La seule idée de taxer les émissions de carbone pour combattre les changements climatiques alimente un débat soutenu depuis des semaines dans la presse canadienne-anglaise, un des rares débats sur une politique publique depuis le renouvellement de la mission en Afghanistan l'hiver dernier. Avant même l'annonce de son Tournant vert jeudi, le chef libéral Stéphane Dion a eu droit à tous les conseils, critiques et avis. Le jugement a vite suivi.
John Ivison, du National Post, et Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, ont noté en choeur que, peu importe la valeur de ce plan, il arrivait politiquement à un bien mauvais moment étant donné la flambée des prix de l'énergie. Les deux chroniqueurs n'ont toutefois pas porté le même jugement sur le Tournant vert de Dion. John Ivison abonde dans le sens de Dion pour dire que sa proposition est simple. On taxe d'un côté pour redonner de l'autre, ce qui a théoriquement du sens. Mais comment être sûr que les effets escomptés seront au rendez-vous dans un monde aussi complexe. Ivison multiplie les questions et affiche son scepticisme tout en reconnaissant le leadership audacieux dont fait preuve le chef libéral.
Jeffrey Simpson, qui est favorable à une taxe sur le carbone, rappelle que même des dirigeants de compagnie pétrolière admettent qu'il est nécessaire de mettre un prix sur les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, dit Simpson, ce qui distingue les politiciens qui veulent sérieusement s'attaquer au problème et ceux qui ne le sont pas est leur volonté ou non d'établir un tel prix. «M. Dion a montré qu'il était un politicien très sérieux lorsqu'il était question de changements climatiques. Enfin presque.» Car il ne touche pas au prix de l'essence. Mais il a au moins présenté un plan, malgré les risques pour lui et son parti, dit le chroniqueur, alors que les conservateurs sont dénués de politique crédible sur le sujet et multiplient les attaques mensongères contre les libéraux. «Les libéraux ont vu juste pour l'essentiel: taxer les comportements polluants pour ensuite utiliser les revenus pour réduire les impôts personnels et ceux des sociétés. Bravo au courageux!»
Avis divergents
L'équipe éditoriale du Toronto Star applaudit elle aussi à l'initiative de Dion, surtout que le gouvernement Harper, de son côté, a toujours bien peu à offrir au-delà des slogans. Dion a occupé l'espace abandonné par le premier ministre avec «un plan substantiel pour que le Canada fasse sa part», écrit le Star, un plan «équitable» qui «allie des préoccupations environnementales, sociales et économiques».
La chaîne SunMedia, dont le chroniqueur Lorrie Goldstein taille en pièces depuis des semaines les tenants de solutions musclées aux changements climatiques, n'est pas du même avis. Selon la chaîne, ce plan «est trop beau pour être vrai». Le Sun, qui dit juger le plan selon «sa valeur», conclut qu'il reste beaucoup trop vague au sujet de ses impacts et de ses cibles et qu'il manque, par conséquent, d'honnêteté.
Le Globe and Mail n'est pas aussi sévère mais il n'est pas séduit non plus. Il félicite Dion pour ramener le débat politique sur un enjeu important, loin des scandales et des insultes de la dernière session. Le quotidien trouve le geste osé et même un peu fou en ces temps de prix élevé de l'énergie. Mais ce qui agace le plus le Globe est le fait que ce plan sert aussi à financer la lutte contre la pauvreté, ce qui accentue la confusion sur ses objectifs et fait en sorte que la taxe ne sera pas fiscalement neutre pour tout le monde. «Une taxe sur le carbone peut être un élément d'un effort concerté pour réduire les émissions de GES au pays, mais ce plan reste confus», ce qui exigera beaucoup d'explications de la part de Stéphane Dion.
Le messager
Pour Dan Lett, du Winnipeg Free Press, Stéphane Dion devra d'ailleurs «convaincre les Canadiens de ne pas tenir compte de la personne qui porte cette vision audacieuse». Après avoir entendu le chef libéral à Winnipeg, Lett note que «le pays est à une importante croisée des chemins. Le public reste sceptique à l'égard du gouvernement conservateur, qui provoque des manchettes embarrassantes à un rythme record. La vision de Dion a le potentiel d'être la prochaine grande proposition en économie politique au Canada, un projet sur lequel on peut bâtir un nouveau gouvernement. Il n'est pas évident, cependant, que Dion soit l'homme capable de vendre cette vision.»
Dernier souffle
Une affaire poignante agite Winnipeg. Un homme de 84 ans est maintenu en vie depuis des mois grâce à un respirateur et un tube d'alimentation branché à son estomac. Les médecins veulent mettre un terme à ces traitements. Sa famille, juive orthodoxe, s'y oppose pour des raisons religieuses. L'hôpital s'est adressé aux tribunaux, mais l'affaire ne doit être entendue qu'en septembre. D'ici là, la cour a ordonné aux médecins de donner au vieillard les soins nécessaires. Il aurait entre autres des ulcères cutanées qui exigeraient une chirurgie. Trois des médecins qui oeuvraient à l'unité des soins intensifs ont démissionné, l'un d'eux jugeant que la poursuite des soins équivaudrait à de la «torture».
Le Winnipeg Free Press veut bien qu'on se tourne vers les tribunaux pour trancher un litige semblable, pourvu que la décision soit rapide. Selon le journal, l'hôpital a l'obligation de chercher un juste équilibre entre les obligations éthiques des médecins, leurs opinions et le désir du patient ou de sa famille de continuer les traitements, d'où ce recours judiciaire. Mais «aucun médecin ne devrait continuer de traiter un patient quand il croit que cela est contraire à la bonne pratique médicale et à l'éthique professionnelle et quand il croit que les soins peuvent causer plus de mal que de bien pour le patient», écrit le Free Press, et pour cette raison, une cause comme celle-ci devrait être prioritaire et tranchée avec célérité.
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Revue de presse
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