Des milliers de manifestants calmes, mais mécontents, se sont fait entendre, dimanche, à Québec, pour dénoncer la brutalité policière et la discrimination raciale. « Assez, c’est assez ! », ont-ils scandé, choqués par la mort de l’Américain George Floyd il y a deux semaines.
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Le nom de l’Afro-Américain de 46 ans, tué par un policier il y a deux semaines au Minnesota, a finalement résonné dans la capitale alors qu’une deuxième manifestation a eu lieu simultanément à Montréal.
Plusieurs milliers de personnes ont envahi le site de la fontaine de Tourny sur le coup de 11 h, débordant même sur les remparts. La quasi-totalité arborait le masque et brandissait des pancartes aux slogans à la fois revendicateurs et pacifiques.
La foule s’est massée de façon disciplinée devant une scène de fortune dans l’avant-cour du Parlement. Le civisme qui régnait mettait en pleine évidence le discours revendicateur des personnes issues de minorités visibles, dont le drame américain a ravivé de douloureux souvenirs.
« Nous voulons avoir confiance en la police, mais les vidéos qu’on voit quotidiennement nous montrent qu’il y a un problème. Nos amis et moi sommes choqués et traumatisés », a décrié au micro Carelove Doréus, l’une des organisatrices, suscitant de lourds applaudissements.
Aucun policier noir
Le rappeur Webster, originaire du quartier Limoilou, a ensuite appelé la Ville de Québec et son service de police à mettre sur pied une « enquête publique sur le profilage racial ». « On demande aussi au SPVQ, à la Ville de Québec, d’accélérer le recrutement d’agents racisés. Vous avez déjà vu des policiers noirs, ici ? On est en 2020 ! », a-t-il lancé.
Sur 853 policiers, le SPVQ ne compte en effet aucun policier noir, a concédé son directeur, Robert Pigeon, en entrevue à Salut Bonjour dimanche matin. « Ce n’est pas par faute d’essayer d’en recruter, de multiplier les efforts. On le fait toujours », a-t-il plaidé.
La manifestation, qui s’est limitée à un rassemblement devant le Parlement, a pris une forte teneur symbolique quand les manifestants se sont agenouillés pendant près de neuf minutes, ce qui correspond au long moment durant lequel le policier Derek Chauvin a écrasé le cou de George Floyd avec son genou.
Dans les minutes suivantes, des huées de la foule ont été généreusement nourries par les discoureurs quand ils ont évoqué à quelques reprises que le premier ministre François Legault se refuse à reconnaître l’existence de racisme systémique au Québec.
Pas distanciés, mais masqués
Pandémie oblige, les participants sont invités à respecter les consignes de distanciation et d’hygiène dans la mesure du possible. Si les deux mètres de distanciation ont été relégués aux oubliettes, la très vaste majorité des manifestants était masquée. Quelque 1200 masques et du gel désinfectant ont été offerts gratuitement aux participants. Des experts ont toutefois émis certaines craintes quant à la propagation du virus.
Le SPVQ a souligné que tout s’est déroulé dans la « paix et le bon ordre ». Aucune arrestation n’a été rapportée.
« Il y a de la discrimination » à Québec
La discrimination envers les personnes noires se vit encore au Québec, et même à Québec, en 2020, ont insisté plusieurs manifestants devant l’Assemblée nationale, dimanche.
« [Il ne faut] pas se voiler la face. Certes, l’ampleur du racisme ici n’est pas comme aux États-Unis. Mais les manifestations sont aussi insidieuses. Il y a de la discrimination. On le vit au quotidien, nous, les gens de couleur », soutient Moussa Bienvenu Haba, 40 ans.
Profilage
Le doctorant à l’Université Laval soulève plus particulièrement l’enjeu des interpellations policières. « On sent la différence quand on sort le soir. On devient tout de suite un risque, on va se faire contrôler plus que la normale. [...] Moi, j’ai beaucoup réduit ma nightlife à cause de ça », affirme-t-il.
La police de Québec répond qu’elle est sensible face à l’enjeu du profilage racial. Cette thématique est abordée lors de formations, explique son porte-parole, Pierre Poirier. Un agent de liaison a été nommé pour créer des liens avec les communautés culturelles. « Il y a peut-être des circonstances qui amènent [les policiers] à faire des vérifications », suggère-t-il.
Dans d’autres situations aussi, des citoyens noirs racontent ne pas toujours être traités équitablement. Sur le marché du travail, par exemple.
« Tu peux te faire virer, tu ne sais pas pourquoi [ou encore] le fait que tu travailles depuis très longtemps et que tu n’as pas d’augmentation de salaire, tu n’as pas d’avancement. Tout ça, ça pèse lourd », affirme Marietou Niang, une résidente de Québec d’origine sénégalaise.
Paroles blessantes
Il y a aussi les paroles qui blessent et qui fusent encore à l’occasion à l’école ou dans les lieux de travail, ont déploré des participants.
Benoni Lukusa, 21 ans, fait part de son expérience sur les terrains de soccer de Loretteville. « Les émotions prennent le dessus et c’est là que tu peux commencer à entendre certains commentaires. Je peux vous assurer que ça fait mal », dit-il.
Dominique Lelièvre
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