Identité

Lettre ouverte aux anglophones de souche

Vous n'aurez plus de pays

Chronique de Pierre Gouin

Je m’adresse à vous, membre de la communauté anglophone du Québec, pour vous rappeler le statut particulier que vous confère votre appartenance historique à la société québécoise. Ce statut a été reconnu officiellement, notamment dans les dispositions de la loi 101 sur la langue française mais, plus fondamentalement, il est pleinement accepté depuis très longtemps par la population francophone. Je crois que vous avez ressenti cette reconnaissance historique mais la situation est sans doute devenue plus confuse au cours des dernières décennies. Vous êtes inévitablement associés à un groupe plus large constitué de tous les citoyens dont la langue d’usage est l’anglais. Des membres de la communauté anglophone n’acceptent pas le statut de minoritaire au Québec et voient plutôt les Québécois comme minoritaires dans le Canada. Ils souhaitent vivre dans un Québec officiellement bilingue, sans pouvoirs particuliers par rapport aux autres provinces canadiennes, et ils cherchent à intégrer tous les nouveaux arrivants à cette lutte politique, hostile aux Québécois francophones.


Ces militants ont certainement droit à leur opinion mais vous êtes ainsi associés à une lutte politique qui n’est pas nécessairement la vôtre. Vous avez un pays ici, vous êtes bien intégrés, vous savez que la prédominance du français ne vous gêne pas, vos droits sont respectés et vous ne ressentez pas d’animosité. Je crois que c’est un bon moment pour réfléchir à votre situation politique alors que le calme qu’on observait sur le plan constitutionnel tire à sa fin. Les libéraux provinciaux ont été chassés du pouvoir parce qu’ils ont ignorés les revendications du Québec et, par la suite, la CAQ a ravivé les sentiments nationalistes et préparé des affrontements majeurs avec Ottawa sur la laïcité, la langue et l’immigration.


L’élément le plus controversé de la réforme de la loi sur la langue serait l’extension de la loi 101 au niveau collégial. Cela n’aurait aucun impact sur la communauté anglophone puisque les anglophones reconnus bénéficieraient d’une exemption. Quant à la loi sur la laïcité, l’indignation qu’elle soulève dans le Canada anglais semble plutôt stratégique. Les anglophones peuvent avoir de la difficulté à comprendre la détermination du Québec francophone en faveur de la laïcité, laquelle résulte de la révolution récente du Québec à l’encontre d’une église catholique qui contrôlait leur vie privée autant que la vie politique. Les anglophones protestants pratiquent depuis des siècles une religion personnelle sans subir le poids d’un clergé puissant.  En fait, on peut dire que c’est la monarchie anglaise qui a inventée la laïcité de l’État. Depuis Henri-VIII, ni l’Église catholique, le pape, l’Église anglicane ni aucune autre, n’ont une quelconque autorité politique en Angleterre. Le prétexte qui a initié le schisme était relativement anodin, mais la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais été sérieusement remis en question et d’autres églises protestantes se sont développées en Europe.


Les Canadiens anglais combattent donc la loi sur la laïcité en invoquant les droits de la personne mais ils considèrent eux-mêmes que la religion ne doit pas s’ingérer dans le politique. La plupart des immigrants opposés à la laïcité proviennent de pays où les autorités religieuses ont une force politique importante ou même absolue. Pour ces pratiquants, la loi divine, celle de leur Dieu, interprétée par leurs grands prêtres, doit être placée au-dessus des lois humaines. La grande majorité des Québécois pensent que pour s’intégrer à la société un immigrant doit accepter le principe que les lois adoptées démocratiquement doivent être respectées. La contestation de la loi sur la laïcité est un affrontement politique entre deux visions de la société, laïque et religieuse. Même l’enseignante qui a perdu son poste a affirmé qu’elle s’est entêtée à porter le voile non pas par conviction religieuse mais parce qu’elle n’accepte pas que l’État restreigne ses droits. L’interdiction du port de signes religieux pour remplir des fonctions publiques, qu’avait décrété aussi le Québec envers les religieux catholiques dans les années soixante, peut paraître futile mais ces symboles sont très importants, comme le démontre maintenant la résistance de ceux et celles qui les portent.


