Avec son expérience des médias, guère de chance que ces mots lui aient échappé au hasard des questions de la journaliste qui l’interviewait. Il savait très bien ce qu’il faisait et le coup de tonnerre que sa déclaration produirait dans le monde de l’information et de la politique.
Pourtant, n’avait-il pas indiqué au moment de son retrait forcé qu’il quittait la politique à contre-cœur ? Vu les attaques incessantes dont il était l’objet, plusieurs de ses adversaires avaient pris le motif familial qu’il invoquait pour une excuse bien commode pour s’esquiver. Ils doivent aujourd’hui se mordre les pouces d’avoir pris leur désir pour une réalité.
Pierre Karl Péladeau est un bagarreur orgueilleux et fier. Il n’est pas homme à s’accommoder facilement d’une défaite, quelque soit le degré de confort que lui offre son statut de chef d’entreprise milliardaire. Il est également très tenace et très résistant, ses exploits à vélo sont là pour en témoigner. Les larmes qu’il a versées en annonçant son retrait forcé étaient des larmes de rage et de révolte devant le moyen employé pour le contraindre à un règlement lourd de son divorce.
Le voilà donc « en réserve de la République », pour reprendre les mots qu’il a lui-même employés. Si l’on ne doute pas un seul instant qu’il savait pertinemment reprendre ainsi les mots du général de Gaulle pour qualifier son statut après son départ du pouvoir en 1946, il n’est en revanche pas du tout certain qu’il ait songé au fait que l’éclipse du pouvoir de de Gaulle n’allait prendre fin que douze ans plus tard, en 1958, en réponse à l’appel du président René Coty devant la menace d’un putsch militaire orchestré depuis l’Algérie, encore française à l’époque, et la Corse.
L’horizon de Pierre Karl Péladeau est sûrement beaucoup plus court. Toute la question est de savoir s’il se présentera aux prochaines élections ou s’il attendra après. S’il avait accepté de s’engager aux côtés de Pauline Marois en 2014, il n’avait alors aucune expérience politique. Depuis, il s’est fait élire député, est devenu chef du Parti Québécois et a occupé la fonction de chef de l’Opposition officielle.
Il n’a déjà pas en partant le tempérament d’un second violon, on l’imagine mal jouer ce rôle auprès de Jean-François Lisée après l’avoir défait à la chefferie du PQ. Et ceux qui s’accrochent malgré tout à cet espoir seraient bien avisés de réfléchir à la possibilité, si cela se produisait, que, même sans mot d’ordre à cet effet, un nombre suffisamment important de partisans de PKP dans Rosemont, le comté de Lisée, divisent le vote du PQ en s’abstenant ou en votant pour un autre candidat pour assurer sa défaite et son remplacement par PKP après les élections générales. Déjà que la victoire de Lisée dans son comté est loin d’être assurée…
Mais bien au-delà de la petite cuisine politique se profilent des enjeux infiniment plus lourds qui donnent un tout autre sens à l’engagement politique de Pierre Karl Péladeau et à son désir de revenir dans l’arène. Ce sont ces enjeux qui expliquent pourquoi j’ai choisi, une semaine à peine après avoir lancé La Nation dans le dessein de me consacrer désormais à la problématique de la survie et de l’avenir de la nation québécoise, de me pencher sur son retour, même s’il apparaît à première vue s’inscrire davantage dans le tohu-bohu du quotidien que dans le temps long.
Il faut d’abord comprendre que l’avenir de l’empire Québecor est inextricablement lié à celui de la nation québécoise. Si Pierre Péladeau, son fondateur et le père de PKP, a pu croire un temps que cet empire pourrait se déployer en dehors des frontières du Québec, d’abord aux États-Unis avec le Philadelphia Journal, puis avec les imprimeries de Quebecor World à travers le monde et au Canada anglais avec Sun Media, l’avènement de l’Internet, les réalités de la concurrence et l’exigence de la rentabilité ont contraint Québecor à se replier sur son marché naturel, le Québec de langue et de culture française dans lequel elle est solidement et profondément enracinée.
En fait, Québecor est le miroir de la nation québécoise, et sa survie et son essor dépendent entièrement de la survie et de l’essor de la nation québécoise. Si la nation québécoise s’étiole, la survie et l’essor de Québecor sont menacés. L’intérêt de Pierre Karl Péladeau pour l’avenir du Québec coïncide donc parfaitement avec les intérêts de Québecor.
