«Le Perv», le titre éclate à la une du Daily News. On ne pouvait pas faire plus «punché» pour décrire ce que représente l'affaire Dominique Strauss-Kahn dans un certain imaginaire anglo-saxon. Comme disent les post-modernes, le «sous-texte» pourrait remplir des volumes entiers. On le savait, les Français sont des libertins et en plus ils s'en vantent. Allons donc! De l'autre côté du miroir, l'ancien ministre de la Culture Jack Lang y allait d'un tonitruant cocorico en lançant: «On a envie de se payer un Français!» Et voilà Cyrano qui dégaine.
Ces exemples ne sont que la pointe de l'iceberg du choc culturel qui s'est produit cette semaine autour de l'arrestation du directeur du Fonds monétaire international, inculpé de tentative de viol. Précisons tout de même que le viol est un crime extrêmement grave dans les deux pays et que l'accusé bénéficie de la présomption d'innocence dans l'un comme dans l'autre. Mais là s'arrête la comparaison.
Réglons d'abord le débat juridique. L'émoi suscité en France par les photos de Dominique Strauss-Kahn menotté est justifié. Depuis 2002, la France interdit toute photo dégradante d'un accusé. Ce n'est pas le cas aux États-Unis où, l'élection des procureurs aidant, on a toujours eu un petit penchant pour le goudron et les plumes.
Ce garde-fou est loin d'être une simple coquetterie à une époque où les procès se gagnent aussi par les médias. Et il serait peut-être encore plus utile dans un pays qui, comme les États-Unis, fait souvent appel aux jurys populaires. Comment croire que ceux qui seront appelés demain à juger Dominique Strauss-Kahn n'ont pas vu ces photos dégradantes?
Quant aux médias français, s'ils ont publié le nom de la victime, c'est pour une raison simple. Ils ne sont pas tenus d'appliquer les lois américaines, pas plus que les médias américains n'appliquent la loi française qui interdit la publication de la photo d'un accusé menotté.
Il n'y a pas de justice parfaite, pas plus l'américaine que la française. Chacune a ses forces et ses faiblesses, tout étant ici question d'équilibre précaire. Même s'il encourt une peine plus sévère (les peines américaines le sont souvent), Dominique Strauss-Kahn sera très bien défendu aux États-Unis, où il peut s'offrir les meilleurs avocats de la planète qui pourront, contrairement à ce qui se serait passé en France, mener leurs propres enquêtes avec des moyens peut-être plus importants que ceux de la police. Si DSK avait été sans le sou et renvoyé à l'avocat de service, son sort aurait probablement été différent.
***
Mais c'est dans les médias que le choc culturel a été le plus frappant. La presse américaine n'a pas hésité à accuser les journalistes français de laxisme. Le New York Times qualifie même de «complicité» cette tolérance à l'égard des écarts de conduite des politiciens.
Soyons clairs. La presse française n'a pas fait son travail dès lors qu'il s'agissait d'enquêter sur la contrainte ou la violence dont aurait pu faire preuve DSK dans ses relations avec les femmes. Notre confrère Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles de Libération, le soulignait. Ainsi aurait-il fallu tirer au clair les accusations de Tristane Banon, cette romancière qui n'a toujours pas porté plainte, mais qui a raconté dans une émission de variétés l'agression qu'elle aurait subie de la part de DSK. La sous-estimation de la violence faite aux femmes n'est probablement pas étrangère à ce laxisme. S'y ajoute la complaisance honteuse qu'entretient tout particulièrement la télévision française à l'égard du pouvoir.
Mais il y a une frontière à ne pas franchir. Comme l'écrivait Le Canard enchaîné, qui n'a de leçon à recevoir de personne en matière de journalisme d'enquête, «DSK courait les jupons et les boîtes échangistes. La belle affaire! C'est sa vie privée et elle n'en fait pas un violeur en puissance». Au-delà de ce qui regarde la loi, les critiques de la presse américaine sombrent dans un puritanisme exécrable auquel certaines féministes ont malheureusement parfois tendance à s'associer. Ajoutons-y cette délectation que suscite le fait de voir un représentant des élites cloué au pilori et vous aurez ces exécutions publiques, dignes de l'Inquisition, qui forcent Tiger Woods, Gary Hart et tout récemment Arnold Schwarzenegger à s'excuser publiquement pour des gestes qui ne concernent qu'eux. Dans les pays musulmans, l'adultère peut être puni par la lapidation. Dans les pays anglo-protestants, il peut vous valoir le lynchage médiatique. Il y a de la graine de totalitarisme dans cette négation de la vie privée, comme l'a bien montré la philosophe Hannah Arendt.
Le Québec, où l'on traite allègrement DSK de «minotaure libidineux», n'est pas à l'écart de ce débat puisqu'il est à la frontière de ces deux mondes. La retenue française peut apparaître comme une sorte d'archaïsme, une pudeur inutile en cette époque où les foules réclament toujours plus de transparence. Il se pourrait qu'avec l'irruption de la rumeur institutionnalisée, qui est si souvent la loi d'Internet, elle soit au contraire salutaire et d'une étonnante modernité.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé