Nous sommes pétris de tous ceux qui nous ont précédés sur notre sol et porteurs de tous ceux qui nous succéderont.
Les premiers Français arrivés sur ce sol de la Nouvelle France étaient principalement des artisans, des commerçants, ils ne sont vraiment devenus agriculteurs qu’après la cession de la Nouvelle France, afin d’arriver à survivre dans leur pays devenu désormais anglais !
Amenés par les bateaux de la compagnie de fourrure, ils durent aussitôt après avoir posé le pied sur le sol de ce nouveau pays, s’employer à aller faire la traite des fourrures afin d’enrichir la Compagnie de commerce qui en avait reçu le monopole. Certains se sont demandé pourquoi tous ces hommes jeunes venus de France s’en allaient immédiatement courir les bois, sans aucune connaissance que ce soit du terrain, du climat si rigoureux ou même des Indiens ! La Compagnie de commerce leur avait fait signer un contrat où elle s’engageait à les amener en Nouvelle France, à les aider à s’installer, à leur apporter des vivres chaque printemps - puisque ces Français, devant s’occuper de ramener des fourrures, n’avaient pas le temps de planter et de récolter quoique ce soit pour vivre - et enfin à les ramener en France si au bout de trois ans ils ne se plaisaient pas, tout cela à ses frais, mais en compensation ils devaient aller faire la traite avec les tribus au fond des bois pour ramener des pelleteries que la compagnie revendrait au prix fort aux élégantes européennes. C’est ainsi que la compagnie des marchands de Rouen et de Saint Malo avait refusé à Louis Hébert de lui apporter une charrue, fort mécontente qu’il ne veuille pas honorer son contrat et aller faire la traite, préférant planter ses plantes médicinales ainsi que des fruits et des légumes. Pourtant, à cause de son refus il devra défricher son terrain à la main, en abattant les arbres, puis les dessoucher et enfin labourer sans aucun instrument aratoire ! Le premier à avoir l’autorisation de faire venir une charrue sera son gendre Guillaume Couillard.
Quatre cents soldats du régiment de Carignan Salières étaient également restés, sur proposition du Roi, lorsque leur régiment était rentré en France en 1668. Ils ont participé à construire et à peupler eux aussi ce pays. Tous étaient des gens au grand courage qui ont défriché les terres, avec leur vaillance et leur enthousiasme, - et il en fallait lorsqu’on connaît leur petit nombre, le peu de moyens dont ils disposaient en ce 17e siècle ! - découvrant toujours plus loin cet immense pays qui lorsque les Anglais s’en sont emparé, depuis le temps qu’ils en rêvaient, s’étendait jusqu’à l’Ouest dans les Rocheuses grâce à la Vérendrye, jusqu’à la baie d’Hudson au Nord avec Pierre Le Moyne d’Iberville et jusqu’à la Louisiane avec Cavelier de la Salle, sans citer tous les autres extraordinaires explorateurs et coureurs des bois qui ont participé à ces importantes explorations.
Ces hommes-là dont vous pouvez être fiers, vous êtes des milliers aujourd’hui à porter encore leurs noms et leur sang coule à jamais dans vos veines. Certains d’entre leurs descendants n’oublient rien, de ce passé, malgré ces deux cent cinquante-cinq ans écoulés.
Effacer le passé c’est réduire l’être humain à son immédiateté c’est le déshumaniser. Ne cessons jamais de nous souvenir !
Après le succès de l’expédition de Louis Joliet et du père Jacques Marquette qui les avait amenés en juin 1673 à la jonction du fleuve Arkansas et du grand Metsi Sipi (père des grandes eaux), le gouverneur de la Nouvelle France, Louis de Buade, comte de Frontenac, espérant endiguer toute avance des Anglais, va souhaiter construire une ligne de fortifications tout le long de la vallée de l’Illinois jusqu’à la vallée du Mississipi, (avec un seul « p » comme l’écrivaient les Français pour suivre la phonétique amérindienne) sur le modèle français du grand ingénieur de Louis XIV Vauban.
Il va alors confier l’exécution de ces travaux à Cavelier de la Salle.
Le jeune René Robert Cavelier était arrivé depuis quelques années à peine en Nouvelle France, attiré par ce pays tout neuf que bâtissaient avec courage et obstination une poignée de Français depuis plus de soixante ans.
