Kate Middleton et le prince William effectueront une visite au Canada, du 30 juin au 8 juillet. Le Soleil accordera une attention toute particulière au couple royal qui s'arrêtera à Québec le 3 juillet. »
1 «Le samedi de la matraque». Le 10 octobre 1964, pendant le jour jusque tard dans la nuit, la police de Québec pourchasse et matraque les manifestants, les journalistes et aussi de simples citoyens.
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Michel Corbeil Le Soleil (Québec) L'escale qu'effectuera chez nous le couple royal William et Kate pourrait bien reconfirmer l'histoire de désamour entre la ville de Québec et la monarchie qu'incarne Élisabeth II.
Le roman ne comporte que trois chapitres, dont celui qui s'écrira dimanche. Le premier se situe en octobre 1964, lors d'une visite qui a dégénéré en violence policière et que l'histoire retient comme le «samedi de la matraque».
Il a fallu attendre 23 ans pour connaître le second épisode, tant le traumatisme a été sérieux pour le premier. Le climat était nettement moins explosif. Mais les médias ont surtout retenu que la royale visite de 1987 a laissé froids les citoyens de la ville, contrairement au reste du Canada.
À l'époque, La Presse a publié un sondage suggérant que la reine inspirait surtout l'indifférence aux Québécois, les démarquant ainsi des autres Canadiens. C'est encore le même clivage et le même sentiment qu'attribue aux Québécois francophones l'enquête d'opinion publiée par Le Soleil, cette semaine, à propos du passage hautement médiatisé des deux membres de la monarchie britannique.
Climat social et politique incomparable
Le climat social et politique, lui, est absolument incomparable, entre le premier voyage de la reine et celui de son fils William.
Aux États-Unis, le président John Kennedy a été assassiné, en novembre 1963. Au Québec, le début des années 60, c'est la contestation dans les rues, le Front de libération du Québec (FLQ) qui commet des attentats, les premiers balbutiements du mouvement indépendantiste, rappelle l'historien Réjean Lemoine.
«On s'attendait à du brasse-camarade» lorsque Élisabeth II débarque dans la capitale, signale le chroniqueur urbain. Un an avant qu'elle nous visite, le FLQ se manifeste à Québec même, où il fait exploser le monument du général Wolfe, sur les plaines d'Abraham, en face du Musée du Québec.
Le passage de la monarque fournira, par contre, l'occasion aux souverainistes d'attirer l'attention du monde. Quelque 1300?journalistes, dont plusieurs de l'étranger, suivent l'événement.
Le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) annonce qu'il manifestera à Québec. Son jeune chef, Pierre Bourgault, un brillant orateur, déclare que la reine n'est pas la bienvenue, que «oui, c'est dangereux» pour elle.
En fait, le danger est pour les manifestants, apprendra-t-on à la lumière des faits. Pour assurer la sécurité des hôtes, quelque 2000?soldats et 1000 policiers patrouillent dans les rues.
Dérapage
Ces derniers dérapent. Le samedi 10 octobre 1964, pendant le jour jusque tard dans la nuit, la police de Québec pourchasse et matraque les manifestants, nombre de journalistes et aussi de simples citoyens.
«La police a un peu perdu la face», raconte l'historien Réjean Lemoine. Le mouvement indépendantiste a gagné en crédibilité.
«Sur le long terme, cela a créé un divorce entre Québec et la monarchie. Auparavant [en 1939, avec George VI, et dans les années 50, lorsque la future reine Élisabeth séjourne ici], elle n'était pas mal vue. Les gens étaient même très heureux quand les monarques venaient à Québec.»
Pierre Bourgault, lui, profitera de la présence des médias pour des rencontres de presse dont les échos se rendront sur la scène internationale. Dans Le plaisir de la liberté, le flamboyant leader se félicite des entrevues en série qu'il accorde, «où je faisais passer tout le discours indépendantiste et les revendications du RIN». À l'époque, les souverainistes n'ont pas d'élu à l'Assemblée nationale, encore moins à Ottawa.
«Jamais innocent»
Anecdote qui en dit long sur l'image que l'indépendantiste a de la politique, Bourgault a demandé à deux journalistes - un d'un quotidien suédois, l'autre du Toronto Star - de l'accompagner dans l'automobile qui l'amène de Montréal à Québec. Par crainte d'un frame up, d'être intercepté par des policiers - ce qui se produit trois fois - qui planqueraient des armes dans le véhicule pour l'en accuser, expliquera-t-il.
Le représentant du Toronto Star s'appelle Robert McKenzie. Joint chez lui, sur la Rive-Sud de Québec, le journaliste à la retraite de la Tribune parlementaire de Québec estime qu'en «1964, le mouvement indépendantiste [naissant] n'avait pas le choix de réagir. Ce sont des visites pour montrer que tout est normal, que la situation s'est normalisée», que les bombes du FLQ appartenaient au passé.
