Dimanche dernier, à Québec, démarrait le 49e Congrès eucharistique international. Le gouvernement Harper s'y est fait représenter par le secrétaire d'État au multiculturalisme et à l'identité canadienne, Jason Kenney, un député de Calgary. La veille, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada tenait elle aussi son assemblée générale dans la Vieille Capitale, question de souligner le 400e anniversaire de la ville. Personne n'y représentait le gouvernement conservateur.
La FCFA avait pourtant invité Josée Verner, ministre du Patrimoine et responsable des langues officielles, à s'adresser à l'assemblée. La chose était d'autant plus simple que Mme Verner est députée de Québec et pas de Calgary. Mais non, elle a décliné l'invitation et n'a délégué personne. Tous les autres partis fédéraux, eux, ont fait acte de présence à un moment ou un autre de l'événement. Un sénateur conservateur acadien, Gérald Comeau, a assisté à la rencontre, mais à titre personnel, le président sortant de la FCFA étant un ami.
L'absence de la ministre n'est pas passée inaperçue, mais elle n'a pas surpris non plus. La ministre est sur la sellette car les minorités linguistiques attendent toujours le renouvellement du Plan d'action quinquennal pour les langues officielles, qui a pris fin le 31 mars. Au bureau de la ministre, on répète depuis des mois qu'on en verra la couleur d'ici la fin du printemps. «Et le printemps se termine le 21 juin», disait-on encore hier. Dans trois jours...
Lors du dépôt de son rapport de l'an dernier, le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, s'était inquiété du fait que les actions du gouvernement ne semblaient pas refléter ses paroles. Dans le rapport de cette année, M. Fraser est revenu sur la nécessité d'un leadership politique fort en matière de langues officielles, mais il s'est vu forcer de conclure, en conférence de presse, que «l'hésitation et le manque de leadership que l'on pouvait soupçonner l'année dernière sont maintenant évidents. Le gouvernement continue d'appuyer en principe la dualité linguistique canadienne, mais cet appui ne se manifeste pas par une vision d'ensemble à l'égard des politiques gouvernementales et de la fonction publique».
Sa principale frustration touchait justement le renouvellement du plan d'action. «On se croirait dans une pièce de Samuel Beckett, qui pourrait s'intituler "En attendant le plan d'action". Bien franchement, je ne tiens pas à passer une année de plus à assister à une pièce de théâtre, alors que tout le monde attend pendant que le gouvernement fait du surplace.» (On pourrait dire la même chose du remplacement du juge Michel Bastarache à la Cour suprême du Canada. Le gouvernement refuse de s'engager à nommer un autre juge bilingue.)
L'espoir était pourtant permis après la lecture du discours du Trône du 16 octobre 2007, puisque le gouvernement disait appuyer la dualité linguistique et vouloir présenter une stratégie en ce sens. Les doutes ont surgi lors du dévoilement du budget de février, car on n'avait pas prévu de fonds à cet effet.
Depuis le 31 mars dernier, les membres de la FCFA ignorent toujours ce qui les attend pour les années à venir. Ils veulent que le plan soit reconduit et amélioré car il a amené, durant les cinq dernières années, plusieurs ministères à établir des partenariats avec les communautés dans des dossiers autrefois négligés. On pense à la santé, à la justice, à l'immigration, au développement économique. Or, pour que des communautés soient un vrai milieu de vie, elles doivent pouvoir s'épanouir dans tous les secteurs et pas seulement au sein d'institutions scolaires et communautaires.
Le gouvernement Harper tergiverse depuis deux ans en accumulant les rapports, dont celui de l'ancien premier ministre néo-brunswickois Bernard Lord, remis à la ministre au début de mars. La réponse à ce dernier se fait attendre, tout comme celle au rapport de Graham Fraser. Depuis la sortie de celui-ci, il y a trois semaines, la ministre fuit les caméras et les micros, comme si elle n'avait rien à dire ou, pis, comme si elle était gênée.
On se surprend à plaindre Mme Verner, car ses déclarations passées, sans être percutantes, ont au moins toujours laissé croire qu'elle se souciait vraiment des minorités linguistiques. À l'image, en somme, des conservateurs québécois issus davantage de la mouvance progressiste-conservatrice que réformiste. Mais depuis six mois, elle semble être tenue en laisse par - on le devine - le premier ministre et son bureau. Comment expliquer autrement que le plan tarde à ce point? Ou encore qu'on garde confidentielle l'entente à l'amiable intervenue lundi entre le gouvernement et la FCFA au sujet d'une nouvelle version du Programme de contestation judiciaire?
Interrogée sur ce sujet hier, Josée Verner a déclaré aux Communes que «les termes de l'entente sont pour le moment confidentiels. Lorsqu'il nous sera possible de les rendre publics, nous le ferons». À la FCFA, on serait prêt à en parler, mais on doit attendre que le gouvernement procède à son annonce. Or il tarde. Et on recommence à attendre Godot.
Ça commence à être fatigant de ronger son frein de la sorte. Si ce gouvernement est sérieux et prend à coeur les intérêts des communautés minoritaires de langue officielle, qu'il dévoile son jeu. Sinon, on sera forcé de conclure qu'il cherche la façon d'exploiter électoralement le sujet - c'est-à-dire au Québec - et qu'il ne l'a pas encore trouvée. Le gouvernement Harper a en effet cette désagréable manie d'aborder le dossier des langues officielles en ayant d'abord en tête la réaction des Québécois. Et en ce moment, il sait qu'il en faudra beaucoup pour détourner leur attention de l'affaire Couillard-Bernier, des problèmes en Afghanistan, du prix de l'essence et du reste.
C'est justement pour éviter que le sort des minorités francophones ne dépende des aléas partisans qu'il faut que le gouvernement fasse preuve de leadership. Du vrai. Mais on l'attend encore... Tout comme Godot.
mcornellier@ledevoir.com
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