Hervé A. Prince - C'est évident, les nouvelles technologies de l'information sont devenues le principal outil de popularisation des organisations internationales. L'échec des négociations multilatérales de l'OMC à Seattle en 1999 et l'écho retentissant qu'ont eu les manifestations des altermondialistes et de la société civile en étaient les exemples éloquents. Ce fut l'occasion pour nombre de gens de découvrir l'existence de l'Organisation mondiale du commerce.
L'arrestation de l'ex-directeur général du FMI, M. Dominique Strauss-Kahn (DSK), et l'onde de choc médiatique qui suivit révèlent au monde l'existence d'une autre institution mondiale, le Fonds monétaire international (FMI). Cette image de DSK, exhibé par la police new-yorkaise, menottes aux poignets, ne pouvait laisser personne indifférent. L'opinion publique, en général résignée au célèbre constat de Jean de la Fontaine dans les «animaux malades de la peste» qui considérait que «selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir», découvrait avec sidération, colère, dégoût ou incrédulité la réalité de la justice américaine. Mais faut-il s'en offusquer? DSK n'est-il pas un justiciable comme tout autre?
Stratégie de politique interne à succès planétaire
En réalité, la véritable médiatisation du FMI avait débuté depuis la crise financière de 2008. Une année plus tôt, M. Sarkozy arrivait au pouvoir en France et sa politique d'ouverture impliquait l'appel à des compétences de l'opposition. La désignation de DSK, homme de gauche, très vite adoubé par les Européens, avait tout l'air du pain béni pour cette stratégie politique.
Cette nomination de DSK, un homme connu et reconnu pour sa compétence, économiste et homme politique de premier plan sur la scène politique française, n'a fait qu'amplifier cette médiatisation. Dès son arrivée, M. Strauss-Kahn s'est attelé à la réforme de la gouvernance des finances internationales conformément aux engagements du G20 pris à Washington en novembre 2008. Ces engagements se résument en quatre principes: la relance coordonnée de l'économie mondiale, la régulation des marchés financiers, l'ouverture de la gouvernance économique mondiale aux pays émergents et le refus du protectionniste.
Très vite, DSK engrange des succès et réussit à installer au centre des enjeux économiques et financiers mondiaux l'institution dont il avait la charge et qui avait été longtemps décriée par les pays du Sud qui gardent le souvenir des programmes d'ajustement structurel imposés par le FMI dans les années 1980-1990 et qui n'ont fait qu'exacerber les tensions sociales et appauvrir davantage les peuples qui y ont été soumis.
Redistribution des quotes-parts
Redorer le blason du FMI impliquait alors une redistribution des quotes-parts des 187 membres et leur pouvoir de vote. Ce qu'il réalise avec l'intégration de l'Inde et du Brésil parmi les dix plus grands actionnaires du FMI. En transférant 6 % des quotes-parts des pays surreprésentés aux pays émergents, plaçant la Chine au troisième rang des contributeurs du FMI, les pays du BRICS peuvent accroître leur influence dans la gouvernance mondiale. En Europe, le FMI contribue à renflouer les caisses de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal et son engagement dans cette région du monde demeure encore incontournable.
Tout ceci va contribuer à placer en orbite M. Strauss-Kahn et renforcer sa stature en vue des élections présidentielles en France en 2012 pour lesquelles il était donné favori. N'est-ce pas là un élément de plus dans le puzzle de ceux qui croient à une vaste conspiration à l'encontre de l'ex-directeur du FMI?
Le FMI en question
Une fois que DSK eut démissionné, sa succession s'ouvre et les candidats se bousculent au portillon du FMI, où des intérêts économiques et géopolitiques s'entremêlent. Mais à quoi au juste sert le FMI et quelles règles président à la désignation de son directeur général?
Né des Accords de Bretton Woods de 1944, le FMI devait favoriser la coopération économique entre les 44 gouvernements signataires. Le système monétaire international ainsi créé devait permettre aux Alliés de contrer la spirale de dévaluations compétitives qui ont marqué la décennie des années 1930. Plusieurs fois modifiés, les statuts du FMI établissent dès l'article premier ses objectifs: promouvoir la coopération monétaire internationale, faciliter l'expansion et l'accroissement harmonieux du commerce international, promouvoir la stabilité des changes, aider à établir un système multilatéral de paiements et enfin, mettre les ressources du Fonds à la disposition des pays aux prises avec des difficultés de balance des paiements.
Mais les fonctions du FMI ont évolué, intégrant la surveillance des systèmes bancaires, la stabilité financière et la lutte contre la pauvreté. Pour y parvenir, le Fonds déploie des mécanismes d'assistance financière et technique qui se traduisent, soit par des appuis à l'élaboration de programmes économiques nationaux, soit par des formations de renforcement des politiques et de l'administration fiscales, monétaires, financières ou budgétaires. Tirant ses ressources principalement des quotes-parts des États membres, ceux-ci tirent leur capacité d'influence au sein de l'institution du niveau de leur contribution. Si la gestion quotidienne du FMI est assurée par son conseil d'administration, lui-même chapeauté par le conseil des gouverneurs, il revient à son directeur général de le présider, de diriger les services du Fonds, de nommer et de révoquer les fonctionnaires.
Jeu de pouvoir
Statutairement, c'est au conseil d'administration du FMI d'établir les critères de sélection du directeur. En pratique, c'est le résultat d'un jeu de pouvoir marqué par une loi non écrite laissant la direction du FMI aux Européens et celle de la Banque mondiale, aux Américains. Depuis 1944, les dix directeurs qui se sont succédé à la tête du FMI étaient tous des Européens, dont quatre Français. L'exaspération des pays émergents est donc légitime.
Malheureusement, ceux-ci sont divisés et même regroupés, ils ne peuvent faire élire l'un des leurs à la tête du FMI tant et aussi longtemps qu'Américains et Européens conserveront leur pacte. La nomination d'un émergent à la tête du FMI est d'autant plus improbable que la crise de l'euro reste prégnante et les Européens restent convaincus qu'un des leurs serait plus attentif aux crises qui secouent le Vieux Continent. L'appui officieux de la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, à Christine Lagarde lors du dernier G8 à Deauville scelle définitivement le sort des pays émergents.
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Hervé A. Prince, chargé de cours en droit international économique à la Faculté de droit de l'Université Laval et membre du Centre d'études en droit économique
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