Lettre à ma sœur Djemila Benhabib

Le danger de mêler religion et politique

Laïcité — débat québécois


Echraf Ouedraogo - Démographe
Madame Benhabib,
Si j’étais encore un vrai fils du Bled, probablement que je me serais levé pour dire à Jean Tremblay : « Touche plus à ma soeur, sinon je vais NTM. » Mais dans la vie, quelques fois, on ne récolte que ce qu’on a semé.
Votre combat pour la laïcité (en réalité, contre les signes musulmans, si on voit le double standard de son application que vous acceptez), vous avez le plein droit de le mener dans les cercles universitaires et sur les plateaux de télé du genre de Tout le monde en parle ou Bazzo.tv, qui vous accordent tout le temps nécessaire aux nuances requises pour des questions aussi délicates que la laïcité, la religion, l’identité, etc. Vous y avez déjà assez de tribunes pour parler de ce qui semble être votre seule motivation : votre désaccord avec un certain islam, avec le Coran et la charia, et vous avez le droit absolu de le faire. L’essence du verset coranique Lekoum dinoukoum woli yé diini (vous avez vos croyances et j’ai les miennes) renvoie à cette liberté de culte, de conscience et de parole.
Mais avoir comme unique carte de mérite son point de vue sur l’islam ne suffit pas à entrer en politique et c’est pour cela que votre candidature dérange, et non pas seulement Jean Tremblay, mais également beaucoup de Trifluviens.
Beaucoup de nos concitoyens vous apprécient certes, certains pour de bonnes raisons, mais plusieurs uniquement parce que vous êtes une musulmane avec un discours très critique sur l’islam. Mais à force de souffler sur un brasier et toujours le même, on finit par attraper des étincelles à la figure. La probabilité est forte qu’une de ces étincelles soit un Tremblay, car on est au Québec, justement.

Problèmes plus urgents
Pour représenter une ville, comme Trois-Rivières de surcroît, ce dont vous avez besoin de parler, c’est d’économie, de reconversion industrielle, du vieillissement de la population, du taux d’inactivité chez les personnes aptes à travailler, et de mille autres questions locales et nationales plus urgentes.
Si vous tenez absolument à parler de l’immigration et de l’immigration musulmane en particulier, à côté de la laïcité, n’oubliez pas de souligner le vrai problème : le taux de chômage que connaît cette communauté et les mesures politiques que vous comptez adopter pour vous y attaquer. Mais même là, on est déjà loin des préoccupations trifluviennes, et c’est en cela que votre candidature dans cette campagne est un vrai cheveu sur la soupe.

Candidature parachutée
Que dirait-on d’un Québécois de souche parachuté et dont tout le projet politique se réduirait à combattre les signes musulmans dans l’espace public. Eh bien, on le traiterait d’opportuniste politique, de manquer de profondeur et de projet social, voire de xénophobe. Si vous n’avez à apporter aux électeurs de Trois-Rivières, une ville aussi économiquement éprouvée, qu’un projet de loi sur la laïcité, ne vous demandez pas pourquoi les habitants de cette ville vous trouvent si étrangère à leur vie.
S’engager en politique demande plus de profondeur et de connexion avec les citoyens qu’on représente. Et ni votre genre, ni votre discours antireligieux ne sauraient combler ce déficit de projet politique porteur pour cette ville que vous souhaiteriez représenter.
Vous savez, l’expression « Jüdische Selbsthass », si chère au philosophe allemand Theodor Lessing et qui signifie la haine de soi, un phénomène jadis très fort chez des grandes figures juives comme Simone Weil, Ludwig Wittgenstein, Franz Kafka ou Franz Musil, vous en portez probablement une version musulmane. Mais cela ne suffit pas à aller en politique. Cultivez votre intellect pour devenir comme ces grandes personnalités intellectuelles juives et vous aurez toute la reconnaissance publique sans utiliser la politique comme raccourci. Car ces raccourcis nous indisposent tous par les faux débats que vous réintroduisez, faute de projet politique digne de ce nom.
Rappelez-vous que, si des Jean Tremblay de ce monde peuvent s’inviter dans notre espace public au point de gêner tout le monde, c’est qu’il y a des entrepreneurs politiques en mal de projets qui sont prêts à bâtir une carrière politique sur des questions aussi délicates.
L’élégance politique devrait vous recommander de vous éloigner de tout débat relatif à ces questions de religion, d’intégration, car il est toujours délicat de débattre avec une personne qui est juge et partie prenante sans se mettre les pieds dans le plat. Mais votre candidature est chose faite et, comme on dit : la culotte de la grand-mère est par terre ; la ramasser c’est gênant, ne pas la ramasser c’est encore plus gênant.
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Echraf Ouedraogo - Démographe


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