Histoire d'exister

1996


En octobre 1995, Québec créait un groupe de travail chargé d'étudier l'enseignement de l'histoire au Québec. Le 10 mai, il remettait son rapport final. Macéré dans le multiculturalisme et une bonne dose de rectitude politique, il recèle une idéologie et des recommandations inquiétantes.
Présidé par Jacques Lacoursière, ce groupe devait «donner à l'histoire nationale et universelle sa place de discipline fondamentale dans la formation des jeunes du Québec». Malheureusement, il escamote cet objectif de départ. En fait, l'expression «histoire nationale» n'est reprise dans ce rapport que lorsqu'il est question des États-Unis ou... du Canada! Le Québec ne serait-il pas une nation?
Ce manque pourrait découler des choix idéologiques et de l'image du Québec qu'on y retrouve. Ne faisant aucune référence développée à la nation québécoise - ou à sa majorité francophone - le rapport avance comme leitmotiv l'«ouverture» à l'histoire des autochtones, des anglophones, des communautés culturelles et des sociétés non-occidentales.
Reprenant à satiété ce mantra, le rapport semble vouloir faire du pluriethnisme - une donnée sociologique présente partout en Occident - le principe central de notre historiographie. Simple composante normale de toute histoire nationale, ce pluriethnisme devient ici le prisme à travers duquel devrait s'interpréter l'histoire du Québec.
Pour peaufiner son refrain multiculturaliste, le groupe aurait vu quelques fonctionnaires des ministères de l'Éducation et de l'Immigration et des communautés culturelles. Bref, une bureaucratie qui se nourrit depuis longtemps à la mamelle de cette même idéologie et s'appuie sur l'industrie croissante de l'«interculturalisme».
Mais cet horizon limité explique-t-il à lui seul cette ignorance de la nation québécoise ou de sa majorité francophone? Comment comprendre que l'on pose une quête ethniciste comme postulat historiographique alors que cette dernière n'a pas droit de cité? Si le rapport tient tant à une vision ethniciste, que fait-il de l'ethnie la plus nombreuse du Québec?
Le problème aurait-il été politique? Aurait-on, une fois de plus, craint d'affirmer l'existence de la nation québécoise et de sa francité? Comment expliquer que la seule mention qu'en fait ce rapport provienne du texte d'une proposition déposée à l'Assemblée nationale par le député péquiste Claude Charron... en 1974! D'où un rapport joliment proche du multiculturalisme fédéral, lequel, doit-on le rappeler, vise la dilution de l'identité québécoise dans la grande mosaïque canadienne.
D'une grande cohérence politique, le rapport demande aux élèves de s'ouvrir aux «autres» «dans la compréhension et le respect des différences» et - pourquoi pas - «construire ses propres savoirs historiques, selon ses besoins ou ceux de son groupe, selon une démarche particulièrement riche, alors, de ressources identitaires librement consenties»!
L'élève doit donc développer «une attitude d'ouverture et de respect à l'égard des valeurs autres que les siennes»; «s'ouvrir aux autres sociétés et en venir ainsi à respecter les différences»; se sensibiliser «à la présence d'autres sociétés que la sienne, qu'elles soient actuelles ou non» (sic), «comprendre un peu mieux les revendications autochtones», etc. L'affirmation est tellement plus aisée pour les «autres».
Et, toujours pas un mot sur la nation québécoise, ses propres «revendications» ou une majorité traitée comme une «fraction marginale» - pour reprendre le mot du rapport sur le sort réservé aux femmes par l'historiographie. En fait, ce rapport fait fi de l'urgence de reconnaître au Québec une véritable histoire nationale et d'ouvrir les immigrants à celle-ci dans une approche globale d'intégration. En place et lieu, le rapport propose le cheminement inverse. Serait-ce la politique du gouvernement Bouchard?
D'ailleurs, on retrouve dans ce rapport une vision similaire à celle du projet de loi 18 créant le ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration. Un projet qui ne dit mot sur la nation québécoise et propose de «promouvoir l'ouverture au pluralisme et le rapprochement interculturel» plutôt que l'intégration.
Comment s'étonner lorsque le rapport de M. Lacoursière fait mention de l'«acceptation de l'irrationnel» (!) comme nouvelle valeur ou de «savoirs relatifs»... Comme si les nations avancées n'avaient pas une hiérarchie de valeurs et de référents historiques. À moins que le Québec ne soit plus qu'un simple composite d'«autres» sociétés et d'«autres» peuples.
Ce rapport n'offre pas le projet d'une histoire véritablement nationale aidant à former des citoyens québécois à part entière et à mieux intégrer les immigrants. Son idéologie étant ce qu'elle est, on aurait pu économiser notre argent en recyclant de vieux textes de Patrimoine Canada.
En exergue, le rapport cite Isaiah Berlin: «les barbares seuls ne sont point curieux de leurs origines, de ce qui les a amenés à être ce qu'ils sont, de ce vers quoi ils se dirigent et de leur désir d'aller ou non dans cette direction, ni du pourquoi de cette adhésion ou de ce refus».
Lorsqu'en dehors d'une campagne référendaire à tous les 15 ans, une partie de nos élites et nos propres gouvernants refusent de nommer la nation québécoise et son caractère français, on doit s'interroger sur son avenir. Ce refus de plus en plus marqué d'être et de se nommer face à ceux qui attendent que nous cessions tous de le faire serait-il pour le Québec l'aboutissement de quatre siècles d'existence? L'histoire seule jugera.


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