Le Québec et son cheval de Troie

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Québec suicidaire joue aux apprentis sorciers


Le plus grand danger qui guette un peuple qui passe plus d’une fois à côté de son destin, c’est qu’à mesure que le temps passe, plus ses rêves et ses espoirs sont susceptibles d’être récupérés, instrumentalisés et fondamentalement détournés de ceux qui les portaient jusque-là. Chers amis, pour les besoins de la réflexion, je vous invite à remonter avec moi l’histoire de l’humanité, jusqu’à l’un de ses épisodes les plus légendaires. Aujourd’hui, je vous propose de parler d’indépendance à travers le récit de la chute de Troie et de son cheval si tristement célèbre. Avant d’aller plus loin, contextualisons très sommairement, afin de mieux saisir le parallèle que je souhaite conduire ici.   


  


1250 ans av. J.-C., période présumée des mythiques évènements : depuis dix ans, Troie est plongée dans une guerre qu’a déclenché l’un de ses princes en enlevant sa femme à un puissant roi grec qui, pour se venger, orchestra avec son frère la montée d’une grande coalition des différentes nations grecques, afin d'aller récupérer la belle Hélène.    


  


Cependant, ce prétexte romantique cachait bien mal la succulente opportunité pour les ennemis de Troie d’enfin renverser sa puissance, intouchable qu’elle était depuis si longtemps derrière ses hauts murs. C’est alors qu’Ulysse, le rusé roi d’Ithaque, eut l’idée de faire construire un immense cheval de bois, qu’il fit remplir de soldats, et qu’ils laissèrent sur la plage en offrande à la déesse Athéna, ainsi qu’en cadeau à la cité. Pendant ce temps, on fit habilement croire au retrait de la flotte, qui alla simplement se cacher un peu plus loin.    


  


Devant ce titanesque présent, les réactions furent mitigées. Certains désiraient, pour ne pas courroucer la déesse ou parce qu’ils étaient simplement trop heureux de ce symbole de paix venant après tant d’années de guerre, qu’on fasse vite entrer le monument dans l’enceinte de la ville. D’autres, au contraire, prônaient la méfiance et redoutaient le traquenard.    


  


Puis, vint Sinon, cousin d’Ulysse et espion grec, qui se fit passer pour un déserteur haïssant sa patrie, et qui finit par convaincre les Troyens de lui faire confiance et de faire entrer le cheval à l’intérieur des murs.    


  


Malgré maints indices révélant explicitement la présence des Grecs tapis à l’intérieur de la gigantesque structure, il fut décidé d’éventrer une brèche dans les murs de Troie pour faire pénétrer le funeste piège autour duquel on célébra jusqu’à l’ivresse. Il ne restait, dès lors, aux Grecs qu’à attendre la nuit et le signal de Sinon, pour s’en échapper et ouvrir les portes au reste des armées. Nous connaissons la suite.    


  


°°°    


  


Ce qui est intéressant et fort utile avec l’étude de l’histoire, c’est qu’une fois qu’on comprend qu’il serait perpétuellement vain de chercher à faire des comparaisons entre les évènements et les époques, elle nous offre en contrepartie la connaissance résultant de tous les parallèles qu’il nous est néanmoins possible de faire entre eux.    


  


Est-ce emprunter momentanément le masque de Cassandre, mais toujours est-il qu’en observant la volonté d’une certaine organisation politique de se faire le nouveau porte-étendard de la souveraineté québécoise, je ne peux m’empêcher d’être aussi alarmée que l’était la prophétesse incomprise de l’Antiquité, qui avait prédit la chute de Troie.   


  


Ainsi, quand je regarde le Québec s’accrocher depuis si longtemps pour ne pas disparaître, malgré toutes les offensives qu'il a dû essuyer, ça m’évoque l’ancienne cité assiégée, qui tient bon.    


  


Quand j’observe cette formation brandir si soudainement la souveraineté, il me semble que, cette fois encore, ça dissimule bien mal la succulente opportunité de régler son compte, une bonne fois pour toutes, au vaisseau traditionnel de la cause, dont elle craint comme la peste un éventuel retour en force.    


  


Quand j’entends ses têtes officielles se dire nouvellement indépendantistes, après avoir si activement contribué, même indirectement, au bon fonctionnement du régime fédéral, j’ai l’impression de revoir le leurre d’Ulysse qui fait croire au retrait de la flotte, mais qui attend plutôt le signal, à l’abri des regards.    