Lors de leur passage, William et Kate n'ont pas à craindre une explosion de violence. Le contexte est totalement différent, rappellent nos interlocuteurs.
Politiquement, les souverainistes ont pleine légitimité - et des élus pour les représenter. Un dérapage des forces de l'ordre ne saurait se produire - 1964 a été une leçon, mentionne M. Lemoine.
Et ce n'est pas la reine, mais un couple princier qui fait escale à Québec. Ce couple est, en fait, plus people magazine que royal.
Un très court passage
Dimanche, le désamour de Québec envers les représentants de la royauté se limitera à l'indifférence de la majeure partie de la population qui ne les apercevra que brièvement. Précaution? Le peu de temps passé dans la région se partage entre Québec et Lévis.
Le journaliste McKenzie croit que les indépendantistes du Réseau de résistance du Québécois, qui veulent dénoncer la visite royale, devront trouver un moyen de se faire remarquer. «S'ils sont pour être indifférents, ironise-t-il, il faudra que ce soit une indifférence manifeste, spectaculaire. C'est une contradiction dans les termes. Mais ça prend des gens devant les micros pour dire : "On est indifférents!"»
Des pancartes sur les «parasites» (l'insulte qu'a lancée le député de Québec solidaire, Amir Khadir, à l'endroit du couple royal) ou encore proclamant «Go home!» feraient effet sur les médias britanniques, s'amuse-t-il.
Le divorce de Québec avec la monarchie, lui, semble là pour durer. Au 400e anniversaire de Québec, la reine s'est abstenue de participer aux célébrations, où la classe politique de la France a occupé les premières places sur l'estrade d'honneur, signale Réjean Lemoine.
Ce qui n'exclut pas la volonté plus ou moins affichée de se servir, cette fois, des jeunes mariés William et Kate pour tenter de vendre l'idée d'une monarchie ayant un nouveau visage.
Un «test»
Robert McKenzie, un Écossais d'origine, tient à mentionner que «ces visites [de la monarchie britannique], ce n'est jamais innocent. Buckingham Palace [la résidence officielle de la famille royale], comme le Vatican et tous ces trucs, c'est aussi politique que la politique. Une visite comme celle-là, c'est très important. C'est comme un test» dont les organisateurs aimeraient dire qu'il a été réussi, pour l'accueil notamment.
Il n'est pas exclu que ce test serve à des fins domestiques, au Royaume-Uni même, croit M. McKenzie, qui séjourne souvent outre-mer. Une rumeur veut que des partisans de la monarchie veuillent écarter le prince Charles, le mal-aimé des Britanniques, de la succession de sa mère Élisabeth II, au profit du petit-fils William. Justement, le sondage publié par Le Soleil a mentionné que ce dernier est trois fois plus populaire que Charles pour devenir roi.
Réjean Lemoine convient que la visite à Québec contient une part de calcul politique. Ottawa peut avoir la tentation de récupérer l'événement, s'il se passe sans incident, pour affirmer que le divorce est d'une autre époque, que ce couple est «jeune», que la monarchie a changé.
Comme les opposants peuvent vouloir s'en servir «pour relancer une fièvre» contre un symbole, «le colonialisme britannique. Sauf que les Britanniques ne sont plus tellement présents au Québec».
Reste que, quand il se trouve des centaines de journalistes, «si tu veux t'inscrire quelque part [dans l'actualité], comme Patrick Bourgeois [du Réseau de résistance du Québécois], s'il veut faire parler de lui, c'est un bon moment. Chacun a sa stratégie dans ça pour inscrire des coups».
Il était une fois une manchette-choc
C'est à un journaliste du Soleil que revient le mérite d'avoir inventé la manchette-choc - «Le samedi de la matraque» - qui évoque instantanément, 46 ans plus tard, la visite de la reine Élisabeth II, en 1964. Et ce ne sera pas sans conséquence pour la carrière de certains de ses collègues.
C'est un jeune journaliste au pupitre du quotidien, Martial Dassylva, qui coiffera le texte du titre historique, révèle Louis-Guy Lemieux, dans un article paru en octobre 1996.
Selon le journaliste à la retraite du Soleil, il n'y a pas que la manchette qui provoquera des vagues. C'est le traitement journalistique, par les médias en général, du séjour d'Élisabeth qui est mis en cause, rapporte Louis-Guy Lemieux.
L'accent est mis sur le dérapage des policiers qui brutalisent des manifestants, mais aussi des citoyens sortant du cinéma ou attendant l'autobus. La froideur même de l'accueil de la population est aussi mise en évidence. Le faste de la réception officielle est repoussé dans les «pages féminines», et les enfants agitant des drapeaux sur le parcours ne sont pas photographiés.
«La classe politique et les élites locales» sont outragées. «Il faut des boucs émissaires. On les trouvera, notamment, dans la salle de rédaction du Soleil», poursuit l'article. «Le gérant de la rédaction, Jean-Charles de la Durantaye, et le directeur de l'information, Jean-Paul Quinty, verront leur carrière brisée.»
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