Son oncle avait fait partie de la Compagnie des Cent-Associés et un de ses frères était Sulpicien à Montréal, c’est ainsi qu’en 1667 il traversa l’océan et arriva à son tour sur ces terres septentrionales.
Les Sulpiciens lui concèdent alors rapidement un domaine (appelé seigneurie sous l’Ancien Régime français) dans l'île de Montréal, mais au bout de deux ans, il le vend afin de financer un premier voyage d'exploration vers les Grands Lacs, dans le but de découvrir la route de la Chine. Aucun document ancien n’a pu décrire les endroits réellement explorés par La Salle entre 1669 et 1672, il semble que Cavelier lui-même ne l’ait jamais ni écrit ni raconté.
Frontenac invitera les Cinq Nations Odinossonis/Iroquoises à une grande rencontre, ce sera le « Grand Parlement » en 1673 à Kataracoui sur le lac Ontario, Cavelier participera à rassembler ces tribus autour du gouverneur de la Nouvelle France, afin d’établir la paix avec ces tribus.
Puis il partira ensuite en France en 1674-1675 pour apporter des lettres du gouverneur Frontenac à Colbert, ministre de Louis XIV, il proposera au roi de racheter le fort Kataracoui et d’y entretenir une garnison à ses frais. C’est ainsi que de simple commerçant, en contrôlant à cet endroit du lac Ontario une grande partie du commerce des fourrures, il fera un grand profit commercial. Cela lui permettra de reconstruire le premier fort de Kataracoui fait de simples pieux, en un fort solide de pierres, auquel il donna le nom de son protecteur Frontenac.
Au cours d’un deuxième voyage en France il obtient l’autorisation de découvrir la partie occidentale de la Nouvelle France, les lettres patentes du roi lui permettront d’installer officiellement des forts dans la vallée de l’Illinois. Il sera de retour en Nouvelle France en juillet 1678 mais il ne sera pas seul, le jeune Henri de Tonti, que le duc de Conti lui avait présenté, l’accompagne. Il deviendra son indéfectible bras droit sous les cieux de cette Amérique du Nord, où le destin va curieusement les entraîner.
Tout s’enchaînera très vite.
Un premier fort sera construit sur le lac Erié dès l’automne 1678 par Henri de Tonti, puis aura lieu la construction en 1679 d’un navire le Griffon, de quarante-cinq tonneaux, armé de cinq canons, pour pouvoir naviguer aisément sur les grands lacs. Pendant ce temps Robert Cavelier se dirige jusqu’au fond du lac des Illinois à l’embouchure de la rivière des Miami, pour construire cette ligne de fort voulue par le gouverneur Frontenac. Ce sera Fort Crèvecœur, puis Saint Louis des Illinois sur la rivière des Illinois à l’endroit où elle se jette dans le Mississipi.
De nombreuses épreuves n’entraveront en rien le tempérament particulièrement persévérant de Cavelier, il les surmontera avec une opiniâtreté sans pareille, comme le Griffon coulé mystérieusement ou encore toutes les fourrures disparues sur lesquelles il comptait pour financer son expédition, de même les forts détruits qu’il reconstruira aussitôt avec courage !
A l’automne 1681 il prépare avec Henri de Tonti la prochaine descente du Mississipi, cette fois. Ainsi le 4 janvier 1682 sans perdre un instant ils arrivent à la rivière Chicagou, se dirigent vers le fort Crévecoeur et dès le 6 février 1682 parviennent sans incident notable à l’embouchure de la rivière des Arkansas, à cet endroit même où Louis Jolliet et Jacques Marquette ayant découvert en 1673 la jonction avec le Mississipi, s’étaient arrêtés.
Pour Robert Cavelier l’exploration importante sur « le Père des grandes eaux » peut enfin commencer. Entourés d’une trentaine de Français et d’Amérindiens, malgré les difficultés de tous ordres ils vont atteindre son embouchure, en deux mois. Dès le 6 avril, ils se trouvent en effet au niveau du delta du fleuve, ils reconnaissent parfaitement les trois chenaux menant à la mer.
Le 9 avril 1682 a lieu la prise de possession officielle du pays au nom du roi de France, au cours d’une cérémonie solennelle, à l’apparat soigné, digne de la cour de Versailles. Robert Cavelier de la Salle revêtu d’un manteau écarlate entièrement galonné d’or, coiffé d’un extraordinaire chapeau à plumes tels qu’en portent les plénipotentiaires de la cour du Roi, est entouré de ses compagnons, dans ce lieu désert à peu près où s’élève de nos jours la ville de Venise.
