Noël en garderie

Le Québec manque de mangeoires

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Sur cette vieille terre chrétienne du Nouveau Monde, la foi se meurt peut-être, mais pas la merveille de l'enfance. Encore célébrée à Noël dernier, la naissance de l'enfant Jésus s'estompe, certes, sous les cadeaux et les retrouvailles familiales. Mais vingt ans après sa parution, le manifeste social d'Un Québec fou de ses enfants perpétue le mythe voulant qu'au milieu des désarrois, les enfants qui y naissent demeurent l'héritage le plus précieux.
L'espoir millénaire qu'un nouveau-né apporte à Jérusalem le salut d'un peuple et, partout, la paix aux nations, n'a toujours pas obtenu de réponse. À la naissance à Bethléem d'un messie attendu, le pouvoir de l'époque, se jugeant menacé, avait plutôt fait tuer tous les nouveau-nés, comme le rapportent les Écritures récemment confirmées par des historiens. De nos jours, il est vrai, les nations proclament «les droits des enfants». Mais nos sociétés chérissent-elles pour autant les plus vulnérables?
À Montréal, en 2011, le directeur de la santé publique écrivait dans un rapport officiel: «L'OCDE a souligné les efforts du Québec dans la mise en place des mesures redistributives de la politique familiale québécoise, notamment les garderies à contribution réduites. Ces garderies sont en effet un domaine dans lequel le Québec se démarque du Canada, lequel accuse un retard important quant aux services à la petite enfance.» Mais un tel progrès quasi miraculeux s'est-il vraiment produit?
Presque partout ailleurs, les nouvelles sont mauvaises. Innombrables sont les nouveau-nés qui meurent faute de soins. L'on ne compte plus les enfants abandonnés, affamés ou victimes de guerre ou d'exploitation. Aux États-Unis, les enfants pauvres se comptent par millions. Au Canada, en réserve autochtone, d'autres grandissent dans la pire misère. Le Québec aurait-il donc trouvé la crèche merveilleuse qui lui vaut les louanges de l'Organisation de coopération et de développement économique?
En 1991, dans Un Québec fou de ses enfants, le ministère de la Santé et des Services sociaux, traitant des problèmes des jeunes, recommandait maintes actions pour en «prévenir l'apparition ou en diminuer l'ampleur». Parmi les principales pistes de solution alors mises de l'avant, «la prévention et la réduction de la pauvreté sont privilégiées». Et dix ans plus tard, toujours selon le ministère, ce rapport constituait encore «un document de référence pour tous ceux qui s'intéressent aux jeunes et aux familles en difficulté».
Entre-temps, de tous les programmes destinés à la petite enfance, le service de garde est devenu le plus populaire. Des garderies publiques et privées bénéficient de l'aide de l'État à hauteur de deux milliards par année, sans pour autant répondre à toutes les demandes. Les listes d'attente sont longues, et les nouvelles places, vivement convoitées. Favoritisme, accusent les uns; exploitation mercantile, soutiennent d'autres; chaos bureaucratique, clame la presse.
Le miracle québécois connaîtrait même des fraudes au point que la Sûreté du Québec responsable de la corruption et de la collusion dans les services publics dise faire enquête. Déjà une rivalité chronique entre les garderies publiques et privées faisait fi des tout-petits. Plus récemment, le Vérificateur général a découvert que le gouvernement avait, ces dernières années, refusé de bons projets et accepté de mauvais. Mais avait-on vu le pire?
Pas encore, semble-t-il. Les enfants des quartiers démunis et des familles à faible revenu, a-t-on appris de la Santé publique, peinent à profiter de ce service alors qu'ils en auraient le plus grand besoin. Autrement dit, cette population serait exclue des priorités d'implantation des garderies, alors même que le programme pourrait aider ces parents à trouver sur le marché de l'emploi un meilleur revenu, et ces enfants, à bénéficier d'un milieu aussi stimulant que celui des enfants avantagés.
Bref, le Québec ne serait pas trop fou de ces enfants-là. Il ne les tue pas, mais il les laisse dans des conditions «infrahumaines» qui leur vaudront retards et frustrations le restant de leur vie. Le 28 novembre, La Presse citait sous le titre «Les enfants pauvres défavorisés dans l'accès aux places à 7 $» une étude sur les Centres de la petite enfance à Montréal. Le Québec a un très bon système actuellement, commentait l'auteur. «Le seul problème», ajoutait-il, c'est que «les enfants des milieux défavorisés n'y vont pas».
Et pourquoi donc? Trois raisons sont invoquées. Le manque de places est déjà criant, dit-on, et «les enfants de parents prestataires de l'aide sociale ne sont pas toujours les bienvenus». Les places disponibles sont «souvent réservées pour des travailleurs de l'extérieur du quartier». Et ces dernières années, les nouvelles places sont surtout offertes par des garderies privées ou en milieu familial.
Traduction: en offrant un service à si bas prix, le Québec a subventionné les gens fortunés qui n'avaient pas besoin de son aide. Et en suivant le principe du «premier arrivé premier servi», la classe moyenne a eu tôt fait d'occuper les garderies. Le mot de crèche, courant en France, aura ainsi pris un sens typiquement québécois: la faveur de l'État serait démocratisée, mais en commençant par les plus débrouillards.
Et c'est ainsi que d'un Noël à l'autre, le Québec manque de mangeoires pour ses enfants pauvres. En Judée, un recensement par village ayant rempli les auberges, Marie et Joseph avaient dû loger chez l'habitant, au rez-de-chaussée, là où, selon la coutume, on abritait les animaux. Entre le boeuf et l'âne, la tradition chrétienne aura vu un événement grandiose. Une histoire fort différente explique le mythe moins glorieux des garderies québécoises.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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