Le bon gestionnaire et dirigeant responsable qu’il est sait qu’il doit anticiper l’avenir de son empire sur une génération. À partir du moment où il devient conscient d’un déclin de la nation à laquelle son empire doit son existence et sa prospérité sur cet horizon, il doit soit réorienter ce dernier en le détachant de ses métiers de communication et de ses racines culturelles, soit s’en départir, soit voler au secours de la nation pour tenter d’inverser son déclin et lui donner le nouvel élan qui garantira son essor et celui de son empire.
Pierre Karl Péladeau a hérité de son père, et sans doute aussi de sa mère, une fibre patriotique très solide et un empire financier considérable dont le sort est lié à celui du Québec. Il ne peut concevoir de se départir de son empire. Il est condamné à le faire prospérer au Québec. Il est donc aussi condamné à assurer la survie de la nation qui le porte. Son engagement politique ne s’explique pas autrement même si certains n’y voient qu’une simple piqûre pour la politique et/ou un penchant prononcé pour le vedettariat.
Certains croient qu’il pourrait être plus utile au Québec en mettant son empire au service de celui-ci. Or il l’est déjà. Faire davantage pour la cause indépendantiste l’engagerait dans une voie partisane qui risquerait de se retourner contre lui sur le plan commercial. Tous les Québécois ne sont pas indépendantistes, tant s’en faut, et, s’il faut en croire le dernier sondage Léger, ils ne sont plus que 20 % à soutenir le Parti Québécois. Québecor doit donc naviguer au plus près dans cette situation.
PKP en revanche conserve une certaine marge de manœuvre sur le plan personnel. Il a déjà quitté la direction de son empire une première fois, son engagement pour l’indépendance du Québec est bien connu, et la seule évocation de son éventuel retour en politique a soulevé au Québec français un vent d’espoir tel qu’on n’en avait pas senti depuis un long moment. Malgré les défauts et les faiblesses que lui connaissent maintenant les Québécois depuis son premier et bref passage en politique, ils continuent de le croire le plus apte à conduire le Québec sur la voie de l’indépendance en toute sécurité économique.
Il lui reste maintenant à convaincre les Québécois que ce qui serait bon pour Québecor qui se trouverait délivrée de l’emprise fédérale dans un Québec indépendant et résolument français serait également bon pour eux, comme autrefois l’on disait chez nos voisins du Sud que ce qui était bon pour General Motors était bon pour les États-Unis.
Pour ce faire, point n’est besoin pour lui d’attendre son retour en politique. Si l’IRAI, son Institut de recherche appliquée sur l’indépendance, peine à s’envoler, il peut facilement tirer parti de l’actualité pour marquer des points contre le système fédéral dans lequel le Québec étouffe depuis la Confédération, et dans lequel le gouvernement multiculturel post-national de Justin Trudeau cherche à l’étouffer définitivement, avec la collaboration honteuse du gouvernement de Philippe Couillard.
Ainsi, le McGill Institute for the Study of Canada tiendra les 21, 22 et 23 février prochain au McGill Faculty Club sa 23e conférence sur le thème de la fiscalité au Canada « Who Pays for Canada? Taxes & Fairness » . Imaginez que PKP soit présent. Imaginez qu’il profite de cet événement de l’establishment anglo-canadien pour rendre publique une déclaration remettant en question le système de péréquation et les avantages que le Québec tirerait à récupérer tous ses impôts pour les gérer lui-même. Sa présence et son geste, bien couverts par les médias de Québecor, feraient trembler les colonnes du système fédéral en plus de tirer de leur assoupissement tous les Québécois.
Il pourrait également profiter de l’occasion pour inscrire sa démarche dans le vieux fond bleu du Québec, les leçons du chanoine Groulx, la démarche autonomiste de Maurice Duplessis, les réalisations des artisans de la révolution tranquille, et de Daniel Johnson avec son « Égalité ou indépendance ».
Coût de l’opération ? Une fraction infinitésimale du coût d’une conférence de presse du gouvernement Libéral de Philippe Couillard (50 000 $ aux dernières nouvelles). Retombées politiques ? Énormes ! Même pas besoin d’annoncer sa candidature.
Chiche, monsieur Péladeau !
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