La guerre de sept ans durera de 1756 à 1763, jusqu’à la chute de la Nouvelle France. Cette guerre, restée en Amérique sous le nom de « Guerre des Français et des Indiens » (French and indians war) va opposer deux mondes totalement différents.
D’une part les Canadiens français de la Nouvelle France, des catholiques, aventuriers, intrépides, ne reculant devant aucune entreprise pour la défense de leur pays, ce pays de Canada que leurs pères et les pères de leurs pères avaient bâti en traversant les mers au 17ème siècle, soutenus par leur caractère entreprenant, étonnant de dynamisme, mais qui ne pouvaient s’appuyer que sur seize à dix-huit mille miliciens franco canadiens, divisés en compagnies paroissiales, chacune dirigées par deux capitaines, auxquelles se rajoutaient leurs alliés Amérindiens !
L’alliance des Canadiens avec les Amérindiens fut l’un des atouts majeurs des Français de la Nouvelle France.
D’autre part les Anglais formaient une société protestante, sérieuse, mais austère dans laquelle se trouvaient aussi des huguenots, c’était une société importante grandement soutenue par l’Angleterre qui dépensait quatre-vingt-dix millions de livres, contre vingt-cinq fois moins pour la France. Les forces en présence, étaient donc totalement disproportionnées.
Une Angleterre qui avait déjà juré de chasser les Français, projetant même, par la suite, une offensive contre la totalité de l’Empire français ! William Pitt, premier ministre Britannique, pensait que la guerre entre les Anglais et les Français se gagnerait sur le sol de la Nouvelle France, tandis que le Roi de France, Louis XV, persistant à croire qu’elle se gagnerait en Europe, n’envoyait pas davantage de forces pour aider les Français sur le sol d’Amérique du Nord.
Le suédois Pehr Kalm, dès l’année 1749, n’imaginait pas que les Anglais pourraient gagner contre les Français, car d’après lui le Canada des Français avait prouvé dans le passé, et il le fit encore durant les premières années de la guerre de sept ans, qu’il était bien supérieur aux armées anglaises et aux milices des colonies britanniques, non pas en nombre mais dans sa façon de combattre. C’est l’européanisation du conflit qui permit à la Grande Bretagne de jeter toutes ses forces dans la bataille pour gagner le continent Nord-Américain.
La paix régnait entre la France et l’Angleterre depuis le traité d’Aix la chapelle du 18 octobre 1748. Une paix qui avait été loin de contenter l’Angleterre, n’ayant pas obtenu ce qu’elle désirait. La guerre était donc à peine terminée en Europe, qu’un conflit éclata en Amérique du Nord au sujet de la vallée de l’Ohio. Les commerçants et trafiquants de fourrures des colonies anglaises s’étaient infiltrés dans la région et les Virginiens qui spéculaient sur les terres, revendiquaient ce territoire. La France contesta avec raison, ces prétentions. La vallée de l'Ohio était bien devenue française depuis les découvertes de Jolliet en 1673 puis de La Salle en 1682 aussi elle chassa les commerçants américains en 1753, et leur opposa une fin de non-recevoir. Les Français entreprirent alors la construction d’une série de forts, depuis le sud du lac Érié jusqu’à la rivière Ohio, ainsi que le fort Duquesne afin de leur permettre la défense militaire de toute cette région.
George Washington, jeune officier des milices de Virginie, fut envoyé avec un détachement de troupes, dans ce bassin supérieur de l’Ohio, objet d’une grande convoitise de la part des Anglais.
Les troupes de la milice de Virginie furent rejointes en chemin par Tanaghrisson. Ce chef Mingo appelé « demi Roi » par les Anglais, était de la tribu des Catawba puis, après avoir été prisonnier des Français, il avait été adopté par les Tsonnontouans, une des Cinq tribu iroquoises. Convaincu que la protection britannique allait assurer de grands avantages aux Indiens de l‘Ohio, il avait cherché à réunir les quelques tribus proches des Anglais, mais beaucoup étaient cependant en désaccord total avec lui, à cause de l’action amicale et pacifique des Français qui occupaient cette région depuis si longtemps.
En septembre 1753, il s’était adressé à l’officier français délégué aux affaires indiennes, Joseph Marin de la Malgue :
« Quoique je sois petit, le Maître de la Vie ne m’a pas donné moins de courage, pour soutenir l’opposition de vos Etablissements, c’est la première et dernière demande que je vous ferai au nom de la ligue Iroquoise dans cette région de l’Ohio, et je frapperai celui qui ne nous écoutera pas. » Cela ne sera pas une menace voilée !
Informé de l’approche d’un détachement anglo virginien le commandant du fort Duquesne, Claude-Pierre Pécaudy de Contrecoeur, avait reçu l’ordre d’éviter la guerre avec les Anglais, mais de défendre ses positions en cas d’attaque. Il envoya dans ce but Jumonville, le 23 mai 1754.
Joseph Coulon de Villiers de Jumonville, enseigne dans les troupes de la Marine, né le 8 septembre 1718 dans la seigneurie de Verchères, était un des fils de Nicolas-Antoine Coulon de Villiers et d’Angélique Jarret de Verchères, cet officier militaire, partit alors avec un petit détachement d’une dizaine d’hommes, avec un simple statut d’émissaire pour parlementer, afin de signaler aux Anglais de se retirer de ces terres françaises. Les Français racontèrent par la suite que Jumonville se serait avancé en toute confiance en tant que parlementaire en agitant un drapeau blanc, afin de leur lire la sommation dont il était porteur.
