Depuis un an, nous vivons tous et chacun avec les conséquences du dernier référendum. Certains jours pourtant, on se prend à imaginer ce qu'aurait pu être cette dernière année si la suite s'était déroulée autrement... du côté de chez les souverainistes.
On y songe parce qu'émerge de plus en plus la crainte que le gouvernement soit en train de dilapider l'extraordinaire rapport de forces dont il dispose au lendemain du référendum.
En voyant les résultats du 30 octobre comme une défaite alors que la victoire ne nécessitait qu'un dernier coup de coeur, certains ténors du OUI ont accepté la mise en veilleuse de leur option en échange d'un très hypothétique éden économique. Pour «assainir les finances publiques» - ce nouveau mantra qu'on récite en «consensus» -, il ne faudrait plus parler de souveraineté, de social-démocratie ni de langue.
Tout cela tient d'une «stratégie brillante», nous disent les conseillers. Les souverainistes reculeraient pour mieux sauter. C'est ainsi qu'on tente de nous faire croire qu'il faut appauvrir les plus démunis pour sauver la social-démocratie, qu'il faut bilinguiser Montréal pour renforcer le français et qu'on doit cesser de parler de souveraineté pour mieux la faire! Comme si ce double discours ne sapera pas inexorablement les appuis à la souveraineté et au gouvernement.
Et si tout cela s'était passé autrement? Peut-on penser que, contrairement à ce qui se passe présentement, les sondages ne montreraient pas l'amorce claire d'une pente descendante pour le gouvernement et le OUI; que l'idée d'un «moratoire» sur la souveraineté et la langue ne serait pas la mode du jour; que Montréal ne serait pas en voie de réanglicisation; que le Bloc québécois ne piquerait pas du nez, que l'ADQ et le PLQ n'initieraient pas une remontée, etc.?
Car ces dernières tendances qu'on voit apparaître de plus en plus clairement viennent en partie de ce que Gérald Larose nommait récemment une «tragique erreur de perspective».
Et quelle serait cette erreur? Tout d'abord d'avoir cessé de parler de souveraineté. Ensuite, de ne pas s'être tenu systématiquement debout face aux manigances du fédéral comme le plan B ou l'annulation de la conférence de 1997. Enfin, d'avoir créé le mirage d'un assainissement des finances publiques sans que nous ayons la maîtrise complète de nos revenus et de nos politiques. Sans cette maîtrise, cet assainissement ne pourra se faire qu'au prix d'un démantèlement désastreux des programmes sociaux et d'une partie de notre patrimoine économique. Ce qui, par hasard, est ce à quoi nous assistons, nonobstant la distraction passagère du sommet socio-économique.
Dans l'isoloir, un gouvernement est jugé à ses actes et non à sa rhétorique. Posée crûment, la question devient alors: dans deux ans, combien restera-t-il de votes pour le PQ une fois que les compressions auront fait leur oeuvre?
A cet égard, certains hauts stratèges pourraient méditer sur le dernier mandat des gouvernements Lévesque ou Mulroney lorsque des gestes furent faits qui eurent pour effet d'atténuer certains de leurs alliés et de faire fondre leurs appuis dans la population. Eux aussi, ils s'étaient crus éternels.
Mais enfin, nous répètent les conseillers, tout cela est hautement «stratégique». Au fond, la baisse des appuis au PQ et au OUI ne serait qu'un phénomène temporaire et normal. On nous dit que la grande coalition souverainiste se reconstituera d'elle-même au prochain référendum. Et pourtant, tout cela est très loin d'être assuré.
Car le pari de M. Bouchard selon lequel l'élimination du déficit - quel qu'en soit le coût social - peut assurer une prochaine victoire souverainiste pourrait se buter à un mur de taille.
Ce mur est construit pierre par pierre par les effets réels et négatifs qu'aura ce virage à droite sur le tissu social et les infrastructures mêmes du Québec. Lorsqu'on mine l'espoir chez les gens, c'est dans l'isoloir qu'ils signifient leur réponse. Ce sont ces effets qui, bien avant un prochain référendum, pourraient gruger les chances de réélection du PQ. Et sans réélection, il n'y aura pas de prochain référendum.
Ces effets - auxquels il faudra ajouter ceux de la loi 86 sur la question linguistique - pourraient coûter au gouvernement de nombreux votes et détourner de l'option du PQ une partie des éléments les plus dynamiques du camp souverainiste. Parmi eux, combien seront-ils à ne plus vouloir suivre - à tort ou à raison - un gouvernement qui les aura terriblement déçus?
En d'autres termes, les choix, les virages et les stratégies du gouvernement constituent un pari à risque très élevé. D'autant plus que ces choix furent imposés au camp souverainiste sans que celui-ci ait été invité à en débattre.
Evidemment, rien n'est simple. Et il faut admettre que le gouvernement oeuvre dans un des contextes les plus difficiles et les plus complexes auxquels le Québec a dû faire face au cours du dernier quart de siècle. Mais ce sont justement cette difficulté et cette complexité qui appellent une plus grande consultation du camp souverainiste et une circulation plus libre des idées au lieu d'une concentration inquiétante du contrôle et des décisions entre les mains de quelques individus.
Bref, il est encore fort possible de réajuster le tir. Car le temps perdu ne l'est jamais tout à fait... lorsqu'on finit par le retrouver.
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