Il y fait ériger une croix aux armes royales fleurdelisées, avec cette inscription :
« Louis le Grand, roi de France et de Navarre, règne le 9ème d’avril 1682 ».
Puis il enterre au pied de cette croix, une plaque de cuivre gravée de ces mêmes armes royales. Il prend alors possession de ce pays qu’il nomme Louisiane en l'honneur de Louis XIV.
Ce vaste territoire est grand comme quatre fois la France, allant du golfe du Mexique jusqu’aux grands lacs de la Nouvelle France, agrandissant d’autant celle-ci, des Montagnes Rocheuses aux monts Alleghany et couvre la superficie occupée par près de dix-huit états des Etats-Unis d’Amérique actuels, proclamant françaises toutes les terres arrosées par le fleuve et ses affluents, au son d’hymnes triomphants et de salves de mousquets.
Le notaire Jacques de La Métairie a consigné tous les détails de cette inauguration dans un procès-verbal.
Après un tel exploit, Cavelier de la Salle, repartira une nouvelle fois en France en 1683 où il obtiendra l'appui matériel du roi de France, pour un véritable projet d'établissement de la Louisiane. Il quitte à nouveau la France, sans se douter que son destin l’attend là-bas et qu’il ne la reverra jamais !
Il s’embarque depuis le port de la Rochelle le 1er Août 1684, avec quatre vaisseaux, accompagné de près de trois cents Français, hommes, femmes et enfants, et quelques religieux, afin d'y établir maintenant une colonie. Il pense rejoindre le Mississipi par la mer, en passant par Saint-Domingue, puis Cuba, mais les ennuis continuent, un des vaisseaux est attaqué et pris par des flibustiers puis il s’avère impossible de reconnaître l'embouchure du fleuve dans une telle multitude de lagons et autres bayous où la terre et l’eau se confondent, au milieu de petites îles innombrables et de quantités de bancs de sable. C’est un delta si immense - quatre cents kilomètres de largeur d’Est en Ouest - que les navires ne peuvent le trouver et encore moins s’en approcher. Ils touchent finalement terre du côté du Texas le 1er janvier 1685, à la baie de Matagorda, cette baie est excessivement éloignée vers l’Ouest du delta, de près de cent cinquante kilomètres.
Cavelier fonde alors en 1685, le fort de la rivière aux bœufs à cet endroit-là, au bord du golfe du Mexique, pour installer les colons venus de France, tandis qu’il va tenter des mois durant de parcourir à pied le pays afin de retrouver l’embouchure… Cependant au bout de deux années de recherches compliquées et périlleuses il n’aboutira qu’à des échecs successifs. Son caractère autoritaire le fait entrer en conflit avec son entourage car s’il est d’une rigueur particulièrement stricte pour lui-même, il attend la même exigence de la part des autres. Dans ces conditions fâcheuses où tous manquent des choses les plus élémentaires, y compris d’eau potable, les maladies et les morts sont innombrables. Le petit fort où sont repliés les colons, est de plus entouré d’Indiens hostiles, dont ils doivent sans cesse se méfier.
Cavelier va alors renoncer à retrouver l’embouchure du fleuve, il décide de partir avec un petit groupe pour aller chercher du secours en remontant vers la Nouvelle France.
Son expédition de retour se révélera des plus tragiques, Cavelier de la Salle toujours exigeant avec ses compagnons sera tué à bout portant le 19 mars 1687 par un de ses hommes, et son corps abandonné sur place sera laissé aux vautours. Six survivants seulement arriveront à rejoindre la Nouvelle France dont entre autres, Henri Joutel, l’abbé Jean Cavelier, propre frère de Robert Cavelier, le père Anastase Douay, tous soulagés de retrouver la civilisation qu’ils ne pensaient jamais revoir après autant d’épreuves. Ils parcoururent pour cela plus de 4000 kilomètres depuis le golfe du Mexique, sans routes ni chemins, sans cartes évidemment, sans ponts pour les traversées de rivières ou de fleuves, au milieu de tribus indiennes inconnues qu’ils durent sans cesse amadouer, sans en connaître les différents langages.
Faisant preuve d'une force de caractère inouïe, d'une ténacité et d'un courage presque surhumains, La Salle demeure un des personnages les plus controversés de la Nouvelle-France.