Les Virginiens ne lui en laissèrent pas le temps, ils lui tirèrent aussitôt dessus et sans sommation, sous le regard impassible de George Washington. Ce jeune officier à cheval le laissa assassiner sciemment. Puis, Tanaghrisson le « demi Roi », s’approcha de Jumonville expirant, avant de lui planter son tomahawk dans le crâne, en lui soufflant : « Tu n’es pas encore mort ».
Tanaghrisson agissait en guerrier, conscient d’avoir échoué dans sa tentative de rallier les Indiens de l’Ohio, pour empêcher les Français de construire leur ligne de Forts à l’intérieur du continent, encerclant ainsi les lignes anglaises. Joseph Coulon de Villiers de Jumonville décédera le 28 mai 1754 près de l’actuelle Jumonville, en Pennsylvanie.
Tanaghrisson, de santé faible, décédera quelques mois plus tard, le 4 octobre, succombant à une maladie.
Mais après ce moment funeste, de la mort de Jumonville, l’horreur continua cependant, car George Washington laissa alors les Indiens de son escorte, torturer avec tous les raffinements de leur sordide cuisine, tous les autres Canadiens français, sans jamais intervenir une seule fois, regardant toute la scène, impassible, du haut de son cheval, sans en descendre et sans s’interposer en quoi que ce soit dans ce massacre des Français. Cet assassinat, froidement accompli, pèsera jusqu’à la fin des temps sur la mémoire de cet homme, quel que soit le grand homme qu’il fût par la suite dans l’Histoire des Etats unis d’Amérique... Un seul des Canadiens réussit à s'échapper et à porter la triste nouvelle au fort Duquesne.
Même Voltaire s’en indigna : « Je ne suis plus Anglais depuis qu’ils se font pirates sur les mers et assassinent nos officiers en Nouvelle France ! »
Cependant les Français, révulsés par cette attaque ignominieuse sur un parlementaire, envoyé en ambassade officielle dénoncèrent avec raison un assassinat. Bien entendu, ils n’en restèrent pas là. Ils tinrent le Virginien pour responsable de la mort de Joseph et de toute la petite délégation française. De Contrecoeur, indigné de cette violation du droit des gens en temps de paix, chargea Louis Coulon de Villiers, frère de Jumonville, de s’emparer du fortin Nécessité. Dans leur marche, les poursuivants trouvèrent les cadavres des victimes à Jumonville Glen abandonnés à même le sol. Les ordres de Villiers portaient expressément de ne faire des actes d’hostilité qu’autant qu’il serait nécessaire pour chasser les Anglais et les faire évacuer des terres de la Nouvelle France. L'intention des Français n'ayant jamais été de troubler la Paix et la bonne harmonie qui régnait alors entre les deux couronnes, mais seulement de venger l'assassin d’un de leurs officiers, porteur d'une simple sommation et de son escorte.
Entre temps, George Washington était retourné à Great Meadows, une large étendue de terre pour y rassembler ses troupes et ordonner la construction d'une palissade défensive autour d'un petit bâtiment, qu'il nommera laconiquement Fort de la Nécessité. Il espère que cet abri sommaire pourra lui donner peut-être un avantage tactique, les Français étant obligés d'avancer à découvert jusqu'au fortin, tout en sachant néanmoins qu’il n’avait aucune chance, la nuit venue, de pouvoir résister aux Français et à leurs alliés indiens. D’autant plus qu’il apprendra rapidement le ralliement aux Français des puissantes tribus Chaouagon (Shawnees) et Delaware (Lenape) de la vallée de l’Ohio. Quant aux alliés amérindiens des Anglais dont le groupe du demi-Roi Tanaghrisson (Half King) qui était à Jumonville Glen, estimant la défense des Anglais impossible, les abandonneront sur le champ.
Le 3 juillet Louis mit sa troupe en embuscade, autour de ce petit abri construit à la hâte, le fort Nécessité, où G. Washington s'était replié en toute hâte avec les soldat anglais. Cependant, beaucoup moins barbare que lui, Louis Coulon de Jumonville après avoir fait brûler le fortin et demander leur reddition, ne les fit ni tuer ni torturer par ses alliés indiens. Il les autorisa même à partir, contre leur parole de ne plus revenir empiéter sur les terres françaises... Dans l’acte de capitulation qu'il signa Washington reconnut qu’il avait bien effectivement « assassiné » Joseph de Jumonville.
Mais fort soulagé d’être libre, Washington, s’enfuit ensuite si rapidement qu’il laissa son journal parmi ses bagages abandonnés, et même s’il nia, par la suite avec beaucoup de force, avoir avoué et écrit qu’il était coupable de cet assassinat, en accusant l’interprète d’avoir subtilisé les mots « morts » en « assassins », les Français purent prouver grâce à ses propres écrits qu’il mentait sans vergogne, et le taxèrent lui et les autres Anglais qui l’accompagnaient, d’assassins.
Bien des années et des décennies plus tard, en souvenir de l’assassinat de Joseph et en remerciement du geste de Louis, une ville des Etats-Unis portera le nom des deux frères Jumonville.
Des descendants des frères de Joseph de Jumonville vivent encore en Amérique du Nord et certains habitent aux États-Unis d’Amérique.
Notes.
Il y a deux versions historiques de l’affrontement entre Joseph de Jumonville et la troupe de Washington, celle décrite dans le texte ci-dessus est celle racontée par les Français, a été la plus souvent énoncée par de nombreux historiens, également, entre autres, par Aubert de Gaspé.
La deuxième version, celle de W. J. Eccles reprise dans le dictionnaire biographique du Canada, décrit Joseph de Jumonville et son petit groupe de Français endormis dans un abri, n’ayant pas prévu d’installer la moindre sentinelle, ils auraient été réveillés en sursaut par Washington et furent tous tués sauf un.
Cela ne change rien à cet ignoble assassinat !
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