Le salut de la charte de la laïcité passera par la Coalition avenir Québec (CAQ), selon le ministre responsable du dossier, Bernard Drainville. Ce dernier n’a aucun espoir de voir les libéraux appuyer son projet de loi et ne voit « pas d’autre scénario » possible que celui d’une collaboration avec la CAQ.
À quelques jours du début des audiences publiques sur le projet de loi 60 (mardi), M. Drainville a soutenu qu’il est « clair que les libéraux vont rester contre la charte » aux termes des travaux de la Commission des institutions. « C’est très clair qu’ils vont mener une lutte sans merci contre la charte, a-t-il dit en entretien avec Le Devoir. Ils vont tout faire pour la bloquer. »
Bernard Drainville pense toutefois qu’une possibilité d’entente existe avec la CAQ de François Legault. « Nous allons écouter ce que les gens ont à dire en commission avant de passer à l’étape suivante, soit celle d’éventuelles discussions avec la CAQ », dit-il.
Pour qu’une entente soit possible, les caquistes devront par contre « avoir une position moins molle », soutient le ministre. « Ils sont d’accord pour interdire le port de signes religieux aux enseignants, mais pas dans les garderies. Or, si les enseignants sont en position d’autorité, les éducatrices ne le sont pas moins. S’ils veulent être cohérents avec eux-mêmes, il faudra qu’ils soient moins mous et plus logiques. Peut-être que la commission va être utile pour que la CAQ évolue. »
Mais cette même commission permettra-t-elle au Parti québécois de faire évoluer sa propre position ? Là-dessus, Bernard Drainville répond que le gouvernement Marois arrive avec une « attitude ouverte, mais ferme ». « Nous sommes ouverts à bonifier le projet, mais on va rester ferme sur les grands principes et les valeurs sur lesquelles il s’appuie. L’égalité hommes-femmes, ce n’est pas négociable, ça prend des règles en matière d’accommodements et il faut assurer la neutralité religieuse de l’État. »
Pas de dilution
« Il n’y aura pas de dilution de la charte », précise ensuite M. Drainville. Sur la question du port des signes religieux ostentatoires — le projet de loi 60 propose une interdiction pour le personnel des organismes publics —, le ministre réitère ainsi que c’est une « question fondamentale, parce que c’est le visage de la neutralité qui est en jeu ».
« Si l’État est neutre, il faut que ça paraisse, que ce soit une neutralité visible, dit-il. Il faut la constater, il faut que la personne qui travaille pour l’État garde pour elle ses convictions religieuses. Les libéraux ont tendance à ramener la question du port des signes à un simple désaccord qui empêcherait l’adoption du reste de la charte. Mais c’est fondamental. »
Prenant acte des déclarations du député Gilles Ouimet (voir texte ci-contre), M. Drainville calcule que les libéraux « vont rester opposés à toute forme d’interdiction des signes religieux pour les agents contraignants, les juges, les policiers ».
Il en rajoute plus tard : « Aux dernières nouvelles, ils étaient toujours pour le port du tchador, partout sauf pour une candidate libérale. Ils prétendent lutter contre l’intégrisme, mais tu ne peux pas dire ça et être pour le port du tchador. Si tu veux parler d’intégrisme, la meilleure façon de le faire, c’est d’appuyer la charte », lance M. Drainville.
Débat nécessaire
Selon le ministre Drainville, la grande popularité des audiences sur le projet de loi 60 — plus de 250 mémoires ont été déposés et seront entendus — prouve que le débat était « nécessaire ». « Ça démontre à quel point c’est pertinent, soutient-il. Les détracteurs disaient que c’était un faux problème. Mais l’intérêt autour de la commission prouve qu’ils avaient tort et que l’enjeu intéresse les Québécois. Ça nous renforce dans nos convictions. »
Bernard Drainville s’attendait à « une forte participation », mais pas à ce point. « J’ai été surpris de l’ampleur, dit-il. Mais c’est bon signe. Ça démontre qu’on est en train d’avoir un débat fondamental pour l’avenir du Québec. »
Comme Le Devoir l’indiquait le 28 décembre, les audiences vont durer longtemps. Chaque mémoire sera présenté et discuté pendant une heure, a confirmé vendredi M. Drainville. Peu importe si les propos se recoupent, cette règle sera respectée. La commission ne siégera pas plus de trois jours par semaine et aura un rythme de sept mémoires par jour, ce qui annonce des audiences d’au moins trois mois.
Le ministre estime que même si des éléments font consensus — le principe de l’égalité hommes-femmes, par exemple —, il faudra les discuter en long et en large. « Il faut aller dans le détail,dit-il, parce qu’il peut y avoir des divergences dans l’application. »
Yves Michaud et dérapage
Si les débats s’annoncent vigoureux — vendredi, le sociologue Gérard Bouchard accusait le Parti québécois de « mensonges et distorsions » dans ce dossier —, Bernard Drainville dit ne pas craindre que le débat dérape. « Pour l’instant, ça se déroule plutôt bien. »
Cela, malgré quelques faux pas, comme celui du militant souverainiste Yves Michaud — qui a dit que ceux qui s’opposent aux interdits vestimentaires de la charte n’ont qu’à aller « dans un pays où c’est toléré ». M. Michaud a admis vendredi s’être « gouré » et avoir « poussé le bouchon un petit peu loin ».
« Je ne partage pas son avis, avait indiqué M. Drainville avant la rétractation d’Yves Michaud. Ce n’est pas parce que quelqu’un est en désaccord avec la charte qu’on doit l’inviter à partir, pas du tout. Depuis le début, j’en appelle au respect des positions des uns et des autres. Même si on est en désaccord, il faut se respecter. »
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