Louis Joliet et Jacques Marquette étaient arrivés à la jonction même avec le Mississipi, pourtant la découverte du Mississipi lui revient, car seul La Salle l’a descendu et a atteint son embouchure sur le golfe du Mexique, lui permettant de fonder la Louisiane. Mais la gloire de la Salle si importante soit-elle ne peut dévaloriser Louis Joliet et Jacques Marquette, car ce sont bien eux les premiers qui sont arrivés jusqu’au grand fleuve, qui ont vu de leurs yeux ce « Père des grandes eaux » pour la première fois. Certes les Etats unis d’Amérique ont préféré élever davantage de statues au père Jacques Marquette, un simple religieux leur faisait moins d’ombrage que Cavelier, commissionné par la France pour cette exploration et qui avait découvert et fondé la Louisiane au nom de son roi.
Ce sont néanmoins des historiens états-uniens qui lui ont rendu le plus fervent hommage. L’épopée française, dans le Nouveau-Monde, Francis Parkman l’a racontée en plus de dix volumes. Demi-aveugle, puis aveugle tout à fait, il suivait dans les forêts, les prairies, et le long des rivières les traces de nos missionnaires et de nos explorateurs. Sa passion les a ressuscités. « Quelle vision », dit-il « se lève devant eux ! Un continent immense, des forêts, des steppes, des montagnes dont rien n’avait jamais dérangé le silence, des lacs dont l’horizon se confond au ciel, des fleuves enveloppés de pays inconnus... »
Un autre historien états-unien, John Finley, a évoqué avec une réelle admiration ceux qui portèrent au cœur de l’Amérique du Nord la Croix et les Fleurs de Lys ! « Des gentilshommes, dit-il, nourris de littérature antique, des prêtres pâlis dans les cloîtres, et qui ont passé dans ce monde sauvage le midi et le soir de leur vie, gouverné avec douceur, paternellement, les hordes des Peaux-Rouges, affronté avec sérénité les formes les plus effroyables de la mort ». Et il ajoute : « Cet immense domaine que ces Français ont ouvert à la civilisation, la France ne le perdrait tout à fait que si un jour elle oubliait. »
Les vingt personnes restées à la rivière aux bœufs seront toutes tuées par les Indiens Karankawas qui les massacreront les unes après les autres, seuls les enfants seront sauvés par les femmes indiennes qui s’occuperont d’eux avec compassion.
Lors d’une expédition espagnole Alonso de Léon arrivera jusqu’aux restes du fort français le 22 avril 1689, construit en planches de bateau, une date, 1684, se lisait encore, gravée sur une porte, le sol était affreusement jonché de cadavres. Les Espagnols retrouveront les enfants français dans la tribu indienne voisine. Ils les emmèneront à Mexico où ils les élèveront, plus tard, trois d’entre eux deviendront soldats dans l’armée espagnole mais ils seront capturés par un navire français, et c’est seulement à ce moment-là, par les récits qu’ils feront, que les Français apprendront de quelle manière sordide, faute de secours, avait fini le petit établissement de La Salle, ce fort Saint Louis de la rivière aux bœufs, qui devait être les premiers fondements de la colonie de Louisiane.
Ces trois jeunes Français élevés par les Espagnols suivront par la suite Pierre d’Iberville.
Henri de Tonti avait longtemps cherché, mais en vain, l’expédition de la Salle au bas du Mississipi, dans l’espoir de lui porter secours. En désespoir de cause il avait à tout hasard laissé une lettre pour lui au chef des Quinipissas, une des tribus indiennes de cette région. Elle sera finalement remise douze ans après la mort de Tonti au Canadien Français Pierre Le Moyne d’Iberville, cet autre magnifique héros, reprenait sur les ordres du roi de France l’action d’aménagement et de peuplement de la Louisiane entreprise par Robert Cavelier de La Salle, puis le jeune frère de Pierre, Jean-Baptiste Lemoyne de Bienville eut l’honneur de l’achever.
L'avait-on oublié ? Il fut un temps où l'Amérique était française, avec, ce 9 avril 1682, le rajout de cette immense possession baptisée «Louisiane» ne se limitant pas, au simple petit Etat des Etats-Unis d’Amérique que l'on connaît aujourd'hui.
Ne cessons jamais de nous souvenir !
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