Six ans après le douloureux épisode de la charte des valeurs, le gouvernement Legault déposait hier son projet de loi sur la laïcité de l’État. Sur un sujet aussi houleux et émotif, le pari de François Legault est risqué, mais il est surtout calculé.
Le premier ministre sait qu’il a l’appui d’une majorité de Québécois. Parce qu’il en a demandé le mandat aux électeurs, sa légitimité d’agir est entière. Idem pour son recours à la clause dérogatoire des chartes canadienne et québécoise des droits. Cette clause est tout à fait légale et constitutionnelle.
Son « compromis » sortant enfin le crucifix du Salon bleu est également fort stratégique. Même le ton de M. Legault est le bon. Son appel au calme est sincère, mais comme il s’agit de droits fondamentaux, il restera lettre morte.
Sans surprise, hors Québec, on pousse déjà les hauts cris démagogiques habituels : « racisme », « xénophobie », etc. Ce qui, face au Canada anglais, permettra aussi au premier ministre de tester ses muscles nationalistes.
Insultes routinières
Bref, sur le plan strictement politique, François Legault gagne sur plusieurs tableaux. La pluie routinière d’insultes venant du ROC n’est que du vent. Par contre, ce qui importe nettement plus est l’impact possible de cette éventuelle loi au sein même de la société québécoise.
Depuis la charte des valeurs, une question centrale reste en effet sans réponse. Au Québec, le port de signes religieux par certains employés de l’État serait-il vraiment un problème d’une importance telle qu’il justifierait une intervention législative pour l’interdire ?
Dit autrement, le port d’un signe religieux constitue-t-il un geste de prosélytisme ? Menace-t-il la neutralité de l’État ? Empêche-t-il un enseignant de bien faire son travail ? En tout respect, la réponse à ces questions est non.
Le projet de loi souffre aussi de plusieurs incohérences. Du moment où le gouvernement juge pour sa part que le port des signes religieux par certains employés, comme les enseignants, pose un problème social réel – ou encore, que son interdiction s’inscrit dans la déconfessionnalisation du système scolaire –, pourquoi choisir alors d’en saucissonner l’application ?
Incohérences
Les enseignants du réseau public embauchés après ce mercredi ne pourront pas en porter, mais ceux déjà à l’emploi le pourront. Dans chaque école publique, il y aura donc deux catégories d’enseignants : ceux ayant le droit de porter un signe religieux et ceux et celles à qui ce sera interdit.
Autre incohérence : les écoles privées subventionnées en seront exemptées. Le risque est que des enseignants opposés à la loi quittent le public pour le privé. Et puis, il y a l’éléphant dans la pièce : le hijab. Jamais le port d’une kippa juive ou d’une petite croix n’avait posé problème dans nos écoles.
S’il y a débat, ici comme ailleurs, c’est parce que la présence du hijab – vu par plusieurs comme un signe d’oppression des femmes – dérange. Or, nos quelques enseignantes québécoises musulmanes qui portent le voile sont des professionnelles. Le foulard qu’elles portent ne le diminue en rien.