Dans sa critique littéraire du 24 septembre publiée dans Le Devoir, Louis Cornellier s'attarde à deux textes traitant du fondamentalisme religieux. Il se demande s'il faut s'inquiéter davantage de l'islam politique (la thèse de Djemila Benhabib) ou de l'évangélisme chrétien (la thèse de Françoise David).
Cela nous donne l'occasion de préciser que pour la Fédération des femmes du Québec (FFQ), cette opposition crée une fausse dichotomie. La FFQ prend au sérieux l'influence grandissante de discours religieux conservateurs — toutes religions confondues — sur les choix de société. Par ses valeurs rétrogrades en ce qui concerne les femmes, la sexualité et la famille, le conservatisme religieux nous ramène en arrière.
Le contrôle du corps des femmes se hisse au premier rang des cibles de prédilection de ces droites religieuses. Des leaders religieux se joignent aux groupes «pro-vie» pour proposer que l'État enlève le droit aux femmes de gérer leurs choix reproductifs. Des évangélistes ouvrent des «bureaux-conseils» pour les femmes enceintes avec l'objectif caché de les dissuader d'avoir recours à l'avortement. Des groupes mormons, avec l'appui de certains groupes musulmans, militent pour faire accepter la polygamie. L'État canadien n'octroie plus d'aide internationale aux groupes offrant des services d'avortement et de planification des naissances.
En Ontario, des orthodoxes religieux musulmans, chrétiens et juifs ont fait dérailler l'intention du gouvernement de ramener des cours d'éducation à la sexualité dans le système scolaire. Au Québec, des milieux religieux font du lobbyisme (avec succès) pour maintenir le financement étatique des écoles confessionnelles aux dépens d'une éducation publique et non confessionnelle. Au sein de la famille, chez les plus rigoristes et «contrôlants», le mode de vie et la sexualité des filles sont souvent ultraréglementés au nom de leur protection, en totale contradiction avec le développement de leur autonomie.
La tradition religieuse du Parti républicain des États-Unis s'ancre dans les moeurs politiques canadiennes. On pense que les problèmes sociaux doivent être pris en charge par les familles et non l'État. Ainsi, on favorise des politiques qui dépendent de la présence de femmes au foyer. Le gouvernement canadien a mis fin à un projet de financement pancanadien des services de garde et a annoncé des baisses d'impôt favorisant le retour des femmes au foyer. Même au Québec, on compte de plus en plus sur la famille, et surtout sur les femmes, pour remplacer l'État, notamment pour le maintien à domicile des aînés.
Forte de ses 45 ans d'histoire de vigilance, de propositions, de résistance et de succès, la Fédération des femmes du Québec a ouvert plusieurs chantiers, porteurs d'espoir, et elle convie la population à y participer. Des voix critiques féministes sont essentielles: pour dévoiler et dénoncer la montée des conservatismes religieux et pour contrer les menaces qui pèsent sur les importants gains réalisés au cours des 50 dernières années.
Le soutien aux filles et aux femmes aux prises avec la domination sur le plan familial, religieux ou communautaire est essentiel. Les écoles doivent s'assurer que les jeunes, particulièrement les filles, connaissent leurs recours; les garçons doivent être outillés pour agir comme alliés.
L'accès à une éducation publique favorisant la citoyenneté critique est essentiel. Cessons de financer les écoles confessionnelles pour que la vaste majorité des jeunes reçoivent une éducation axée sur l'obtention de connaissances égalitaires. Encourageons les études postsecondaires; combattons l'obscurantisme par la connaissance, notamment en maintenant l'accessibilité aux études. Enfin, la ministre de l'Éducation a promis, à la suite de la Marche mondiale des femmes, d'implanter un nouveau programme d'éducation à la sexualité à l'école. Il faut aller de l'avant, car c'est souvent à ce niveau que les stéréotypes et les rôles traditionnels peuvent être déconstruits pour mieux bâtir une perspective égalitaire des rapports amoureux et sexuels.
Devant l'insécurité économique, choisissons la solidarité plutôt que les politiques néolibérales. Attaquons-nous aux nombreux obstacles à l'intégration de tous les citoyens à la vie sociale et économique.
La non-reconnaissance des acquis des femmes immigrantes, qui les confine à des emplois ghettoïsés et traditionnels, comme l'aide domestique, le travail en garderie familiale et dans l'hôtellerie en est un exemple patent. Combattons l'écart grandissant entre riches et pauvres, car cela fragilise la cohésion sociale.
Enfin, il importe d'être attentif et de documenter les influences religieuses réactionnaires sur la vie politique, sociale et économique afin de trouver les solutions pour les stopper. De toute évidence, ni la laïcité ni les valeurs féministes ne sont acquises.
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Alexa Conradi - Présidente de la Fédération des femmes du Québec
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