Les pièges

1996

J'accuse Pierre Trudeau de lâcheté politique et de malhonnêteté intellectuelle. Lâcheté envers René Lévesque qui, tout mort qu'il soit, ne peut réfuter les accusations de trahison de l'ancien premier ministre canadien. Malhonnêteté quant à l'historique de l'éclatement de la bande des huit et du présumé mythe de la nuit des longs couteux.
Dans ses Mémoires datant de 1993, Trudeau fait un tout autre récit de la «trahison» de Lévesque envers les autres membres de la bande des huit (pages 287-297). Admettant qu'il cherchait lui-même par tous les moyens à rompre la solidarité des huit, il reconnaît avoir piégé Lévesque le 4 novembre 1981 en lui proposant de soumettre la question du rapatriement à un référendum canadien. Trudeau y admet également que ce fut l'acceptation immédiate par Lévesque de cette présumée offre qui lui fit perdre toute crédibifité auprès de ses sept alliés provinciaux. Ce qui, en passant, permit à Trudeau de procéder sans le consentement du Québec. Trudeau a donc piégé Lévesque en exploitant ce qu'il considérait être le talon d'Achille de ce dernier, soit son sens de la démocratie.
Mesurons bien le sens du mot dévastateur de Trudeau: «Lévesque bondit sur l'appât.» Et qui dit appât, dit piège. Bref, on peut soumettre que Lévesque fut un moins bon stratège que Trudeau, dans la mesure où on rappelle que son propre ministre travaillait pour la GRC! Mais si l'on compare leurs objectifs respectifs, on voit de quel côté la noblesse et la loyauté envers le Québec logeaient. Trudeau cherchait à imposer à sa propre province une constitution et une charte des droits qui diminueraient ses pouvoirs. Lévesque cherchait à empêcher ce type de marché.
Pour ce qui est de la nuit des longs couteaux, la lecture des mêmes Mémoires révèle qu'elle a eu lieu. Le 4 novembre au soir, Trudeau donne ordre à Jean Chrétien en ces termes: «Jean, si tu rallies à ta solution sept provinces représentant 50 % de la population, il se peut que je l'accepte.» La «solution» de Chrétien comprenait une formule d'amendement sans droit de veto pour le Québeç, ni droit de retrait.
A ce compte, valait-il même la peine de la soumettre à la délégation québécoise lorsque sept provinces suffisaient? Trudeau raconte que ce fut à sept heures le lendemain matin que Chrétien l'informa qu'il avait réussi. Bref, on a dû négocier fort pendant la nuit, avec ou sans couteau de cuisine. Mais surtout sans le Québec...
Lucien Bouchard a raison lorsqu'il conclut que la sortie de Trudeau s'inscrit dans une série de pièges visant à déstabiliser son gouvernement. L'invective et le révisionnisme historique - même contre les morts - sont de mise. Des «procès staliniens» de Pettigrew, à la rhétorique «violente et brutale» que Daniel Johnson prête à M. Bouchard, en passant par la partition de Stéphane Dion (sic) et les accusations de xénophobie, nous assistons à une stratégie concertée qui en dit bien plus long sur ses auteurs que sur ses cibles. Comme au bon vieux temps de Trudeau...
On nous dit que la priorité de M. Bouchard est de gouverner. Cela devrait lui permettre de ne pas se salir les mains en répondant à M. Trudeau, car cela serait lui faire un honneur qu'il ne mérite plus. Si le juge Malouf attend toujours la réponse de Jean Drapeau, Pierre Trudeau peut bien prendre son mal en patience.
Dans la mesure où la gouvernance est sa priorité, M. Bouchard doit également éviter les traquenards dans lesquels certains de ses ministres sont déjà tombés, tel celui de la langue. Fort bien tendu par une intense campagne de lobbying dans les médias anglophones, ce piège crée l'illusion que la colère des anglophones pourrait être calmée en assouplissant la loi 101 ou en acceptant son charcutage par les tribunaux.
Comme disait Jacques Parizeau: «Nous avons déjà joué dans ce film-là» Cette approche, on le sait pourtant a toujours échoué parce qu'elle découle d'une mauvaise analyse des causes de cette colère et mène systématiquement aux mauvais remèdes.


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