Médiocrité fédérale

Le grand cirque ordinaire des illusions « Canadian »



À quoi sert le Bureau de la condition des personnes handicapées? Bienheureux celui qui arrive à déchiffrer la version française du site Internet de cette institution fédérale pour le savoir. On nous y sert un charabia de fonctionnaires noyé dans un français lamentable devenu une des langues officielles du gouvernement Harper.

Mais ne craignez rien. Ce Bureau qui est responsable de la recherche «ayant trait des personnes handicapées» et qui contribue à la sensibilisation du «publique» canadien nous dit qu'il «recherche l'excellence», rien de moins (lisez à ce sujet l'article de ma collègue Louise Leduc). En plus, sa «division de la planification stratégique» lui fournit le soutien administratif, «ce qui incluse les budget», oui, oui, et même «les fonctions de coordination des notes et de la correspondance». Mais on ne dit pas, par contre, si ça «incluse» l'embauche d'un réviseur capable d'aligner deux mots dans la langue de VLB.
Qu'un obscur resto chinois peine à servir sa soupe won-ton en français, c'est une chose. Que le gouvernement fédéral qui se targue d'être bilingue nous serve encore et toujours ce genre de charabia, c'en est une autre. Il y a là un flagrant manque de respect envers les citoyens francophones pour qui les services dans leur langue ne devraient pas être un privilège mais bien un droit.
Remarquez, en matière de site fédéral bourré de fautes, on a déjà lu pire. Il y a deux ans, Gordon O'Connor, alors ministre de la Défense, avait confié la traduction de son site Internet à un logiciel. On y apprenait ainsi que M. O'Connor avait obtenu «56% des voix moulées dans des moulins du Carleton-Mississipi» (traduction surréaliste de «56% of the votes cast in Carleton-Mississippi Mills). Et le ministre y déclarait attendre «avec intérêt de continuer à servir des moulins du Carleton-Mississippi».
Tout cela serait sans conséquence si ce n'était que l'exception qui confirme la règle. Ce n'est malheureusement pas le cas. L'impression qu'on nous prend trop souvent pour des moulins n'est pas qu'une impression. Le rapport accablant rendu public hier par le commissaire aux langues officielles Graham Fraser en fait foi.
En principe, la Loi sur les langues officielles garantit au citoyen canadien «le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services» dans la langue officielle de son choix. En réalité, on est loin du compte. Année après année, les institutions qui font l'objet du plus grand nombre de plaintes sont toujours les mêmes. Année après année, celles qui ont jadis obtenu des notes médiocres continuent d'obtenir les mêmes notes médiocres, sans que personne ne sourcille. La majorité de ces plaintes (68%) concernent la langue de service (ce qui inclut la qualité du français des sites Internet). Et c'est Air Canada qui est en tête du palmarès des cancres.
Pour ce qui est de la langue de travail dans la fonction publique fédérale, le portrait n'est guère plus reluisant. Il s'agit d'un «maillon faible», note Graham Fraser. Encore là, on observe un «fossé énorme» entre les droits des employés et la réalité. Chez les fonctionnaires francophones, l'assimilation en milieu de travail est «courante». On l'explique notamment par le fait que les francophones connaissent mieux leur langue seconde que les anglophones ainsi que par une «culture organisationnelle où l'anglais domine».
Bref, le bilinguisme officiel reste encore et toujours une grande illusion. Peu de progrès ont été réalisés ces dernières années. «L'absence de vision d'ensemble» du gouvernement Harper explique ce «bilan terne», observer Graham Fraser.
À qui la faute? On ne pourra pas plaider le manque de temps. Lorsque le premier ministre Lester B. Pearson a jeté les bases de la politique linguistique canadienne en 1966, il espérait que la fonction publique fédérale reflète la dualité linguistique du pays et permette à tous les citoyens d'être servis dans la langue officielle de leur choix dans un délai «raisonnable», rappelle le rapport. Plus de 40 ans plus tard, le délai raisonnable est largement expiré.
Manque de temps? Non. Quarante ans plus tard, alors que rien ne bouge, on peut parler sans se tromper d'absence de volonté.


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