Hausse des droits de scolarité

Le mensonge des universités

Chronique de Louis Lapointe

Avec ces sempiternelles discussions sur l’augmentation des droits de scolarité, le monde universitaire réussit encore une fois à faire diversion et à éviter le débat sur sa gestion des fonds publics.
Bien qu'ils l'évoquent rarement, le principal sujet de préoccupation des recteurs est de réussir à financer la tâche de leurs professeurs. Bien sûr, il y a le béton des nouvelles constructions, le financement de la recherche et le salaire des cadres, mais le nerf de la guerre, c’est la tâche de ceux qui font l’Université, les professeurs.
Dans cette perspective, avant même de songer à augmenter le financement des universités et hausser les droits de scolarités de leurs étudiants, ne faudrait-il pas d’abord s’enquérir de leurs pratiques et demander aux universités de rendre compte de l’accomplissement de la tâche de leurs professeurs ?
Un sujet méconnu du grand public qui constitue le noyau dur de la mission universitaire et qui, comme nous le verrons, recèle certainement quelques pistes de solutions à la crise des universités.
Voici un extrait d’un texte publié en octobre 2008 dans L’Action nationale sous le titre Quelle crise des universités?
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La tâche

«L’étendue et l’énormité du mensonge inhérent au mot travail sont évidentes. Pourtant, on n’entend guère de critiques ou de mises au point émanant des institutions savantes. Dans toutes les universités réputées, les professeurs limitent leur nombre d’heures d’enseignement, sollicitent et obtiennent du temps pour la recherche, l’écriture ou une réflexion enrichissante pendant leurs années sabbatiques. Éviter de travailler - car c’est bien de cela qu’il s’agit pour certains - n’inspire ici aucun sentiment de culpabilité. » J.K.Galbraith p. 37, Les Mensonges de l’économie, Grasset, 2004.

