Le Conseil national des musulmans du Canada (CNMC) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) veulent en appeler de la décision du juge à la Cour supérieure, Michel Yergeau, qui n’a pas donné suite à leur requête d’injonction interlocutoire pour suspendre l’application de certaines dispositions de la Loi sur la laïcité de l'État. Les prétentions de ces deux organismes sont à l’effet que la décision du juge Yergeau permet à une loi discriminatoire de continuer à s’appliquer. Les politiciens fédéraux doivent se croiser les doigts pour que la Cour d’appel ne donne pas suite à cette requête pendant qu’ils sont en pleine campagne électorale!
La Loi sur la laïcité de l'État correspond à un choix largement majoritaire de la société québécoise. Pour s’assurer du respect de cette volonté populaire, le gouvernement caquiste a recouru à la disposition dérogatoire qui soustrait sa loi aux impératifs des chartes des droits de la personne, tant canadienne que québécoise. Plusieurs y ont vu un scandale et brandissent les spectres du racisme et de la discrimination, mais la plupart des Québécois y voient surtout l’assurance que le vœu de la majorité exprimé dans des choix politiques prime sur les décisions juridiques espérées favorables par une minorité.
À ce propos, j’invite les inconditionnels des chartes, et, plus particulièrement, une certaine gauche québécoise à lire le livre de Pierre Dubuc, Dans quel camp êtes-vous?, afin de faire preuve de plus de nuances dans la compréhension des droits sociaux et économiques. Je vous laisse quelques extraits pour aiguiser votre curiosité:
«Faisons remarquer aux adeptes de la Charte canadienne et des autres chartes des droits à travers le monde qu’elles n’ont pas empêché une extraordinaire concentration de la richesse aux mains d’une minorité de bien nantis et de grandes corporations. Il ne pouvait en être autrement. Au cœur de ces chartes se trouve la défense de la propriété privée au détriment des droits sociaux et collectifs.La Charte canadienne ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination des peuples québécois et autochtone et a charcuté les droits linguistiques du Québec. Le système judiciaire n’est pas détaché de la structure économique et politique d’un pays.
Le néolibéralisme est indissociable de l’idéologie des droits de l’homme et du multiculturalisme. Les deux affirment comme valeur suprême l’individualisme et distillent leur propre discours identitaire (homosexuels, femmes, minorités raciales, etc.) pour miner l’identité de classe – le socle d’une véritable solidarité internationale – et l’identité nationale.
L’expression “la tyrannie de la majorité” est associée à Alexis de Tocqueville et à son livre De la démocratie en Amérique. Faut-il rappeler que le Bill of Rights, l’ancêtre des chartes des droits de l’homme, a vu le jour dans un pays où le cinquième de la population était réduit en esclavage. Dans l’esprit des Pères de la Constitution américaine, le Bill of Rights n’avait pas pour but une plus grande démocratisation, mais la défense des intérêts de la classe dominante contre les tendances “nivelatrices” de la démocratie, en somme contre la “tyrannie de la majorité”. »
Pour revenir au recours du CNMC et de l’ACLC, nous avons pu observer jusqu’à présent avec quelle discrétion les leaders des libéraux, des conservateurs et des néo-démocrates ont suivi les péripéties de ces deux groupes et ils demeurent très modérés dans leurs critiques de la loi québécoise tout en reconnaissant que ce sont les affaires du Québec. Ils donnent l’impression de laisser les tribunaux faire le travail de sape à leur place, mais ils espèrent sûrement que ce soit après le 27 octobre pour ne pas avoir à se compromettre en pleine campagne électorale et risquer de s’aliéner une partie de l’électorat. Tous doivent se rappeler de la descente aux enfers des néo-démocrates dans la précédente campagne électorale après la valse hésitation de Thomas Mulcair sur une décision juridique qui invalidait la prestation de serment à visage découvert pendant que Stephen Harper annonçait qu’il en appellerait.
Ces trois formations comptent beaucoup sur le Québec dans le prochain scrutin électoral: les libéraux pour se maintenir au pouvoir, les conservateurs pour y accéder et les néo-démocrates pour apparaître avec un nombre de députés crédibles à l’échelle canadienne. Un renversement de la décision du juge Yergeau à court terme ne pourrait qu’attiser la grogne des Québécois et mettre ces partis fédéraux en situation de s’aliéner une partie de la population canadienne. Les intégristes religieux et chartistes en s’obstinant deviennent les principales nuisances aux partis fédéraux promoteurs du multiculturalisme.
Depuis Jean Lesage, nous voulons être «maître chez nous» et ce sera peut-être l’arrogance des autres Canadiens qui finira par nous y mener!