Ma première fois

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Loi sur la laïcité de l'État : un moment historique pour le Québec, malgré les ambivalences de la CAQ



Peut-être se serait-on attendu à ce que je me précipite pour écrire sur l’adoption de la loi 21. Qu’on me comprenne bien : je suis très heureuse du dénouement de cette saga, car je suis convaincue que, si par principe nous croyons réellement au vivre-ensemble, la laïcité chez les fonctionnaires de l’État en position d’autorité est fondamentale. La raison qui fait que je n’ai pas écrit plus tôt, c’est que cet événement, qui marque un tournant décisif dans notre histoire, m’a fait revivre de très anciens sentiments, ceux que j’ai éprouvés lors de ma première fois et qu'il me fallait laisser fleurir, avant de partager. 



Ça m’amuse de réaliser que je n’avais pas conscience, aussi intéressée et touchée par la cité que je puisse l'être, d’être toujours, et ce jusqu’en date du 16 juin dernier, une « pucelle » politique. J’entends par là que je n’avais jamais vécu ni observé consciemment un moment politique charnière de notre histoire ailleurs et autrement que dans mes livres. Il y avait bien eu 2012, mais j’étais très jeune et des circonstances personnelles m’avaient alors retenue de prêter corps militant au chapitre.  



Il y a quelques jours, donc, j’ai vécu, pour ainsi dire, ma « première fois » et je trouve qu’il y a bel et bien un parallèle à faire ici avec les choses de l’amour, car l’une comme l’autre ont un caractère hautement déterminant sur la suite des choses et des évènements. Permettez que je campe ici la métaphore d’un point de vue féminin, le seul duquel je puisse témoigner.



Aux portes de l’amour comme devant celles du monde politique, je remarque que, malgré notre désir fou d’y entrer, il y a une même appréhension, des angoisses très similaires. On craint d’être déçue, de se tromper, de prêter foi à qui ne la mérite pas. On craint, malgré notre vigilance, d’être dupée par des promesses en l'air. Nous portons la hantise d’être blessée, sinon vaincue par une amertume telle, qu’elle nous retiendra à jamais, par déception traumatique, de tenter le coup de la confiance à nouveau. L’ironie veut cependant que nous redoutions tout autant d’aller rejoindre les rangs du cynisme triomphant.  



On n’en parle jamais, mais si la première fois est si importante, c’est parce qu’elle déterminera le regard qu’on portera ensuite sur nous-mêmes, sur la vie comme sur les gens. Elle conditionnera notre capacité à faire confiance, à aimer et à se laisser aimer. Si elle importe autant, c’est surtout parce qu’elle deviendra le marqueur de comparaison avec tout ce qui viendra ensuite et cristallisera nombre de nos certitudes, bonnes comme mauvaises. 



Je constate qu’il en va tout à fait de même avec la « première fois citoyenne », la première fois où on accorde sa confiance à son gouvernement. Si elle est déçue et trompée, elle engendra le même ressentiment, la même méfiance et ce même immobilisme devant les trains qui passent, par peur de souffrir à nouveau. Si au contraire elle est réussie, elle donnera foi en l’avenir, donnera envie de découvrir la suite et d’y participer. De se sentir concerné par elle.  



En politique comme en amour, il n’y a pas de sans-faute. Il y a des maladresses et des faux pas, ça fait parti des jeux du bal, mais au moment de faire la somme des derniers mois, je constate que François Legault et Simon Jolin-Barrette ont eu les mêmes scrupules et délicatesses envers un Québec fatigué et profondément désenchanté par sa politique, qu’envers une jeune femme sur le point d’accorder ses plus intimes faveurs. Ils ont gagné la confiance de la majorité dans le calme, avec écoute et respect, et ils ne l’ont pas trahi en dernière instance. Ce qui ne s’était pas vu au pays depuis très, très longtemps. 



Je ne me suis pas levée ce matin plus caquiste que je ne l’étais hier. Mon sentiment ne relève d’aucune partisanerie. La CAQ s’est approprié la question avec courage, là où d’autres l’avaient laissé moisir pendant plus de dix ans, certes, mais rien ne nous garantissait qu’elle honorerait ses promesses, que le Québec ne serait pas à nouveau laissé pour compte au nom de l’intérêt de ses élites. Après plus d’une décennie de monstrueux laisser-aller, il n’était pas évident d’avoir confiance à nouveau en qui prétendait pouvoir faire avancer les choses. C’était un pari risqué... aussi risqué que d’aimer pour la première fois. 



En politique comme en amour, je suis bien consciente qu’une première fois réussie ne nous épargne pas le concours des erreurs, des déceptions et des chagrins futurs. Mais elle crée néanmoins un précédent très important : la certitude de pouvoir réussir à nouveau.  



Et vous voulez que je vous dise? Exactement comme au lendemain d’une première nuit d’amour réussie, j’envisage la suite de notre histoire politique avec beaucoup d’enthousiasme.