La liberté absolue de pratiquer sa religion peut aussi être vu comme un moyen de faciliter l’immigration, alors que des pressions mondialistes s’exercent en faveur d’un déplacement de population des pays pauvres vers les pays riches. À cause de la relative fragilité de leur culture, les Québécois se sentent menacés dans leur existence par l’immigration et souhaitent mieux en contrôler les seuils.


Les Canadiens anglais devraient aussi s’interroger sur l’impact de l’immigration massive qui est planifiée. Si on réduit l’identité à la langue parlée, comme le font les militants anglophones du Québec, les Canadiens anglais de souche, ceux du Québec et ceux du reste du Canada, n’ont pas à se sentir menacés, les immigrants apprendront l’anglais. Cependant, qui seriez-vous dans un pays de cent millions d’habitants majoritairement issus de l’immigration, selon ce qu’a décidé le Premier ministre Trudeau, avec l’appui tacite des partis d’opposition et de la population? Dans ce scénario, dans deux ou trois générations, vous n’auriez plus de pays.


Les militants anglophones du Québec annoncent depuis longtemps qu’en cas de séparation du Québec, ils proposeraient la partition du territoire québécois, afin que certains secteurs identifiés comme anglophones se séparent et soient donc rattachés au Canada. Une telle partition du Québec serait certainement contestable juridiquement et elle ne règlerait pas les problèmes de cohabitation. Les nouveaux territoires auraient à gérer une population minoritaire, de culture et de langue différente, et le fair-play obligerait à leur accorder les droits et services donc les anglophones du Québec bénéficient.


Il existe une raison beaucoup plus positive de rejeter la partition. Le Québec ne lutte pas seulement pour protéger sa langue et sa culture. Son combat représente aussi une résistance au matérialiste ambiant et une contribution à la survie de la culture humaniste occidentale, menacée même dans les pays européens. Joignez-vous dès maintenant à la lutte pour un monde plus humain d’une majorité de Québécois, de toutes origines.



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3 commentaires

  • Pierre Gouin Répondre

    24 décembre 2021

    Quand la loi 101 a été conçue, si j'ai bien compris, on a voulu accorder des exceptions à la minorité anglophone du Québec et on a dû définir de façon opérationnelle qui pourrait profiter de ces exceptions. Je ne crois pas que j'ai inventé un concept, j'ai juste voulu utiliser une expression que je trouve embarassante pour les anglophones. En général ils n'aiment pas l'expression Québecois de souche parce qu'elle sous-entend que nous avons certains droits par rapport aux nouveaux arrivants. Je voulais rappeler que la loi 101 leur accorde des privilèges par rapport aux autres québécois non-francophones. Pour moi c'est une contradiction énorme, par rapport au multiculturalisme canadien. Mon rêve, avant que Le Devoir ne rejette mon article, c'était que l'expression crée un tollé chez les anglophones et que la cohérence oblige Trudeau à contester les dispositions en faveur des anglophones, en vertu de la charte des droits. Advenant que ses juges lui donnent raison, on aurait pu revenir à la charge en invoquant la clause nonobstant. 


    Je voulais aussi faire réaliser aux anglophones canadiens que leur identité n'est pas moins en péril que la nôtre dans le Canada post national. En nous combattant ils se battent pour l'Empire.


    • Éric F. Bouchard Répondre

      24 décembre 2021

      Ce que Québec reconnaît juridiquement depuis 1977 est une « communauté québécoise d’expression anglaise ». Une communauté qui comprend tous les québécois anglophones d’ici ou d’ailleurs. La loi 101, de par son préambule, ne peut d’ailleurs s’appliquer que dans le strict respect de cette communauté et de ses institutions. Autrement dit, Québec est de jure et de facto bilingue, ce que nous constatons tous chaque jour davantage.

  • Normand Bélair Répondre

    23 décembre 2021

    Bonjour,



    Expliquez-nous qu'est-ce qu'un «Anglophone de souche». Je ne vois pas où et quand cette bibitte à pris forme ici au Québec.



    Merci.