  


Mais ce qui, à mes yeux, incarne plus que tout l'immense cheval, ce n’est pas qu’une autre formation politique se lance dans l’aventure de l’indépendance, car elle en aurait tous les droits, mais bien qu’elle entende la faire en rupture totale avec notre histoire, pour ne la faire qu’au nom de ses valeurs ultra progressistes, qui rejettent toute forme pluralité des idées et des positions. En d’autres mots, c’est se servir du prétexte de l’indépendance pour rayer notre passé de la carte et des justifications, en l’attaquant depuis l’intérieur des murs de la tradition. C’est disqualifier et enlever toute sa légitimité à la majorité historique. C’est la vaincre et, enfin, la soumettre symboliquement en la dépossédant de son cœur.    


  


Maintenant, quand j’entends dire que ce parti ne compte aucun fédéraliste en son sein, je jurerais entendre la voix de Sinon qui dit qu’il n’y a rien à craindre à faire entrer le cheval dans la ville.    


  


Je relève également parmi nous des réactions semblables à celles des anciens Troyens : par hantise de manquer le train une troisième fois ou parce qu’ils sont trop heureux de voir une formation avec du nerf enfin affirmer ce qu’ils se meurent d’entendre depuis si longtemps — une volonté claire de faire l’indépendance —, certains les invitent pour les célèbrer au cœur du mouvement souverainiste. Quant aux autres, beaucoup plus nombreux, ils anticipent la situation avec méfiance et redoutent le piège.    


  


Et, enfin, planant au-dessus de nos têtes, je remarque ces mêmes instances fantomatiques et mystérieuses, dont on ne sait rien ou presque, et qui, à l’instar des anciens dieux du panthéon, jouent avec les hommes comme on joue aux échecs.    


  


°°°   


  


La lutte pour l’indépendance du Québec n’est pas censée être la chasse gardée d’un seul groupe ou d’une seule formation politique. Elle ne doit pas non plus être l’apanage de la gauche ou de la droite, car sa nature transcende tout axe politique et partisan. L’important, c’est que le plus de gens, de tous les horizons et issus de toutes les souches, se laissent toucher et inspirer par cette fabuleuse ambition commune, qui tire ses racines d’un passé, d’une langue et d’une histoire commune, certes, mais desquels a su fleurir une magnifique nation de toutes les couleurs et de toutes les origines. L’indépendance se doit d’être pour tous, sinon pour personne.    


  


Selon moi, le véritable cœur du problème avec ceux qui s’annoncent aujourd’hui comme étant les « nouveaux indépendantistes », c’est qu’ils sont les mêmes qui, en temps normal, ne manquent jamais une occasion de tirer à boulets rouges sur le nationalisme québécois, qui a bien saisi qu’ici, nationalisme et indépendance riment avec responsabilité collective et culture de convergence couronnée de laïcité. Rien à voir, donc, avec cette ridicule volonté de suprématie raciale ou de rejet et de fermeture, dont ils n’ont jamais manqué de taxer allègrement tous ceux qui s’écartaient moindrement de leur ligne de pensée.   


  


Il me faut cependant dire que je n’ai pas la tentation de penser qu’aucun de leurs membres n’est habité par une volonté d’émancipation nationale sincère. Tous ceux que j’y connais personnellement, et que je soupçonne de ne pas être seuls, par leur intégrité, leur dévouement et leur amour viscéral du Québec et du peuple, m’empêchent de me laisser aller à une telle généralisation.    


  


Mais je ne démords pas du fait que l’indépendance n’est pas censée être la prisonnière troyenne que s'arrachent les mercenaires grecs. Ce n’est pas censé être une monnaie d’échange pour quelques bouquets de votes, quand c’est le plus profitable. L’indépendance, si elle est si importante, c’est parce qu’elle est le symbole de notre foi en notre identité, en notre histoire, en notre pleine légitimité et surtout en notre futur. Ce n’est pas un enjeu comme un autre, d’où l’absolue nécessité de ne pas le laisser être traité comme tel, c’est-à-dire par clientélisme.    


  


C’est ici que je dépose le masque de Cassandre, car je ne suis pas un oiseau de malheur. La présente situation, loin d’être déjà fatale, m’apparaît plutôt comme la grande cloche qui doit impérativement sonner la fin des guerres intestines qui sclérosent le mouvement et la cause depuis trop longtemps. Si nous ne parvenons pas rapidement à nous désengluer de ces conflits qui nous enlisent, alors il faudra s’admettre que nous nous apprêtons à laisser à d’autres le volant de notre plus précieuse aspiration nationale et accepter de suivre leur parade.   


  


Alors, je dis : soyons vigilants et ne confondons pas notre hâte au Grand Soir avec l’empressement et l’inconscience de confier les inestimables rênes de notre destin à n’importe qui, parce qu’on en a assez d’attendre.    


  


Et, en attendant, je ne nous conseillerais qu’une seule chose : la patience, chers amis, la patience. Le pain est en train de lever...    


  





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