Vendredi, au petit matin, il y avait comme un petit vent de fébrilité dans les rues de Londres. La brise aidant, après les trombes de pluie, le traditionnel pragmatisme britannique semblait ébranlé. Comme si, derrière l’air impassible de chacun des passagers de la vieille District Line du métro londonien, une voix riait sous cape et disait : « We did it ! » (On l’a fait !).
Ces petits employés venus des banlieues de Barking et de Dagenham à l’est de Londres, où l’on a massivement voté pour le Brexit vendredi, on les avait pourtant menacés d’une crise historique digne d’un Black Friday. Ils allaient provoquer un chômage endémique, sacrifier 7500 $ de leur revenu familial et même accroître le danger… de guerre ! De quoi se mêlaient-ils donc ? De quel droit venaient-ils déranger le ronron économique de la City et celui des jeunes bobos de bonne famille qui fréquentent les riches universités londoniennes et rêvent d’une bourse Erasmus pour aller passer six mois à Barcelone ? De toute façon, les peuples n’avaient-ils pas tendance à se fondre toujours plus dans un même magma ? Comment pouvait-on s’opposer ainsi à la « marche de l’histoire » ? Ne savaient-ils pas que le progrès logeait depuis toujours du côté des grands ensembles et de la liberté de commercer ?
Heureusement, le peuple qui a inventé le parlementarisme n’allait pas céder aussi facilement au chantage économique et au déterminisme historique. Et cela, même si les maîtres chanteurs avaient pour nom Christine Lagarde, Jean-Claude Juncker, George Soros, Barack Obama et même Justin Trudeau. Quoi qu’on pense de la décision des Britanniques — après tout, on n’est pas tous obligés d’aimer l’Europe —, ce résultat apparaît comme un défi aux forces du statu quo et du renoncement.
Après les référendums québécois et écossais, on pouvait croire, comme nous l’a d’ailleurs longuement expliqué un prestigieux politologue londonien, qu’en cette époque où l’économie décide de tout, la prime au statu quo était non seulement inévitable, mais pratiquement insurmontable. Un grand cinéaste québécois a appelé cela « le confort et l’indifférence ».
Les Britanniques auront prouvé le contraire. Ils auront démontré que, malgré le discours unique et utilitariste ambiant, il sert encore à quelque chose de faire de la politique. Ce choix fait souffler un vent d’air frais pour tous ceux qui croient que la politique ne se résume pas à un indice d’inflation et un taux de croissance. Les « brexiters » auront redonné ses lettres de noblesse à ce beau mot de « politique» et prouvé que, pour peu qu’on ose aborder les questions taboues, comme celle de l’immigration par exemple, oui, la politique pouvait venir à bout de l’économisme ambiant.
D’ailleurs, il a suffi que le peuple fasse entendre sa voix pour découvrir où logeait l’insécurité. Comme me le disait ce fin connaisseur de l’Europe qu’est le politologue québécois Henry Milner, tous ces cris d’orfraie entendus durant la campagne, toutes ces mises en garde annonçant chaque jour une nouvelle catastrophe économique étaient bien plus motivées par la crainte de voir l’Union européenne, et l’euro avec elle, exploser en plein vol que par les fondamentaux économiques du Royaume-Uni, qui demeurent excellents. On ne voit pas en effet pourquoi, après une période de transition, la cinquième économie du monde serait moins bien nantie que la petite Norvège ou que la Suisse, qui ont négocié des ententes semblables avec Bruxelles. On ne voit pas pourquoi les Britanniques ne pourraient pas aller négocier eux-mêmes des ententes de libre-échange avec la Chine, les États-Unis et même le Canada.
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