Les problèmes que vivent les universités ne seraient-ils pas d’un tout autre ordre et ne proviendraient-ils pas plutôt de sa mission et de la tâche des professeurs qui en découlent ? Doit-on limiter notre regard à l’accessoire, la gouvernance, ou questionner le principal, la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite par leurs pairs ? Ainsi, l’Université doit-elle rendre compte seulement de sa gestion financière ou doit-elle être plus transparente et élargir cette reddition en y ajoutant la répartition de la tâche de ses professeurs qui est au cœur de la mission universitaire, une information généralement tenue secrète par les universités ?
Si le fiasco de l’UQAM a mis en lumière d’importantes difficultés dans sa gestion financière, il n’exprime qu’une infime partie du problème des universités, le plus important étant probablement lié à la gestion de la tâche de ses professeurs. Globalement, ce qui coûte le plus cher aux administrations universitaires, ce ne sont pas les dépassements de coûts reliés aux projets immobiliers, mais bien l’absence d’une gestion cohérente de la tâche des professeurs. On préfère s’occuper de la pointe de l’iceberg pour sauver la face et accabler des boucs émissaires qui font bien notre affaire, plutôt que de faire une véritable enquête indépendante sur les règles qui gouvernent la gestion et l’évaluation des tâches d’enseignement, de recherche et de service à la collectivité des professeurs dans l’ensemble du réseau universitaire québécois.
Bien que la tâche normale d’un professeur soit constituée de 4 cours par année, par le jeu des dégrèvements d’enseignement, elle avoisine les 2.75 cours par année. Le calendrier universitaire ayant trois sessions, les professeurs d’université enseignent donc en moyenne moins de 1 cour par session, donc moins de trois heures par semaine. En comparaison, leurs collègues des Cégeps en donnent dix par année.
Toutefois, cette tâche ne se limite pas à l’enseignement. Elle comporte aussi des espaces pour la recherche, l’administration et le service à la collectivité. Ces espaces ne sont pas nécessairement tous utilisés dans les mêmes proportions et parfois certains ne le sont pas du tout. Ainsi, un professeur pourrait enseigner moins et faire plus de recherche ou moins d’enseignement, moins de recherche et plus d’administration pédagogique ou d’activités syndicales. Par le jeu des dégrèvements et des libérations de tâche d’enseignement, il arrive même parfois que des professeurs réussissent à ne pas enseigner, ne fassent pas de recherche, se consacrent uniquement à l’administration pédagogique ou à la représentation syndicale, étonnamment, parfois même aux deux !
Ainsi, certaines universités libèrent leurs professeurs de leurs activités d’enseignement et de recherche pour faire surtout de l’administration. La principale conséquence étant que des professeurs qui ont des doctorats et des compétences exceptionnelles pour l’enseignement et la recherche font surtout de l’administration. S’agit-il là d’un gain ou d’une perte de valeur pour accomplir des tâches qui nécessitent des qualifications différentes ? On dit d’ailleurs que les professeurs, sauf exception, sont rarement de bons gestionnaires. Les récents dépassements de coûts dans différentes universités seraient-ils le reflet de cette réalité ?
Les professeurs qui oeuvrent dans des domaines lucratifs comme l’administration, le génie et le droit et dont les connaissances sont recherchées ont également la possibilité de travailler à l’extérieur de l’université. Les règles régissant le travail extérieur varient d’une université à l’autre, certaines l’interdisent, d’autres le réglementent. Ainsi, il existe dans plusieurs établissements des règles limitant la proportion du revenu gagné à l’extérieur. Il est par contre difficile de sanctionner ces règles puisque les professeurs qui en profitent ne rendent pas nécessairement compte de tout leur emploi du temps. Souvent, ces situations sont tolérées parce que les gestionnaires sont eux-mêmes des professeurs qui n’exigeront pas des autres professeurs ce qu’ils ne voudront pas qu’on exige d’eux lorsqu’ils retourneront à la tâche de simple professeur. D’autres professeurs, plus pragmatiques, déclarent que ces activités lucratives entrent à l’intérieur de la tâche de service à la collectivité et sont des occasions pour le professeur de développer ou maintenir ses habiletés professionnelles tout en faisant mieux rayonner l’Université à l’extérieur de son cénacle. Ceux qui n’ont pas de bureau à l’extérieur utilisent parfois les locaux et le matériel de l’établissement pour rendre des services sur une base privée. D’où les fréquentes critiques des confrères du privé qui parlent alors de concurrence déloyale. En général, les plus habiles évitent ces critiques en ayant un bureau dans une firme privée à l’extérieur de l’université. Ils sont, par le fait même, moins disponibles pour encadrer leurs étudiants.
Il serait toutefois injuste de mettre tous les professeurs dans le même panier et de prétendre que ce sont tous des profiteurs qui gagnent 100,000 $ et plus par année et qui fournissent le minimum d’efforts. Nombreux sont ceux qui réussissent à enseigner à tous les cycles, encadrent des étudiants gradués, ramassent les plus prestigieuses et importantes subventions de recherche, innovent, donnent des conférences partout dans le monde parce qu’ils se consacrent totalement à la mission universitaire. Si les universités se montraient plus justes à leur égard, il pourrait y avoir plus de ces professeurs exceptionnels qui se gardent bien de critiquer leurs confrères de peur d’être victimes de chapelles universitaires à l’occasion de l’évaluation de leur propre tâche par leurs pairs. Comme ces jeunes professeurs qui n’osent pas trop se plaindre du fait que de nombreux titulaires enseignent les mêmes cours depuis des décennies, ne cherchent plus, passent plus de temps dans leur emploi extérieur et ne sont pas dans leurs officines pour effectuer un encadrement adéquat de leurs étudiants avec la bénédiction des comités d’évaluation et de l’administration universitaire, pendant qu’eux, s’échinent à construire de nouveaux cours, font progresser la recherche de pointe et encadrent la relève dans les domaines qu’ils sont les seuls à maîtriser, et cela, pour la moitié du salaire de leurs aînés.
Est-il normal qu’un professeur puisse continuer à gravir les 36 ou 40 échelons des échelles de salaire universitaires s’il ne consacre pas le temps requis à sa tâche, en particulier à l’enseignement et à la recherche ?
Il faut donc revoir la gestion de la tâche et la rémunération des professeurs d’université à cause des iniquités qu’elles suscitent entre jeunes et vieux professeurs, ceux qui enseignent et ceux qui n’enseignent pas, ceux qui cherchent et ceux qui ne cherchent pas, ceux qui se consacrent aux missions d’enseignement et de recherche et ceux qui s’occupent surtout de tâches administratives ou de leur second emploi mieux rémunéré et que l’on considère souvent, à tort, comme des services à la collectivité ou du rayonnement universitaire. Devant de telles situations, on doit sûrement s’interroger sur la validité des processus d’évaluation et d’approbation de tâches auxquels se livrent les pairs et les gestionnaires de l’université et reconsidérer leurs pratiques.
Par ailleurs, les universités devraient s’inspirer davantage du modèle collégial pour l’enseignement au premier cycle. De la sorte, plus de professeurs enseigneraient au premier cycle, donneraient plus de cours, gagneraient un salaire raisonnable pour la prestation qu’ils fournissent et ne seraient plus payés pour de la recherche qu’ils n’effectuent pas. Il s’ensuivrait un meilleur équilibre entre le nombre de cours donnés par les professeurs et ceux donnés par des chargés de cours dont la proportion dépasse les 50% dans la plupart des universités du Québec, une réduction du coût relatif des études de premier cycle, une plus grande cohésion des programmes d’études et une amélioration notable de la qualité de l’encadrement et de la formation donnés aux étudiants.
Enfin, on devrait interdire le double emploi à ceux qui ne font pas de recherche. S’ils n’ont pas le temps de chercher, ils ne devraient pas se chercher de clients sur leur temps d’emploi sous prétexte du rayonnement universitaire. Les meilleurs salaires devraient être versés aux meilleurs chercheurs et professeurs qui consacrent tout leur temps à la poursuite de la vraie mission universitaire, peu importe leur âge ou l’avancement de leur carrière.
Compte tenu des iniquités qu’elle suscite et lorsque l’on sait que la masse salariale des professeurs d’université du Québec est de plusieurs centaines de millions de dollars, il serait donc tout à fait logique de revoir la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite avant même de songer à investir de nouvelles sommes d’argent provenant des droits de scolarité des étudiants.
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L’intégrale de cet article a été publiée dans le numéro d’octobre 2008 de L’Action nationale : Quelle crise des universités ?
Cet extrait a également été publié sur Vigile.net dans le cadre d'une série d'articles portant sur les universités sous le titre Quelle mission pour les universités?

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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