Québec est de nouveau critiqué pour son application de la loi sur la laïcité vu qu’il compte interdire le port de signes religieux aux éducatrices en service de garde qui feront le saut en maternelle 4 ans.
« C’est vraiment le comble de l’absurdité », lance Violaine Cousineau, commissaire indépendante à la Commission scolaire de Montréal. Elle donne l’exemple d’une éducatrice portant le voile au service de garde, le matin et le soir, mais qui devra le retirer pendant les classes si elle a été embauchée comme enseignante de maternelle.
« C’est la même personne, s’insurge-t-elle. Comment le gouvernement peut-il penser qu’à un moment tu risques de faire du prosélytisme et que deux heures plus tard, tu ne poses plus aucun “danger “. On vient de faire la preuve du non-sens de cette loi. »
Pour sa part, Nadia El-Mabrouk, professeure et signataire d’un mémoire sur le projet de loi 21, ne voit pas d’incohérence « au fait de faire respecter la laïcité de l’État au sein de l’école publique, bien au contraire, c’est le devoir du gouvernement. »
En revanche, elle estime que « c’est tout le personnel de l’école qui devrait être assujetti au devoir de neutralité religieuse de fait et d’apparence. Ce n’est pas le cas, et c’est très regrettable ». À ses yeux, « il y a là une incohérence, qui est très problématique pour les parents ».
Celle-ci qualifie aussi de « discutable » la décision de Québec de ne pas soumettre les services de garde, incluant les Centres de la petite enfance (CPE), à la loi sur la laïcité de l’État. « Surtout qu’il s’agit d’enfants très jeunes, très influençables, très dépendants des adultes. Ce sont donc les premiers qu’il faudrait protéger de tout prosélytisme, actif ou passif », soutient-elle.
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a déposé fin juin un projet de règlement pour élargir l’accès à la profession enseignante. Parmi les mesures suggérées, celle de permettre aux éducatrices en service de garde d’enseigner dans des classes de maternelle, moyennant une série de conditions.
Ainsi, celles qui voudront faire le saut devront d’abord avoir en poche un diplôme d’études collégiales en technique d’éducation à l’enfance. Mais les intéressées devront également être inscrites à un baccalauréat en enseignement et avoir achevé au moins trois cours de leur formation.
Qui plus est, les candidates devront cumuler quelque 3000 heures — soit environ deux ans — d’expérience de travail jugée pertinente. Et un délai de neuf ans leur sera accordé pour terminer leur parcours universitaire.
Pénurie
Québec espère avec ce règlement pallier la pénurie de main-d’oeuvre secouant l’ensemble du secteur de l’éducation. Ce qui ne manque pas de faire sourciller la commissaire Violaine Cousineau. En interdisant le port de signes religieux aux éducatrices embauchées comme enseignantes au préscolaire, le gouvernement Legault « vient probablement de mettre un nouveau frein à l’embauche de personnel ». « Comme s’il n’y en avait pas déjà assez », souffle-t-elle.
« Quelqu’un qui veut devenir enseignant au Québec sait que les signes religieux ne sont pas permis. C’est un choix de société que nous avons fait », se défend le cabinet du ministre Roberge par la voix de son attachée, Catherine Major, qui ne croit pas non plus réduire ses chances de combler les postes vacants en maternelle 4 ans.
Qu’à cela ne tienne, cette situation pourrait donner lieu à de nouvelles contestations devant les tribunaux, note Sonia Éthier, présidente de la Centrale des syndicats du Québec. L’organisation s’inquiète surtout de voir le gouvernement provincial « déconstruire » le réseau de la petite enfance.
Du côté de l’Association québécoise des CPE, on préfère ne pas aborder la question du port de signes religieux. Mais la pression supplémentaire qu’ajoute la promesse caquiste d’une maternelle 4 ans universelle fait déjà craindre le pire.
« On sent qu’il y a une forme de concurrence qui s’installe et ce n’est pas ce qu’on souhaite », note la directrice générale, Geneviève Bélisle, qui avoue avoir été prise par surprise par le projet de règlement du ministre Roberge. Celle-ci ne croit pas que les critères de Québec pour ouvrir la porte du réseau scolaire aux éducatrices freinent une vague de départs en CPE, au contraire. « On sait qu’il y a beaucoup de jeunes qui font la technique d’éducation à l’enfance et qui poursuivent ensuite à l’université. Il y a probablement des gens dans notre réseau qui seraient prêts à se lancer là-dedans. »
« On vient chercher notre personnel dans un moment difficile de recrutement », dénonce à son tour Claudia Beaudin, du Regroupement des CPE de la Montérégie. À l’instar de Mme Bélisle, elle s’inquiète que les conditions de travail souvent meilleures — horaire, salaire, charge de travail — offertes dans les écoles séduisent bon nombre d’éducatrices.
Celle qui est aussi directrice générale du CPE L’Attrait Mignon, à Longueuil, va même jusqu’à anticiper la fermeture de services de garde en milieux familiaux.
Pour combler les places vacantes par les enfants de 4 ans désormais à la maternelle, explique-t-elle, son centre n’aura d’autres choix que d’aller chercher des tout petits en plus bas âge, au risque de les retirer aux garderies en milieux familiaux. « Ils vont se retrouver avec des poupons. Une éducatrice seule peut seulement en avoir deux, et quatre si elle est épaulée par quelqu’un d’autre. Ces milieux familiaux vont fermer. Et que va-t-on faire avec ces poupons ? », s’interroge-t-elle.
Le projet de règlement du gouvernement Legault fait actuellement l’objet de consultations écrites auprès des acteurs du milieu de l’éducation et de la petite enfance. Son entrée en vigueur est prévue pour la fin septembre.
Une version précédente de ce texte a été modifiée afin de préciser les propos de Nadia El-Mabrouk.