Chaîne humaine devant une école, manifestations, actions juridiques, désobéissance civile : la contestation envers le projet de loi sur la laïcité s’organise peu à peu. Ce qui n’effraie pas le gouvernement Legault, qui promet que la future loi sera appliquée… même s’il ne sait pas exactement comment.
La vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a ainsi affirmé mardi que « les gens vont aviser les services policiers » s’ils constatent une contravention à la Loi sur la laïcité de l’État. « C’est comme l’application de n’importe quelle loi au Québec. La loi, c’est la loi », a soutenu la ministre de la Sécurité publique.
Or, nul besoin d’appeler la police en renfort, a dû préciser la ministre de la Justice, Sonia LeBel. « Ce n’est pas une infraction criminelle ou pénale, ce n’est pas de nature policière. » Le gouvernement québécois a d’autres « outils à sa disposition » (notamment l’injonction) pour « faire respecter les lois valablement adoptées par les élus de l’Assemblée nationale », a poursuivi Mme LeBel.
Devant ces déclarations contradictoires, François Legault a dit regretter que des ministres ayant « moins d’expérience » soient tombées « dans le panneau des journalistes » posant des questions théoriques. « J’ai bon espoir que tous les dirigeants vont appliquer le projet de loi, qui est modéré, qui n’est pas exagéré, qui est raisonnable », a-t-il dit.
M. Legault promet ainsi de « s’assurer que [le projet de loi sera] appliqué » par les dirigeants d’organismes publics. Sinon quoi ? À cette question, il a répondu qu’il y aura des « conséquences, qui peuvent être de plusieurs ordres ». Mais il a refusé d’aller dans les détails.
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Désobéissance
Cinq jours après le dépôt du projet de loi, la résistance commence à se préciser sur le terrain des opposants. Mercredi matin, une « chaîne humaine » de protestation sera par exemple formée devant une école de Westmount, membre de la Commission scolaire anglophone de Montréal (CSAM) — qui a déjà annoncé son intention de ne pas appliquer la loi.
Dans l’éventail des options à la disposition des récalcitrants, il ne faut pas oublier la désobéissance civile, a par ailleurs fait valoir mardi l’avocat constitutionnaliste Julius Grey. « Je ne dis pas qu’il faut désobéir. Mais je dis que dans certains cas où c’est une question de conscience, ça peut se justifier. »
Des propos que la ministre LeBel n’a pas appréciés. Elle s’est dite grandement surprise de voir un « officier de justice » de la trempe de Julius Grey « demander la désobéissance civile ». Il serait « irresponsable » pour tout élu municipal de faire de même, a-t-elle ajouté. L’Association des municipalités de banlieue, qui regroupe quatorze villes liées de la région montréalaise, s’oppose notamment au projet de loi et prévoit une manifestation cette semaine.
« Ils ont, dans une société démocratique, le droit de commenter le projet de loi, de faire valoir leur opinion, a argué la ministre. Là où on transgresse une certaine ligne, c’est [quand on dit] qu’on va bafouer une loi qui pourrait être légitimement adoptée par l’Assemblée nationale. Je trouve cela légèrement troublant. »
Tribunaux
Le gouvernement Legault a utilisé la disposition de dérogation pour mettre le projet de loi à l’abri des contestations judiciaires basées sur les chartes des droits et libertés. Mais certains juristes et constitutionnalistes estiment que des actions demeurent possibles — notamment autour de l’usage même du dispositif de dérogation à titre préventif. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU pourrait aussi être saisi du dossier, soulève-t-on.
Amnistie internationale Canada francophone, qui avait demandé vendredi avec six autres groupes le retrait du projet de loi, analyse présentement celui-ci « avec des avocats amis ». Et « très probablement que ça va déboucher sur une action juridique », selon la porte-parole Anne Sainte-Marie.
Julius Grey estime pour sa part que les Nations unies représentent probablement la meilleure chance des opposants… encore que toute décision soit alors non contraignante. Lui-même y avait plaidé il y a trente ans, à l’encontre de la loi 178 sur l’affichage unilingue. « Le contexte est semblable, pense-t-il, même si la Charte de la langue française était un enjeu plus grand » que les questions soulevées par le projet de loi sur la laïcité.
Ottawa
À Ottawa, le ministre de la Justice, David Lametti, a évité de se mouiller dans ce dossier. « Nous sommes le parti de la Charte [des droits et libertés], a-t-il affirmé. On y croit fermement et on va examiner les options. Mais on va respirer par le nez et on va le faire avec calme. »
Or, en coulisses, on indique que le gouvernement Trudeau n’a pas l’intention d’intervenir dans le débat, ni même de piloter une éventuelle contestation judiciaire. Une source libérale note qu’il n’existe qu’un seul précédent de contestation par le fédéral d’une loi provinciale en première instance — outre des cas de séparation des pouvoirs.
D’ailleurs, souligne-t-on, Ottawa n’était pas intervenu dans la contestation judiciaire de la précédente loi québécoise sur la neutralité religieuse, déposée par les libéraux de Philippe Couillard. « On a un programme de contestation judiciaire qui offre du financement, mais c’est complètement indépendant. Ce n’est pas nous qui décidons quel dossier devrait être financé. »
Les élus libéraux fédéraux ont par ailleurs reçu des lignes directrices pour les aider à affronter les questions des médias et des citoyens sur le sujet. Les répliques reprennent entre autres des propos passés de Justin Trudeau voulant que la Charte protège tous les droits des Canadiens et que l’État n’ait pas à dire aux citoyens comment s’habiller.
Avec Marie Vastel et Hélène Buzzetti